L'adieu aux déchets est-il pour aujourd'hui ? C'est avec ce sentiment que la plupart des ministres ayant suivi le cours de ce drame de l'imprévoyance sont sortis hier de la réunion du gouvernement. Sauf que, selon la LBCI, le ministre de l'Agriculture, Akram Chehayeb, a cru devoir nuancer les choses en affirmant qu'il y a encore « quelques détails » à régler.
D'expérience, on sait que ces détails peuvent prendre des jours, des semaines et même des mois. Conformément au principe d'incertitude qui gouverne toute notre vie politique depuis plus d'un an, il faut donc prendre au sérieux ces « réserves », en laissant aux lecteurs le soin de tirer leurs propres conclusions. Jusqu'à la dernière minute donc, ce dossier reste dans le flou, et même dans la mer, comme l'illustre la photo de ce dépotoir sauvage prise à Chekka, l'un de nos plus beaux sites naturels.
Les heures qui viennent diront si l'heure « D » est là et si la noria des camions de Sukleen transportant vers Naamé les quelque 350 tonnes de déchets accumulés depuis juillet dernier dans des zones de stockage de Beyrouth, va enfin s'ébranler (et sans encombre).
Mais pour noircir d'avantage encore le tableau, il faudra ajouter au scandale de l'imprévoyance celui, encore plus grand, de la concussion qui, selon le président de la commission des Finances, Ibrahim Kanaan, marque ce dossier. M. Kanaan a parlé hier des « anges gardiens » de Sukleen, qui siègent au gouvernement (et ont peut-être siégé dans les gouvernements successifs formés après son arrivée). Il a également évoqué un conflit entre la Cour des comptes et le Conseil d'État sur la légalité des opérations de cette société, ce qui pose évidemment le problème du respect des institutions et de leur instrumentalisation politique.
Le Conseil des ministres a également été marqué hier par une dispute entre les ministres de la Santé et de l'Économie, sur le taux de toxicité par ochratoxine du blé consommé par les Libanais. Au chef du gouvernement qui l'interrogeait sur la conclusion des analyses faites par son département, Alain Hakim (Économie), se basant sur l'expertise de l'Institut de recherche industrielle (IRI), a répondu en substance que l'alarmisme de son collègue Waël Bou Faour (Santé), n'avait pas lieu d'être, ce qui a soulevé la colère de ce dernier. Sur le petit écran, M. Hakim allant même jusqu'à reprocher à son collègue de manquer de « responsabilité sociale », et se faisant accuser, en retour, « de défendre les commerçants » contrairement à M. Bou Faour qui, lui, « défend les pauvres ».
Tammam Salam a finalement convaincu MM. Chehayeb, Bou Faour et Hakim de se rencontrer lundi, pour tirer l'affaire au clair, non sans s'attirer une réflexion de M. Hakim affirmant que seules les conclusions de l'IRI le concernent et que « les autres boutiques n'intéressent pas le ministre de l'Économie ».
Sur sa lancée, M. Hakim n'a pas hésité à dire que l'affaire du blé contaminé pourrait être une diversion montée de toutes pièces pour détourner l'attention de l'opinion du sujet central du ramassage des déchets. Il a rappelé que M. Bou Faour avait soulevé en 2015 l'affaire de la propreté des silos, tout au début de la crise des déchets.
Un troisième scandale figurait au menu du Conseil des ministres, celui des réseaux illégaux d'Internet tranquillement exploités depuis 2006. Un scandale qui révèle un manque de vigilance étonnant de la part des services de renseignements ; un scandale par l'atteinte à la souveraineté libanaise qu'il dénonce ; un scandale financier par le manque à gagner qu'il souligne : 60 millions de dollars par an. L'enquête en cours dira si, une fois de plus, c'est l'impunité qui finira par triompher, faute de pouvoir emprisonner tous ceux qui ont profité en connaissance de cause de cette situation d'illégalité. (Lire aussi ici)
La Sécurité de l'État
Le Conseil des ministres a également été marqué par un vif échange entre Gebran Bassil et Ali Hassan Khalil, sur fond de polémique au sujet de la Sécurité de l'État, un organisme présidé par un grec-catholique dont cette communauté demande en vain la réactivation depuis quelques mois. Aux ministres Michel Pharaon et Alain Hakim qui en demandaient l'examen, M. Salam a répondu qu'il compte d'abord expédier l'ordre du jour. Un flottement a alors marqué la séance, qui a failli être suspendue, avec les deux ministres menaçant de s'en retirer et un Tammam Salam excédé lançant : « Eh bien, faites, mais faites donc ! »
« Pas d'accord, devait interjeter, venimeux, Gebran Bassil. Chaque fois qu'il s'agit d'une question qui concerne les chrétiens, les questions sont écartées ! » À Ali Hassan Khalil qui lui faisait remarquer qu' « il réfléchit en dhimmi politique », M. Bassil devait rétorquer : « Nous en parlons, mais vous le pratiquez ! »
Ces échanges acerbes devaient se prolonger quelque soixante minutes durant. Finalement, le Conseil des ministres devait achever sa houleuse séance par les résolutions suivantes : nomination de Georges Ayda comme directeur général du ministère du Travail, nominations au Conseil du Sud, indemnisation des planteurs de céréales et... escamotage, faute de temps, de la grave crise de la presse écrite qui menace de priver une élite de journalistes arabophones de leur gagne-pain.
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D'expérience, on sait...
commentaires (8)
En lisant tous ces commentaires de mes confrères-lecteurs de l'OLJ...qui font à peu près tous les mêmes remarques sur ce qui se passe actuellement dans notre pauvre pays...je me dis que nous avons vraiment une sacrée malchance de ne pas avoir des dirigeants avec cette intelligence ! Nous avons malheureusement la pire espèce pour nous gouverner: des voleurs, des corrompus, des "ayant dépassé la limite d'âge depuis longtemps" des fils de...aussi incapables que leurs pères des arrogants des bornés La "crème" des Libanais...quoi !!! Irène Saïd
Irene Said
16 h 14, le 18 mars 2016