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Liban - Éclairage

Justice est faite : un message d’espoir pour les Libanais

Illustration Hasan Bleibel

La Cour de cassation du tribunal militaire a prononcé hier sa sentence définitive contre Michel Samaha, le condamnant à treize ans de travaux forcés et à la déchéance de ses droits civiques. Il a été jugé coupable de quatre chefs d'accusation : la détention et le transport d'explosifs dans le but de perpétrer des actes terroristes, la formation d'un groupe chargé de perpétrer des crimes contre la population et la sécurité de l'État, la tentative d'assassiner des hommes politiques et des hommes de religion dans le but d'inciter à la discorde dans la région du Akkar et la détention d'armes à feu et de munitions sans permis.

Cette sentence est plus grave que celle qui avait émané en mai 2015 de la chambre permanente du tribunal militaire, laquelle avait condamné M. Samaha à quatre ans et demi de prison, pour « tentative de perpétrer des actes terroristes et pour appartenance à un groupe armé ». Devant la colère provoquée alors par ce jugement jugé « trop clément », le procureur général près le tribunal militaire avait demandé la réouverture du procès devant la Cour de cassation, plaidant pour l'aggravation des chefs d'accusation et des peines qui leur sont assorties.


(Lire aussi : Les travaux forcés n’existent plus dans la pratique...)

 

Deux motifs
Le verdict final prononcé hier, qui fait l'objet d'une décision de douze pages écrites à la main par le juge Tani Lattouf, président de la Cour de cassation militaire, a comporté deux principaux motifs à l'aggravation de la sentence :
Le premier de ces motifs est le rejet de l'argument de la défense selon lequel l'accusé aurait été leurré par l'informateur Milad Kfouri (c'est-à-dire que ce dernier l'aurait incité à commettre un crime) et la preuve conséquente de « l'intention » criminelle de l'accusé. Selon la défense, l'informateur aurait « entraîné et piégé Michel Samaha graduellement, en tirant profit des craintes dont ce dernier lui avait fait part en ce qui concerne la situation sécuritaire aux frontières nord et la nécessité de créer un choc auprès du gouvernement pour l'inciter à fermer les frontières ». Toujours selon la défense, l'accusé aurait été jusqu'à évoquer les attentats avec son interlocuteur, comme en attestent les enregistrements audiovisuels soumis à la cour, « étant convaincu de l'incapacité de Milad Kfouri à passer à l'acte ». Une allégation jugée « illogique et peu convaincante » par la Cour de cassation, dans sa décision écrite. Celle-ci relève en outre que rien « dans les propos de l'accusé ne prouve que c'est Milad Kfouri qui lui a donné l'idée de perpétrer un acte de nature sécuritaire aux frontières pour empêcher l'infiltration d'éléments armés. (Au contraire), cette idée était déjà présente dans l'esprit de l'accusé (...) qui s'est érigé en responsable de la sécurité aux frontières nord et montré sa disposition à prendre une initiative face à l'atermoiement du gouvernement ».

La qualification juridique de l'incitation au crime « ne s'applique pas en l'espèce, l'accusé étant préalablement convaincu de la nécessité de perpétrer des actes aux frontières », selon la décision.
D'ailleurs, « c'est lorsque Milad Kfouri a vérifié l'intention de l'accusé, et qu'il a réuni les preuves sérieuses d'un projet criminel en gestation chez l'accusé, qu'il a demandé aux services de sécurité de jouer le rôle d'informateur (...). Et c'est à ce rôle que se limite Milad Kfouri, qui a pris connaissance de l'intention criminelle de l'accusé, et fait allusion à des cibles potentielles, sans toutefois basculer dans l'exercice d'une contrainte morale, qui aurait exonéré l'accusé de toute responsabilité ».

La Cour de cassation militaire a énoncé un argument de bon sens, selon lequel « Michel Samaha aurait pu ne pas jouer le jeu de son interlocuteur. Rien de cela n'apparaît dans les enregistrements ».
La décision a enfin détourné un argument invoqué à la base par la défense, sur « le parcours politique et intellectuel de Michel Samaha ». « L'inégalité » de statuts entre M. Samaha et M. Kfouri rend improbable le fait que le second piège le premier, selon les motifs de la décision.

Le second motif qui a contribué à l'aggravation de la peine est le suivant : la preuve de l'intention criminelle fait que sont réunis les éléments matériel et moral du crime de transport d'explosifs et du crime de formation d'un groupe en vue de perpétrer des crimes contre les gens, les biens publics, ou la sécurité de l'État. Il ne s'agit plus ainsi de « tentatives » mais de crimes, puisque « tout commencement de crime est considéré comme un crime lorsque seules des circonstances extérieures à la volonté de l'auteur empêchent l'aboutissement de l'acte ». En l'occurrence, c'est l'intervention de Milad Kfouri auprès des services de sécurité qui a empêché le transport des explosifs, a estimé la cour.



