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Liban - Lettre ouverte de Neemat Frem au président français

« Passer d’une coexistence stérile à un vivre-ensemble productif »

Le président de la Fondation maronite dans le monde, Neemat Frem, a adressé au président François Hollande une lettre ouverte dans laquelle il évoque les principaux défis auxquels est confronté le Liban au stade actuel, soulignant notamment qu'il nous faut « passer d'un vivre-coexistence stérile à un vivre-ensemble productif, dans un État libre de toute obligation envers des axes régionaux ou internationaux ». Nous reproduisons ci-dessous le texte de la lettre ouverte de Neemat Frem au président Hollande.

« Monsieur le Président, hôte très cher en ces temps complexes et difficiles, bienvenue au Liban !
Bienvenue en cette saison de grands changements, ce temps de bouleversements où pourraient se dessiner de nouvelles cartes géographiques pour notre région arabe ; en ce moment sans contours précis, sans frontières définitives. En attendant un règlement global, comme il est pénible pour notre monde arabe d'être placé devant un choix si difficile : un terrorisme barbare et des guerres confessionnelles à outrance ou une stabilité assurée par des dictatures obscurantistes.

Monsieur le Président, entre la France et le Liban, la Méditerranée nous unit par plus d'un lien : liens culturels, historiques et de valeurs communes.
Monsieur le Président, vous n'ignorez certainement pas qu'au cours de l'histoire, diverses communautés religieuses ont trouvé refuge au Liban, fuyant la persécution et aspirant à la liberté. La naissance de cet État fut un projet moderne reposant sur un pacte de coexistence fait de trois constantes : la liberté, l'égalité dans le cadre de la participation au pouvoir de décision, et la sauvegarde du pluralisme et de la diversité. Et l'histoire nous a appris qu'aucune de nos communautés ne peut prospérer, sinon dans le cadre d'un enrichissement réciproque spirituel et culturel avec toutes les autres.

Monsieur le Président, certes, nous le savons tous, l'accord de Taëf a mis fin au cycle de violence qui a dévasté le Liban ; il a pu résorber une grande part des combats de rue. Toutefois, il n'a pas réussi à apaiser les tiraillements de nature communautaire au sein des institutions et des administrations publiques. De ce fait, celles-ci ont été paralysées. C'est ainsi que le principe de l'égalité dans le partage du pouvoir s'est imposée aux dépens de la productivité. C'est au point où chaque échéance s'est transformée en une crise et où chaque décision a débouché sur l'immobilisme. De ce fait, les indicateurs économiques se sont effondrés et les protections sociales ont reculé. Et au lieu des 25 000 nouveaux emplois qu'il nous faudrait créer annuellement, à peine si nous parvenons à en créer 5 000. Et au lieu d'attirer les Libanais d'outre-mer, ce sont plus d'un million de réfugiés qui affluent vers un pays sans structures d'accueil. D'autre part, l'État vit sans budget depuis 2006 ; et nous vivons sans président de la République depuis deux ans, avec un Parlement qui a prorogé son mandat.

Cher Président Hollande, le redressement du Liban passe par l'élection d'un président, mais aussi par une série de réformes qui nous sortiraient de l'immobilisme, et relanceraient les institutions constitutionnelles et administratives. Pour atteindre cet objectif crucial, c'est notre pacte national lui-même que nous devons revoir. Il nous faut passer d'un vivre-coexistence stérile à un vivre-ensemble productif, dans un État libre de toute obligation envers des axes régionaux ou internationaux, et uniquement soucieux de l'intérêt de son peuple. Un État inspiré par les principes de la bonne gouvernance, soucieux de l'homme et de son bien-être, et dont les décisions reposeraient sur la productivité et la plus-value.

Ce renouveau du pacte national, Monsieur le Président, présuppose l'évolution de nos méthodes de travail et la mise à jour de nos mécanismes de prise de décision au sein de l'administration dans les trois domaines suivants: une nouvelle loi électorale qui consacre la parité et protège le partenariat national sur lequel repose la Constitution; le vote d'une loi assurant une décentralisation administrative poussée qui protégerait l'unité nationale et la stabilité, en réduisant la course au pouvoir central ; enfin, le vote d'une loi agençant le partenariat entre les deux secteurs public et privé comme préambule à la recherche de solutions à une longue série d'obstacles à la croissance.

