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Liban - 13 avril 1975

La guerre du dedans

Il est en quelque sorte fascinant d'entendre les Libanais parler de la guerre civile avec un sentiment de nostalgie, voire même d'envie. Il est vrai que les gens ont tendance à idéaliser le passé, mais il est également vrai que notre mémoire collective est sélective, et que la guerre avec laquelle nous avons grandi n'a jamais été une seule guerre. Elle était en effet différente pour chacun de nous. Chacun de nous s'en souvient comme il le souhaite, et il n'existe pas de livre d'histoire pour mettre les événements en perspective. C'est pourquoi la guerre dont nous nous souvenons n'a jamais pris fin pour notre génération. Elle vit toujours en nous, et revient nous hanter à chaque occasion, ramenant avec elle les démons à la surface.

 

À chaque conflit ou assassinat, le premier réflexe qui vient à l'esprit est la possibilité d'une autre guerre civile en bonne et due forme. C'est parce que nos versions individuelles de la guerre civile s'entrechoquent encore les unes avec les autres. Nous voyons encore l'« autre » comme quelqu'un qui est en train de modifier nos souvenirs, notre enfance et la manière avec laquelle nous avons absorbé nos douleurs et nos peurs. Il n'y a eu ni vainqueur ni vaincu. Tous les Libanais étaient également coupables et ont dû se pardonner les uns les autres et poursuivre leur vie. Tous ceux qui ont perdu quelqu'un, mort ou disparu, ont été invités à pardonner et oublier. Mais le problème de la mémoire de la guerre n'a pas été résolu, et nous avons maintenant plus de souvenirs individuels que nous ne pouvons en gérer.


Aujourd'hui, c'est au tour d'une autre génération – sans mémoire de la guerre – de se retrouver confrontée au problème. Ceux qui se battent en Syrie avec le Hezbollah, les jeunes hommes et femmes qui sont témoins de leurs victoires et défaites, et beaucoup d'autres qui ratent leur vie en marge de ce qui reste de la scène politique... Tous ont une chose en commun : une amnésie collective. Tout ce qu'ils entendent sont des rêveries nostalgiques sur la guerre et un florilège d'odes à des gloires passées. Ils ont aussi grandi avec un dégoût irrésolu de l'« autre », compris comme tout individu ou groupe qu'ils pourraient concevoir.


Comme ce dégoût est combiné à une profonde nostalgie pour la guerre et la gloire du sang et de la mort, il est tout naturel de ressentir la violence à tous les coins de toutes les rues au Liban, et il n'est guère surprenant que les jeunes hommes sautent sur toutes les occasions pour porter les armes et tuer les « autres » quels qu'ils soient – nouveaux ou anciens – en croyant qu'une fois de plus, tout sera oublié et pardonné.
Mais en sera-t-il vraiment ainsi ? Demain, lorsque la crise syrienne sera résolue et que tous les combattants rentreront au Liban, nous aurons à faire face à leurs nouvelles gloires et à leur sens actualisé de la violence. Tous les Libanais devront faire face à leur version de cette dernière guerre, parce que nous les laissons faire. Nous – en tant que collectivité populaire – leur avons permis de se battre, de tuer et de revenir à nous avec tout ce poids. Rien ne sera oublié, et rien ne sera pardonné. Eux non plus ne pardonneront pas à ceux qui les ont transformés en monstres. Cependant, une fois de plus, personne ne sera tenu pour responsable, et ils seront autorisés à réintégrer le système qui régit nos déceptions et illusions de tous les jours.


Leur guerre aussi les hantera, ils en feront leurs propres nombreux souvenirs, et, encore une fois, ils n'expliqueront pas à leurs enfants ce qui s'est produit. Il s'agit d'un cercle vicieux brutal qui ne prendra fin que lorsque le Liban sera divisé en quatre millions de versions de souvenirs de guerre et finira, in fine, par s'effondrer sur lui-même.


La guerre nous hante tous. Chaque nouvelle guerre nous hantera de la même manière, et nous pousse à sacrifier une autre génération inconsciente de plus. Rien ne changera, jusqu'à ce que nous puissions faire face aux fantômes qui nous habitent, tapis à l'intérieur, et nous poser la question la plus dérangeante : souhaitons-nous vraiment guérir ? Voulons-nous cesser de jouer aux victimes et commencer à nous comporter en tant que citoyens ?


Jusqu'à présent, la réponse à cette question reste douteuse. Nous sommes couverts de détritus, une milice contrôle notre État et envoie de jeunes hommes mourir en Syrie, au Yémen et en Irak, la corruption dévore ce qui reste de nos institutions et nos leaders se chamaillent sur des miettes. Pourtant, nous poursuivons notre vie quotidienne, en nous plaignant sans agir et en attendant que la prochaine guerre ait lieu et qu'une autre génération rejoigne l'amnésie collective. Au final, nous nous auto-infligeons notre propre tragédie – et nul autre que nous ne peut nous sauver de nous-mêmes.

