Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Dossier spécial/Focus

Un échiquier mondial chamboulé à cinq niveaux par le conflit syrien

Pourquoi l'onde de choc de la guerre en Syrie a été sacrément amplifiée.

Jason Reed/Reuters

Petites causes, grandes conséquences : la Syrie et le monde, c'est l'effet papillon. Si le spectre d'une « troisième guerre mondiale » pointe son nez avec insistance ces dernier mois, c'est bien parce qu'une multitude d'acteurs mondiaux sont engagés directement ou indirectement dans le conflit syrien.
Cinq ans après le début des premières manifestations en Syrie, le conflit a des répercussions sur l'ensemble de l'échiquier mondial : attentats terroristes, crise des réfugiés, prix des hydrocarbures, course au leadership mondial et guerre froide au Moyen-Orient. À mesure que le temps passe, cette guerre impacte plus d'acteurs, et plus durablement.
Alors que le conflit armé se concentre sur une parcelle territoriale restreinte, la position géographique de la Syrie, le terreau d'instabilité de la région, l'interdépendance des nations au XXIe siècle et surtout la passivité diplomatique généralisée ont produit une sacrée amplification de l'onde de choc.
Retour sur les 5 principales conséquences de la crise syrienne sur l'échiquier mondial.

La superguerre froide irano-saoudienne
Affirmer que c'est la guerre en Syrie qui a ravivé les tensions entre l'Iran et l'Arabie Saoudite ne serait pas tout à fait exact. L'accord sur le nucléaire iranien est, pour le royaume wahhabite qui craint un rééquilibrage des rapports de force dans la région en sa défaveur, une vive source d'inquiétude. L'exécution de l'ayatollah saoudien Nimr al-Nimr début janvier est également à mettre à l'actif d'une escalade des tensions entre les deux grandes puissances du Moyen-Orient.

Mais la guerre en Syrie est venue décupler tout cela. La Syrie a ceci de spécifique qu'elle agrège les principales forces chiites de la région autour du régime alaouite de Bachar el-Assad : les pasdarans iraniens, le Hezbollah libanais et les milices chiites irakiennes. En face, en soutien aux forces rebelles, l'Arabie saoudite a rassemblé en décembre 2015 les groupes de l'opposition armée contre le régime (sans représentants kurdes, mais avec les islamistes d'Ahrar al-Cham). Alors que les puissances occidentales concentrent leur attention sur l'État islamique (EI), l'Arabie saoudite veut faire tomber le régime à tout prix, en soutenant et unifiant l'opposition.
Compte tenu de l'évolution des rapports de force, particulièrement depuis l'intervention russe du 30 septembre 2015, la Syrie incarne et amplifie le retour de l'Iran comme puissance régionale aux dépens de l'Arabie saoudite.

La grande solitude de Recep Tayyip Erdogan
Depuis des siècles, la Turquie représente le point de passage entre l'Orient et l'Occident, carrefour d'hommes et de cultures. Depuis le début de la guerre en Syrie, elle est justement ce point de passage, ou d'arrivée, de millions de réfugiés qui fuient les bombardements, mais aussi de milliers de jihadistes qui cherchent à rejoindre la Syrie.
L'implication d'Ankara dans le conflit syrien s'est accrue au fil des années. Mais au lieu de renforcer la Turquie, elle l'a isolée sur la scène internationale. Tout d'abord, parce que son objectif premier, à savoir la lutte contre les Kurdes, n'est partagé par personne. Pire : ses alliés de l'Otan, au premier rang desquels figurent les États-Unis, soutiennent et arment les Kurdes syriens pour lutter contre l'État islamique (EI). Dès 2011, les Kurdes de Syrie ont pour objectif de créer une zone autonome, à l'instar de ce qui se fait en Irak. La hantise turque de voir se constituer une zone autonome kurde à sa frontière, qui exciterait les revendications des Kurdes de Turquie, est de plus en plus réelle.

D'autre part, la Turquie soutient les rebelles face au régime de Bachar el-Assad. Des rebelles qui reculent, qui sont pilonnés par les frappes russes et qui ne sont plus soutenus concrètement que par l'Arabie saoudite. Ce soutien aux rebelles contre le régime a provoqué de très vives tensions entre Ankara et Moscou, allié du régime, qui entretenaient pourtant d'excellentes relations avant le début de la crise syrienne. Les relations d'Ankara s'étant largement refroidies avec Washington et Moscou, la Turquie tente de se tourner à nouveau vers Bruxelles. Engluée dans la crise des réfugiés, l'Union européenne a besoin d'Ankara pour faire barrage aux migrants. De là à soutenir ses ambitions et ses desseins en Syrie, il y a un grand pas.

