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Scan TV - Scan TV

Nous sommes la génération 75

Nous sommes la génération 75, celle de la guerre qui n'avait rien de civile, celle des martyrs et du chaos, mais aussi celle de l'innovation, de la télévision du bonheur, celle de la transformation des feuilletons libanais, passés du noir et blanc aux couleurs. Nous sommes la génération spécialisée en artillerie lourde et en balistique, heureux et sereins même du fond de notre abri, ce fameux malja'... La génération qui fredonne le générique de Goldorak, avec la voix rassurante de Sammy Clark en toile sonore de fond, celle qui rêvait de libertés en écoutant la musique des Wonderful Seven, les yeux fixés en même temps sur le Marlboro Man. La génération du fameux flash à la radio, annoncé par une voix féminine solennelle, avec son « maktab el-tahrir fi khabaren jadid », une raison suffisante pour s'inviter chez n'importe qui ou demander au voisin de hausser le son pour écouter en quelques secondes les dernières nouvelles avant de s'en aller en hochant la tête. Nous sommes la génération qui a intimement lié les chansons de Feyrouz à la mémoire de la guerre et à une mélancolie et une nostalgie maladives.
La période de la guerre nous manque-t-elle parfois? Nous n'oserons pas l'avouer ! Elle fait partie de notre enfance, c'est le bourreau de notre parcours, jusqu'à l'adolescence. C'était une autre école qui a remplacé l'école classique, c'était l'école de la vie au parfum de soufre et de sang... Drôles de leçons enchevêtrées et enseignées abruptement sans aucun plan cohérent, faisant fi des méthodes pédagogiques. Nous avons pris conscience de l'importance de la vie et de sa philosophie en côtoyant la mort de près. Nous avons confectionné notre premier circuit électrique avec la batterie de la voiture utilisée comme source de courant lors des pannes électriques pour ne pas rater l'épisode de Allô, Hayati, avec le duo culte ultraromantique, Hind Abillamah et Abd el-Majid Majzoub, ou celui de El-dounia heik avec les titanesques et géniales Feryal Karim et Layla Karam, ou encore Élie Sneifer dans al-Akhrass, ou la grande dame du petit écran Sonia Beyrouthi avec ses interviews inoubliables, ou encore Doctor Who et Rintintin...

Beyrouth-Ouest/Est
Notre première initiation à la littérature anglaise et ses génies fut avec Agatha Christie dans le feuilleton qui glaçait le sang dans les veines des plus jeunes, Achra Abid Zghar, grâce encore une fois à Télé-Liban et une série d'acteurs qui nous dopait d'espoir de culture et d'art thérapeutique. La balistique, elle, nous a été apprise par nos parents, qui étudiaient avec précaution les angles et les distances des bâtiments par rapport aux endroits touchés par les obus afin de nous dénicher le meilleur espace pour se protéger selon les positionnements des canons suite au dernier bulletin d'informations. Les nouvelles, c'était un moment de silence royal à respecter impérativement au risque de se faire griller vivant. Notre première leçon de géographie fut la séparation entre Beyrouth-Ouest et Beyrouth-Est, suivie par la connaissance forcée et prématurée des voisins qui se sont invités sur notre territoire, les Palestiniens, les Israéliens et enfin les Syriens. La géopolitique ne nous a pas épargnés non plus : dès notre tendre enfance, nous savions qui étaient les maîtres de la planète avec les clichés pris des marines accueillis au début comme des demi-dieux, puis victimes d'un attentat, le tout retransmis à la télévision.
L'histoire, nous l'apprenions avec Safar Barlek, le film des frères Rahbani, retransmis immanquablement chaque 22 novembre, nous rappelant un passé héroïque face à l'Empire ottoman, et d'un goût doux-amer du mandat français. Nous la vivions à notre tour, cette histoire, chacun de son côté, face à son téléviseur, antenne bien à l'abri et bien dirigée vers les cieux, ou collé à sa radio en écoutant soigneusement et dans les détails les répercussions d'une guerre qui unissait notre génération allaitée au son de la brutalité et du terrorisme, une forme de tourisme exotique pour les étrangers. Ce petit écran qui nous offrait toutes sortes de surprises agréables pour les uns et désagréables pour les autres nous sauvait, mine de rien, à la dernière minute d'un jour ordinaire, ennuyeux et pacifique à l'école. Nous sommes la génération de tous les dangers, nous sommes toujours en vie, heureusement ou malheureusement, nous sommes les victimes de la guerre dont l'impact fut adouci par les rythmes des chansons d'enfants et des dessins animés qui nous transportaient vers des mondes meilleurs où la justice règne et où le bien triomphe toujours du mal.