 

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Il est en quelque sorte fascinant d'entendre les Libanais parler de la guerre civile avec un sentiment de nostalgie, voire même d'envie. Il est vrai que les gens ont tendance à idéaliser le passé, mais il est également vrai que notre mémoire collective est sélective, et que la guerre avec laquelle nous avons grandi n'a jamais été une seule guerre. Elle était en effet différente pour...

commentaires (5)

Beaucoup de choses sont dites sur les guerres du passé, de la mémoire collective qui flanche, des accusations ici et là , mais finir cet article en indexation le hezb résistant d'être une force juste bonne qu'à intervenir est une grave hérésie. Normal que de telles omissions puissent être décelées, Mme ghaddar oublie de parler du volet de la guerre au sud Liban,de 82 à 2000, les envahisseurs l'ont appelé la 1ère guerre par rapport à la 2ème guerre perdue par leurs soldats en 2006. Il ne sera rendu justice à ces combattants du hezb qui si , au retour de leur campagne anti complot et antivirus bactéries, il leur sera fait un triomphe comme toute société sait le faire à ses héros qui ont osé dire NON. NON à l’extrémisme, NON à la collaboration avec l'ennemi, NON à la corruption du passé. Puisqu'au final la guerre du sud Liban est aussi un appendice à la guerre civile déclenchée par des hommes qui avaient osé, eux aussi dire NON ,en 75. Avec moins de succès faut l'admettre, on avait pas les mêmes fréquentations.

FRIK-A-FRAK

13 h 43, le 13 avril 2016

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Commentaires (5)

  • Beaucoup de choses sont dites sur les guerres du passé, de la mémoire collective qui flanche, des accusations ici et là , mais finir cet article en indexation le hezb résistant d'être une force juste bonne qu'à intervenir est une grave hérésie. Normal que de telles omissions puissent être décelées, Mme ghaddar oublie de parler du volet de la guerre au sud Liban,de 82 à 2000, les envahisseurs l'ont appelé la 1ère guerre par rapport à la 2ème guerre perdue par leurs soldats en 2006. Il ne sera rendu justice à ces combattants du hezb qui si , au retour de leur campagne anti complot et antivirus bactéries, il leur sera fait un triomphe comme toute société sait le faire à ses héros qui ont osé dire NON. NON à l’extrémisme, NON à la collaboration avec l'ennemi, NON à la corruption du passé. Puisqu'au final la guerre du sud Liban est aussi un appendice à la guerre civile déclenchée par des hommes qui avaient osé, eux aussi dire NON ,en 75. Avec moins de succès faut l'admettre, on avait pas les mêmes fréquentations.

    FRIK-A-FRAK

    13 h 43, le 13 avril 2016

  • JE NE SUIS PAS D,ACCORD AVEC VOUS CHERE MADAME ! IL N,EST PAS QUESTION DE MAUVAIS SOUVENIRS ENTRE LES LIBANAIS... LES APPREHENSIONS ET LES CRAINTES VIENNENT LORSQU,ON VOIT RESSUCITER L,IMAGE MAUDITE DE ARAFAT... SOUS D,AUTRES TRAITS !!! VOUS AURIEZ PU EN PARLER DANS VOTRE ARTICLE POUR LE RENDRE PLUS OBJECTIF... BONNE JOURNEE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 36, le 13 avril 2016

  • "Aujourd'hui nous sommes face à nouveau à une communauté maronite prise en otage ne sachant pas a quel ex-seigneur de la guerre se vouer. Mettre une faction d'entre elle hors des griffes du CPL allié de ce héZébbb est la seule option. Est-elle prête a le faire? Ces maronitiques boSSfaïrs amers eux-mêmes sont-ils prêt a effectuer ce changement ? C'est par la que tout commence... Le reste viendra par après...". N'châllâh !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 45, le 13 avril 2016

  • Tant que la vérité sur le conflit qui a eu lieu ne se révélera pas d'un commun accord, il n'y aura pas de possibilité de paix et chacun campera sur ses positions. A ce jour, seul ceux qui ont été les moins responsables ont présenté des excuses. Tous les autres n'ont meme pas cligné d'un œil et continuent de clamer haut et fort que si s’était a refaire ils le referaient. Comment voulez vous alors que les nouvelles generations soient éduqués dans un esprit de confiance envers l'autre. Autrefois il a été dit que "Deux negations ne font pas une nation" et se fut tristement vraie. Aujourd'hui nous sommes en face d'une situation similaire mais cette fois avec une communauté chiite prise en otage ne sachant pas a quel saint se vouer. La mettre en confiance et hors des griffes du Hezbollah est la seule option. Qui est prêt a le faire? Les chiites eux meme sont-ils prêt a effectuer ce changement? C'est par la que tout commence... Le reste viendra par après...

    Pierre Hadjigeorgiou

    10 h 01, le 13 avril 2016

  • Très belle description de la réalité des mentalités.

    Saleh Issal

    05 h 48, le 13 avril 2016

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