C'est comme si l'artiste franco-libanais, qui a enflammé le Music Hall dimanche dernier durant un concert exceptionnel et tant attendu, savait à l'avance qu'il serait réduit au silence à un moment ou un autre en choisissant la photo de couverture de son album, Ya balad, où l'on voit sa bouche cachée par sa main ! Lundi, c'est la Sûreté générale (SG) qui est passée à l'acte en censurant la chanson Kyrie eleison de Bachar Mar-Khalifé, selon l'ONG SKeyes pour la liberté de la presse qui a critiqué hier cette mesure. La Sûreté générale reproche à l'artiste certains passages de cette chanson qui, selon elle, « portent atteinte à l'entité divine ». La chanson devra donc être supprimée de l'album pour que ce dernier puisse être diffusé, selon la décision de la SG.
Le chanteur n'a pas tardé à réagir via un tweet inspiré d'un verset de l'Évangile, histoire de marquer le coup : « Père, pardonne à la Sûreté générale, car elle ne sait pas ce qu'elle fait. » Il a par ailleurs reçu le soutien de son père, Marcel Khalifé, sur les réseaux sociaux et via un communiqué émouvant.
يا أبتاه ، اغفر للامن العام اللبناني ، لأنه لا يعلم ماذا يفعل...
— Bachar Mar-Khalife (@bmkhalife) 12 avril 2016
La Sûreté générale a justifié sa décision en se fondant sur trois passages précis de la chanson. Dans l'un d'eux, le chanteur chante en arabe « erhamna », ce qui veut dire littéralement en français « prends pitié de nous », mais en le découpant en trois syllabes, avant de prononcer le mot en entier. Or la première syllabe signifie pénis, en langage familier. Le deuxième reproche concerne les mots « fiche-nous la paix » qui suivent le mot « erhamna », s'adressant à Dieu. Enfin, dans le dernier passage mis en cause par la Sûreté et qu'elle a considéré comme une atteinte à l'entité divine car véhiculant, selon elle, l'idée que le chanteur a été contraint par Dieu à pratiquer le jeûne et la prière, il est dit ceci : « Seigneur, cela fait cent ans que je jeûne et que je prie. »
Interrogé par L'Orient-Le Jour, Bachar Mar-Khalifé a tourné la situation en dérision en soulignant que « la SG dispose sûrement aujourd'hui d'un catalogue plus intéressant que celui du Virgin, en films, CD ou livres qu'elle a censurés ».
Le père de Bachar, le chanteur et compositeur Marcel Khalifé, lui-même accusé par le passé d'avoir insulté les valeurs religieuses, a réagi à cette décision sur Facebook : « Excuse-nous, fils. Tu as été déçu et tu es encore à ton premier essai, dans ce pays où l'homme perd espoir au quotidien et essuie des déceptions écrasantes qui aboutissent à l'effondrement, à l'explosion et à la décadence de la civilisation », écrit-il notamment, dénonçant « la langue bien pendue » de la Sûreté générale. « À la Sûreté générale, je dis : "Prends pitié de nous et fiche-nous la paix" », conclut-il, reprenant les paroles retenues par la SG pour censurer la chanson de son fils.
L'article 473 du Code pénal libanais réprime le blasphème public du nom de Dieu, et l'article 474 punit l'outrage public à l'un des cultes célébrés en public ou l'incitation au mépris de ces derniers.
Ces articles ont été invoqués à plusieurs reprises dans le cadre de plaintes contre Marcel Khalifé. Ce dernier a été poursuivi en 1996, 1999 et 2003 pour sa chanson Je suis Joseph, Oh Père (Ana Youssef ya Abi), écrite par le poète palestinien Mahmoud Darwiche. Le procureur reprochait à l'artiste d'« insulter les valeurs religieuses en utilisant un verset du Coran sur Joseph dans une chanson ». Il risquait entre six mois et trois ans de prison pour insulte publique à la religion (article 474 du Code pénal libanais) et un mois à un an de prison pour blasphème (article 473 du Code pénal). Il avait finalement été innocenté.
commentaires (4)
Ils ne sont vraiment pas "Charlie", ces SG.... et affidés !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
13 h 38, le 13 avril 2016