La situation au Liban ne peut plus se lire sous l'angle de la présidentielle, ni du boycottage et de ses retombées. La question qui se pose actuellement ne porte pas sur l'opportunité des compromis, centrés autour d'un candidat du 8 Mars, ou tournés vers un candidat consensuel. Les chances qu'un président soit élu de sitôt seraient quasi nulles, en dépit du vent d'optimisme ravivé par le début des négociations en Syrie. Le fait est que le déblocage au Liban n'attend plus « un package-deal interne », englobant l'exécutif, la loi électorale et autres rouages internes. Le déblocage est devenu strictement tributaire d'un « package-deal régional, incluant des solutions simultanées en Syrie, en Irak et au Liban », selon des analyses concordantes recueillies par L'Orient-Le Jour. En effet, ce serait par cette voie seulement que Téhéran entendrait mettre un terme au blocage au Liban – avec tous les risques que cela comporte pour la géographie, voire l'entité du pays. Une nuance nouvelle s'y ajoute : l'évolution de ce package-deal régional n'est plus à sonder sur le terrain des rapports saoudo-iraniens. Elle relève d'abord de la Russie, qui a réussi à s'établir en décideur régional. Réduisant de facto le rôle iranien, l'influence de Moscou est favorisée par l'Arabie, surtout depuis le désengagement militaire stratégique russe du terrain syrien.
« Les Saoudiens voient d'un bon œil les Russes damner le pion aux Iraniens », confirme l'analyste politique Sami Nader à L'OLJ, relevant des signes récents dans ce sens : la valorisation de la politique russe en Syrie par le chef de la diplomatie saoudienne, et par Assad al-Zoabi, chef de la délégation syrienne du Haut Comité des négociations à Genève. En outre, la quasi-suspension des frappes aériennes russes contre des positions relevant de l'opposition en Syrie s'accompagne d'« un repositionnement de la Russie sur la scène diplomatique : sa décision d'entamer définitivement la phase des négociations, auxquelles elle a poussé d'ailleurs le régime syrien, s'accompagne d'une ouverture sur les sunnites et sur l'Arabie », relève M. Nader.
Mais ce nouvel équilibre qui s'instaure reste fragile.
Considérant que « le point de tous les équilibres est en Syrie », la Russie ne peut y maintenir son emprise sans son alliance avec le président syrien. Ayant réussi à le renflouer suffisamment pour initier les négociations, Moscou veillerait désormais à ne pas le voir retourner au giron iranien.
La démarche russe serait de rallier des interlocuteurs régionaux nouveaux, y compris libanais, en évitant toutefois de se laisser embarrasser dans ses rapports avec Téhéran. Même si l'incapacité des Iraniens à gagner du terrain en Syrie a été mise en relief ces derniers jours, comme l'illustre la dernière défaite des troupes loyalistes et des combattants iraniens et du Hezbollah dans les environs sud d'Alep face au Front al-Nosra (défaite qualifiée par certains de « massacre »).
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Il n'est pas sûr que le chef du courant du Futur ait coordonné sa visite officielle à Moscou avec l'Arabie saoudite, ni même qu'il se soit rendu ultérieurement à Riyad. Ce que les milieux concernés confirment toutefois, c'est que cette visite « n'a pas mécontenté » les Saoudiens.
La visite de Saad Hariri, « à l'invitation de Vladimir Poutine », ferait suite à l'instauration d'un nouvel équilibre des forces dans la région. Ses échanges avec le président russe auraient englobé la question de la stabilité au Liban (le chef du courant du Futur s'est dit ouvert à une coopération bilatérale militaire), la relance de l'économie (y compris les forages pétroliers au Liban, selon certaines informations, démenties toutefois par des milieux du Futur), et l'impératif de débloquer la présidentielle.
L'on retiendra de ces échanges, pour l'heure, la naissance de rapports nouveaux entre Moscou et le Liban. Un député du bloc du Futur va jusqu'à annoncer « une nouvelle tutelle de Moscou sur le Liban et la Syrie ». Il révèle à L'OLJ que des visites de hauts responsables libanais devront suivre à Moscou. Il rapporte dans ce cadre que l'objectif de la visite de Saad Hariri a été « de garantir que le Liban soit en état de profiter de la solution politique en Syrie, plutôt que d'en payer le prix ». Il y a là une confirmation de la simultanéité des solutions au Liban, en Syrie et en Irak ; et un aveu plus grave des menaces sur l'entité libanaise qui pourraient en résulter.
Le fédéralisme demeure en effet une solution souhaitée par la Russie, et avec elle Israël, constate Sami Nader, qui révèle à L'OLJ que la première ébauche de la solution politique en Syrie vient d'être achevée par l'émissaire de l'Onu, Staffan de Mistura, et « pourrait très probablement inclure le fédéralisme ».
Soutenant cette lecture, l'ancien député Moustapha Allouche dit craindre une solution « qui menace l'équation du Liban, voire sa géographie ». Alors que les contours de cette solution resteraient selon lui à préciser, les signes d'une dynamique libanaise qui lui fassent contrepoids sont quasi nuls.
La rencontre solennelle samedi entre le député Sleiman Frangié et le mufti du Nord ne serait pas « l'affirmation d'une nouvelle entente islamo-chrétienne, voire sunnite-chrétienne, qui défend la modération », comme le souligne un député du courant du Futur. Elle ne ferait que réaffirmer la volonté de Saad Hariri de débloquer la présidentielle : « Son partenariat avec Sleiman Frangié se limite à cette fin », souligne Moustapha Allouche.
Or « les appréhensions du Hezbollah inspirées par le compromis Frangié sont toujours là », relève-t-il. Plus encore, Téhéran n'aurait nul intérêt à faire élire un président. « Cette élection signifierait un renouvellement du contrat social de Taëf pour au moins six ans supplémentaires. Or ce renouvellement a un prix », ajoute-t-il. Dans ce contexte, la discrétion que le secrétaire général du Hezbollah observe sur l'hypothèse d'une solution fondée sur le fédéralisme en Syrie pourrait trahir un aval iranien tacite à ce niveau.
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commentaires (5)
Excellente analyse....
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
04 h 19, le 05 avril 2016