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Économie - Interview

« Les actions contre l’EI ont eu un impact marginal sur ses finances »

Chargé de recherche au sein du cabinet Global Impact stratégies, Amir Bagherpour est intervenu hier lors d'une conférence à l'Université Saint-Joseph. Il revient pour « L'Orient-Le Jour » sur les effets de la lutte contre le financement du groupe État islamique (EI).

Amir Bagherpour. Photo C. G.

Depuis la prise de Mossoul par l'EI en juin 2014, puis les attentats qu'il a revendiqués sur le sol européen, la communauté internationale concentre une partie de ses efforts sur les sources de financement de l'organisation terroriste. Cette stratégie fonctionne-t-elle ?
Globalement, les actions militaires ou financières actuelles menées contre l'EI ont eu un impact marginal sur ses finances. L'erreur de départ a été de considérer l'EI comme une simple organisation criminelle en ciblant principalement certaines activités tactiques comme le trafic de pétrole et d'antiquités ou les dons provenant de l'étranger. Or l'EI fonctionne comme un quasi-État : selon mes estimations, environ 73 % de ses revenus annuels – a minima 1,5 milliard de dollars – proviennent de la collecte de taxes sur les populations sous son contrôle, soit entre 7 et 8 millions de personnes.
Depuis les frappes aériennes et, dans une moindre mesure, la chute des cours du baril, le pétrole ne représente plus que 20 % des revenus de l'EI, soit environ 300 millions de dollars, contre 500 millions de dollars l'année passée d'après le Trésor américain. Le solde (7 %) provient de dons étrangers et du trafic d'œuvres d'art et d'antiquités. Cette part relativement faible s'explique en partie par la batterie de mesures de rétorsion financière, mises en place par le Groupe d'action financière (Gafi) et l'Onu.
Finalement, ce type de mesures a pu contribuer à freiner la capacité de projection à l'international de l'EI, mais n'a pas vraiment atteint son poumon économique. De même, la source de revenu fiable et régulière que représentent les taxes a pu être maintenue malgré les récentes pertes de territoires – évaluées entre 20 et 30 % par le gouvernement américain – enregistrées par l'EI.


(Lire aussi : L'EI a perdu des centaines de millions de dollars de cash dans des bombardements)

 

Vous affirmez en outre que la collecte de ces taxes ne repose que marginalement sur la coercition...
Bien sûr il y a des cas d'extorsion, mais l'EI ne dispose que d'un ratio de 4 200 soldats pour un million de civils pour prélever une moyenne annuelle de 200 dollars par personne, si on considère que 90 % de la population est taxée. Comment ce système pourrait-il fonctionner si la majorité de la population était hostile à l'organisation ?
Même si l'EI n'est en rien comparable à un État disposant d'institutions et de services publics performants, il bénéficie d'un soutien relatif d'une grande partie des populations sunnites sous son contrôle, qui étaient marginalisées économiquement, socialement et sur le plan sécuritaire par les gouvernements irakien et syrien. D'un point de vue purement rationnel, elles peuvent estimer que le soutien à l'EI leur offre une meilleure perspective sur ces plans.


(Lire aussi : L'EI forcé de baisser de 50 % la paye de ses combattants)

 

Partant de ces postulats, quelle serait la stratégie la plus efficace pour assécher la base de financement de l'EI ?
Il faut bien sûr continuer à viser ses sources de financement annexes, comme le fait actuellement la communauté internationale. Mais pour mettre à bas la principale source de revenu de l'organisation, la réponse ne peut pas être uniquement militaire ou économique. Il faut que les dirigeants syriens et irakiens soient capables de proposer des perspectives d'intégration aux populations sunnites. Cela suppose notamment une représentation équitable de ces populations précédemment marginalisées dans les secteurs-clés de la société, comme l'armée.
En effet, le soutien des populations sunnites à l'EI, qui permet une taxation efficace, est seulement conditionnel : tant qu'elles considèreront que leur situation est meilleure sous le joug de l'EI que sous l'autorité des gouvernements syrien et irakien, elles seront prêtes à financer l'organisation. Mais si ce paradigme change, alors il sera beaucoup plus difficile à l'EI de collecter des taxes, étant donné le faible ratio de soldat par rapport à la population, et son système financier risque de s'effondrer.

 

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