Monsieur le Président, le défi de la diversité a été relevé au Liban, et le pluralisme absent du monde arabe y a aujourd'hui gagné droit de cité. Partant, serait-il exagéré de considérer que, pour mettre fin aux conflits sanglants dans les sociétés qui nous entourent, le modèle libanais, une fois stabilisé et relancé avec l'élection d'un président, ne soit retenu comme la meilleure solution possible pour parvenir à un règlement régional global et durable qui en préserverait les frontières existantes et les entités étatiques qui la composent ?

Monsieur le Président, le Liban, par la variété de ses composantes, constitue une base idéale pour le dialogue des cultures. Par ses particularités, cette terre est imprégnée de valeurs humaines qui l'habilitent plus qu'une autre à lancer des initiatives pionnières ici et partout, consolidant le principe du dialogue face à l'exclusion et de l'amour face à la haine. En un sens, notre patrie incarne ce modèle qu'est la richesse de la diversité dans l'unité.
Cette responsabilité historique est certes confiée d'abord aux différentes communautés libanaises qui ont pour tâche d'en transmettre le message au monde. Mais c'est aussi une responsabilité internationale, et française plus particulièrement.

Monsieur le Président, tout en vous remerciant de vous tenir aux côtés de nos forces armées et de les appuyer, nous sollicitons en même temps votre coopération et celle de vos amis des communautés régionales et internationales afin que soient réunies les conditions optimales pour faire évoluer notre pacte national sur la base d'un vivre-ensemble productif. Un vivre-ensemble moins idéologique et plus réaliste, un vivre-ensemble moins rigide et plus humain, modèle de vie dans cet Orient qui nous est très cher pour le reste de ce siècle si mal entamé. »

 

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Le président de la Fondation maronite dans le monde, Neemat Frem, a adressé au président François Hollande une lettre ouverte dans laquelle il évoque les principaux défis auxquels est confronté le Liban au stade actuel, soulignant notamment qu'il nous faut « passer d'un vivre-coexistence stérile à un vivre-ensemble productif, dans un État libre de toute obligation envers des axes...

commentaires (4)

L'accord de Taéf a mis fin aux hostilités, c'est vrai, mais il a livré le pouvoir aux chefs des milices qui l'exerce toujours. C'est cela le problème essentiel du Liban.

Un Libanais

11 h 59, le 16 avril 2016

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Commentaires (4)

  • L'accord de Taéf a mis fin aux hostilités, c'est vrai, mais il a livré le pouvoir aux chefs des milices qui l'exerce toujours. C'est cela le problème essentiel du Liban.

    Un Libanais

    11 h 59, le 16 avril 2016

  • ET QUE PEUT FAIRE LE PRESIDENT HOLLANDE AU BON SENS DANS SA VISITE DE L,ASILE DE FOUS QU,EST DEVENU AUJOURD,HUI LE CHEZ NOUS ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 03, le 16 avril 2016

  • Dans ce Kottor-conTrée contrée, toute véritable critique de ce confessionnalisme signifie fatuité. Or, cette critique est la condition 1ère de toute critique. L'existence réelle de l'erreur sera compromise, dès que son existence non-réelle sera réfutée. L'humain qui, dans le fantastique où il cherchait quelque chose, n'a trouvé que son propre reflet, est forcé de chercher sa propre véritable réalité. C’est l'homme qui fait le religionalisme, ce n'est pas le religionalisme qui fait l'homme. Le conFessionnalisme est le sentiment de l'homme qui ne s'est pas encore trouvé ou qui s'est déjà reperdu. Mais l’homme n'est pas extérieur au monde réel, celui de cet homme et de sa société qui produisent ce religionalisme, consciences fausses du monde parce qu'ils constituent eux-mêmes un monde erroné. Le religionalisme n’est que la théorie de ce monde fabriqué, sa "logique!" sous forme populaire, sa raison de consolation. C'est sa réalisation stricte fantastique. La lutte contre le conFessionnalisme est donc la lutte contre ce monde dont ce religionalisme n’est que l'arôme. La recherche du véritable bonheur de l’homme sous-tend que le religionalisme sera sec supprimé car illusoire. Exiger que l'homme renonce aux illusions concernant sa propre situation, c'est exiger qu'il renonce à son religionalisme qui n'a besoin que d'illusions.

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    08 h 35, le 16 avril 2016

  • "La meilleure solution possible pour parvenir à un règlement régional global et durable qui en préserverait les frontières existantes et les entités étatiques qui la composent ?" ! Est-ce si nécessaire de "préserver ces frontières existantes et les entités étatiques qui la composent." ? Au temps de la "Mouttassarifïyâh", ça se passait bien et mieux, non ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    03 h 52, le 16 avril 2016

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