C'est sur les marches des escaliers que se manifeste le mieux l'usure d'une ville et la succession des générations. Dans le vieux collège de mon enfance, le grand escalier tremblait au passage de nos hordes en sueur quand la cloche sonnait la fin de la récréation. Les grandes dalles de pierre avaient ce drôle d'aspect lisse et creusé qui nous rappelait que d'autres, et d'autres encore, les avaient piétinées avant nous. Elles retenaient cet écho, celui des pas de nos prédécesseurs, dont le retentissement silencieux nous rappelait que nous partirions aussi, à notre tour, non sans avoir laissé notre part d'érosion dans leur matière vibrante.
Beyrouth, comme ses vieux bâtiments, est innervée d'escaliers. Ces derniers relient la ville haute à la ville originelle qui s'est ainsi, de marche en marche, développée sur les collines environnantes. Seuls les anciens Beyrouthins connaissent ces raccourcis que les nouveaux axes routiers ont rendus confidentiels. Leurs dalles de pierre jaune, fendillées par les torrents qui les tourmentent aux saisons pluvieuses, incurvées par le passage toujours pesant des piétons, parfumées au printemps de jasmin et de capucines endémiques, ombragées de fougères centenaires, offrent bien davantage qu'un chemin : un voyage dans le temps. On peut sans difficulté imaginer que ces escaliers, au même titre que les routes, furent d'abord tracés par des muletiers. Et sans doute ces derniers transportaient-ils voyageurs et marchandises vers ces quartiers éloignés de la ville première, prospérant autour de quelque lieu de culte souvent bâti sur le temple d'une divinité déchue en attendant de déchoir à son tour. Tout au long de sa construction, la ville haute n'a cessé de retourner ses sépultures. Aux vivants la mer et les plaines. Aux morts les collines, hors les murs, la tête vers le soleil levant. Cela fait des siècles que personne ne les pleure. Ont-ils seulement un descendant parmi nous ?
Chaque époque s'est acharnée à effacer l'histoire qui l'a précédée. Les rues ont porté les noms des vainqueurs, barré les noms des vaincus à un tel rythme qu'on ne s'en souvient plus. Pendant la guerre, elles ont été rebaptisées en l'honneur de quelque jeune victime fauchée par un projectile perdu. Les chefs de milice n'avaient pas d'autre moyen de consoler les familles que de leur offrir cet hommage éphémère. Ces plaques improvisées tenaient quelques mois avant de céder la place à d'autres.
Ville-pays, Beyrouth n'en finit pas de s'étendre et de s'entasser, de s'ouvrir et de se replier, de se construire et de se déconstruire. Violemment polarisée, forcément schizophrène, victime de la corruption et d'un périodique retour du refoulé, elle se fait hostile. L'eau manque, l'électricité est sporadique, les ordures sont cachées mais poursuivent leur agression olfactive. Il n'y a plus d'espace vert, plus d'agora. Ce que nous avons gagné en modernité, nous le perdons en civilisation. Les élections municipales ont été en principe fixées au 8 mai. Allons voter, formons notre belle foule des grands jours : la société civile a créé une liste, mieux, un programme simple et sensé face à l'oligarchie malveillante. Prêtons-lui main-forte, réapproprions-nous la ville : Beyrouth Madinati.
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Dans les rues de la capitale, Beyrouth Madinati remet le débat public à l'honneur
commentaires (5)
BEAU... TRES BEAU... MAIS DE QUEL BEYROUTH PARLEZ-VOUS... ET SURTOUT CHERE MADAME DE QUELS BEYROUTHINS ? LA MAJORITE ECRASANTE DE CEUX DE CES TEMPS SONT EPARPILLES DANS LES QUATRE COINS DU MONDE ET REVENT DE BEYROUTH DE CES TEMPS-LA ET DU TRES CHER A LEUR COEUR LIBAN DE CES TEMPS AUSSI... CAR LE LIBAN D,AUJOURD,HUI N,A RIEN A VOIR AVEC CELUI QUE NOUS AVIONS CONNU... NON LE PAYS MAIS CEUX QUI VEULENT ENCORE S,APPELER -LIBANAIS- OU RISIBLEMENT -HOMMES- !!!
LA LIBRE EXPRESSION
21 h 07, le 21 avril 2016