Nous aurions pu être...
Il y a une seule chose qui nous manque certainement, cette sensation de combat, de résistance, d'acharnement, la poussée d'adrénaline causée par la peur et l'anxiété, l'angoisse de perdre nos batailles, et surtout notre guerre contre un mal qui changeait souvent de nom, de tête et d'appartenance, nous frustrant au plus haut niveau et nous usant jusqu'à vouloir demander et implorer la fin de l'engrenage à n'importe quel prix... Nous aurions pu être des soldats, des miliciens, des journalistes, des héros, des victimes, des martyrs, des comédiens, des artistes, tout comme les personnalités qu'on suivait à la télévision, mais nous étions nés trop tard ou peut-être à temps pour apprendre que ces souvenirs doivent rester rien que des souvenirs et ne jamais se répéter. Nous sommes la génération 75, la génération qui a simplement vécu la guerre, impuissante, éduquée à l'école de la vie, celle des canons et des batailles intestines, celle des fratricides, celle des déplacements forcés, celle de l'injustice, celle de la mort et des disparitions suspectes et injustifiées, celle des feuilletons télévisés qui effaçaient de nos mémoires toutes les atrocités et les images de mutilations bien gardées dans la catégorie adulte. Nous sommes la génération 75, une génération privée de son histoire et qui se contente de la porter en elle.

Nous sommes la génération 75, celle de la guerre qui n'avait rien de civile, celle des martyrs et du chaos, mais aussi celle de l'innovation, de la télévision du bonheur, celle de la transformation des feuilletons libanais, passés du noir et blanc aux couleurs. Nous sommes la génération spécialisée en artillerie lourde et en balistique, heureux et sereins même du fond de notre abri, ce...

commentaires (3)

75 C'EST LE CADEAU PALESTINIEN QUE LE LIBAN A REÇU BÉNI ET FINANCÉ PAR L'ARABIE SAOUDITE. FRANGIEH 1ER FAISAIT SEMBLANT D'ENVOYER L'ARMÉE DANS LES MONTAGNES ET LES PALESTINIENS PASSAIENT CÔTÉ MER. PUIS IL ENVOYAIT CÔTÉ MER ET IL LES FAISAIT PASSER PAR LA MONTAGNE. C'ÉTAIT UN BEAU JEU NON ?.

Gebran Eid

12 h 32, le 17 avril 2016

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Commentaires (3)

  • 75 C'EST LE CADEAU PALESTINIEN QUE LE LIBAN A REÇU BÉNI ET FINANCÉ PAR L'ARABIE SAOUDITE. FRANGIEH 1ER FAISAIT SEMBLANT D'ENVOYER L'ARMÉE DANS LES MONTAGNES ET LES PALESTINIENS PASSAIENT CÔTÉ MER. PUIS IL ENVOYAIT CÔTÉ MER ET IL LES FAISAIT PASSER PAR LA MONTAGNE. C'ÉTAIT UN BEAU JEU NON ?.

    Gebran Eid

    12 h 32, le 17 avril 2016

  • Un lourd tribu payé par le peuple, au terroriste Arafat ...qui après avoir tenté de un coup d'état raté en Jordanie (septembre noir), est venu chez nous avec ses bandes armées , violé, pillé, outragé le pays...quel terrible héritage les années 75 ' ....encore aujourd'hui ,les blessures sont toujours là, l'on ne peut pas oublié les milliers de morts et de blessés ...

    M.V.

    10 h 32, le 17 avril 2016

  • Très bel article, merci !

    Sam

    09 h 57, le 17 avril 2016

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