(Repère : Travaux forcés : En quoi consiste cette peine au Liban ?)

 

Une approche critique
Cette décision est critiquée par une source judiciaire comme n'ayant pas apporté la preuve suffisante de l'intention criminelle de M. Samaha. « L'absence d'enregistrements antérieurs aux échanges entre MM. Samaha et Kfouri, qui commencent par l'évocation des attentats, rend difficile la preuve de l'origine de cette idée », explique la source. Elle s'interroge en outre sur le choix « injustement sévère » de la peine de treize ans qui est la peine maximale pour le transport d'explosifs, la peine minimale étant de sept ans. Étant accusé d'infractions multiples, M. Samaha n'exécutera qu'une seule peine, la plus sévère (de treize ans), qui absorbera les autres, en vertu du principe de non-cumul des peines de même nature. En sortant hâtivement de la salle d'audiences hier, préalablement à la lecture de la décision, l'avocat de la défense Sakhr el-Hachem aurait entendu exprimer son mécontentement par rapport à la sévérité de la peine, dont il aurait pris connaissance la veille, selon la source judiciaire, qui dénonce « une décision politique en faveur du courant du Futur ». Il n'est pas clair si les nominations de quatre nouveaux membres et président de la Cour de cassation militaire, quelques semaines après la demande de réouverture du procès, avaient pour objectif, dès le départ, de garantir un verdict final plus sévère. Surtout qu'elles n'ont pas dissuadé le ministre Achraf Rifi de démissionner.


(Pour mémoire : Affaire Samaha : le débat juridique bat son plein)

 

Réactions
Dans les milieux du ministre démissionnaire, l'on faisait hier état d'une « victoire », rendue possible grâce « au scandale de la première décision-farce du tribunal militaire et grâce à la démission conséquente de M. Rifi en février dernier ». Toutefois, cette décision ne veut pas dire que le combat pour la réforme du tribunal militaire cessera, au contraire, confient ces milieux à L'OLJ. Dans un entretien télévisé à la chaîne al-Arabiya, M. Rifi a fait état hier soir d'un « renouvellement des victoires du 14 Mars (...) grâce à l'insurrection du peuple libanais face au laxisme du tribunal militaire ». Interrogé sur la possibilité de retirer sa démission, il s'est contenté de répondre qu'il restera « là où mes responsabilités nationales me poussent à être. J'avais des raisons de démissionner, et je suis prêt à poursuivre ma lutte et à remplir mon devoir national ».

Le ministre de l'Intérieur Nouhad Machnouk a affirmé de son côté que « la décision conforte notre confiance dans le président de la Cour de cassation militaire et ses membres ». Pour le chef du Rassemblement démocratique, Walid Joumblatt, sur son compte Twitter, « la justice qui se mobilise sur l'affaire Samaha devrait s'étendre aux dossiers de corruption ». Seul l'ancien président de la République Michel Sleiman a appelé, également sur son compte Twitter, à revoir « les positions radicales qui appellent à abolir le tribunal militaire ».

 

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commentaires (5)

Yâ lâttîîîf ! Il faut dire, mahééék, qu'il était vraiment très difficile de prouver l’intention criminelle de ce Pardonneur-exploseur ! Quel exploit !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

12 h 17, le 09 avril 2016

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Commentaires (5)

  • Yâ lâttîîîf ! Il faut dire, mahééék, qu'il était vraiment très difficile de prouver l’intention criminelle de ce Pardonneur-exploseur ! Quel exploit !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    12 h 17, le 09 avril 2016

  • Notre justice ressemble elle aussi à la peau des figues de Barbarie elle est pleine de petites aiguilles transparentes. Pour les manipuler, nos juges devront mettre des gants, pour juger les criminels. Et pour retirer ces petites épines, il faudra juger les condamnes et les rejuger dans le concept de l’équilibre confessionnel pour enfin les frotter sous l’eau avec une brosse et oser prononcer le verdict tant attendu.

    Sabbagha Antoine

    11 h 51, le 09 avril 2016

  • LA PEINE POUR LE TRANSPORTEUR AURAIT DU ETRE LA DETENTION A VIE... ASSIS SUR LES FIGUIERS DE BARBARIE !

    MON CLAIR MOT A GEAGEA CENSURE

    10 h 01, le 09 avril 2016

  • au sujet des figues de barbaries de la caricature, tant que ce n'est pas des grenades ou des orgues de staline...... de plus coté "barbarie" le fruit est bien choisi!

    Le Herisson

    08 h 55, le 09 avril 2016

  • Une décision de bon augure qui laisse penser que l'espoir d'une justice sans faille n'est pas perdu. Après avoir purgé ses 13 ans, l'accusé devra encore se présenter devant son Juge ultime. C'est alors qu'il sera glacé d'effroi.

    Paul-René Safa

    08 h 11, le 09 avril 2016

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