Poutine, « homme le plus puissant du monde »
Pour la troisième année consécutive en 2015, Vladimir Poutine a été désigné par le magazine américain Forbes comme l'homme le plus puissant du monde. Le fait qu'il succède à Barack Obama est symbolique, et la gestion du conflit syrien y est pour beaucoup. Dans une guerre qui monopolise l'attention du monde entier, la Russie s'est positionnée comme le leader incontestable du camp de Bachar el-Assad contre les forces rebelles, et contre l'État islamique (EI) par la même occasion. Partenaires de la Syrie de longue date, les Russes sont intervenus en Syrie pour protéger leurs intérêts dans la région, comme le port de Tartous, mais pas seulement.

Pointée du doigt par l'Europe et les États-Unis après la guerre ukrainienne, faisant face à de pénibles sanctions économiques, la Syrie a également permis au pays de revenir sur le devant de la scène internationale en étant en position de force sur bien d'autres dossiers. Sur la levée des sanctions économiques par exemple, qui pourraient être levées d'ici peu.

Le retour de la Russie aux affaires au Moyen-Orient est réel, et elle pèsera de tout son poids dans les négociations pour la résolution du conflit. Sur le plan mondial, c'est surtout une victoire symbolique pour la Russie. Vladimir Poutine occupe le siège imaginaire de leader mondial, monopolisé auparavant par les Américains. S'il exerce une telle fascination sur les peuples, c'est qu'il a, en Syrie, fait main basse sur la part d'irrationnel et de transcendant que comporte le pouvoir politique.

(Éclairage : Washington et Moscou, maîtres du jeu en Syrie)

 

Quand le destin de Bruxelles passe par Damas
La guerre en Syrie est aujourd'hui le défi premier de l'Europe. Davantage que le Brexit, ou la crise financière, l'avenir de l'Union européenne (UE) se joue (aussi) au Moyen-Orient, à travers la crise des réfugiés essentiellement. Réticente à toute intervention, à toute implication dans un premier temps, hantée par son échec en Libye, l'Europe s'est retrouvée bien malgré elle en première ligne. Sur l'ensemble de l'année 2015, 1,25 million de migrants sont venus chercher refuge en Europe, et 2016 est parti sur les mêmes bases. Avant cela ? Un maigre soutien aux forces rebelles, une dénonciation totale du régime de Bachar el-Assad pour certains (la France), un appel à négocier pour d'autres (l'Allemagne), et surtout un refus d'intervenir.

C'est la terrible photo du petit Aylan, mort sur une plage en Grèce le 2 septembre 2015, qui révèle à l'Europe l'ampleur de la crise. Mais surtout, depuis cet instant, l'Europe se révèle à elle-même. Les pays des Balkans apparaissent comme consommateurs du projet européen, refusant une répartition égale des migrants ; l'Allemagne et la France affichent leur désaccord ; le Royaume-Uni observe sans broncher ce qui se passe à Calais, faisant valoir sa position insulaire, etc. L'UE est au bord de l'implosion, directement impactée par les réfugiés de la guerre syrienne. Très récemment, l'accord avec Ankara a montré que l'Europe n'était pas le maître d'un destin dont le centre de gravité s'est sensiblement déplacé vers la Syrie.

Et Barack Obama passe la main...
Les États-Unis sont les grands absents de la question syrienne. Alors que de nombreuses nations s'impliquent et se déchirent en Orient, les États-Unis vivent au rythme de la politique intérieure, des relations avec les voisins cubains et canadiens, et du pivot de sa diplomatie vers l'Asie. Contre vents et marées, ne pas intervenir est la décision du président Barack Obama. Et elle est, à l'aune de l'histoire de la diplomatie américaine, un véritable tournant.

Les États-Unis prennent conscience de la fin de l'hyperpuissance américaine. La période de l'après-guerre froide, durant laquelle George Bush père et fils combattaient « l'axe du mal », est révolue. L'Amérique intervient désormais dans le cadre d'un monde multipolaire et en fonction de ses propres intérêts. Pourtant, la ligne rouge à ne pas franchir pour le régime (l'utilisation d'armes chimiques) a été tracée par M. Obama et, ensuite, ostensiblement violée. Conscient de ce franchissement, et malgré les demandes internationales, le président américain ne démord pas de sa position à l'été 2013, au grand dam, surtout, du Français François Hollande.

La gestion de l'enjeu climatique ou l'accord sur le nucléaire iranien, sont deux exemples prégnants pour définir le mandat Obama comme réaliste et multipolaire. La Syrie, si elle a permis de révéler cette doctrine avec une si éclatante netteté, a un coût pour les États-Unis et leur président ; celui de transférer le sentiment de puissance, l'image d'une nation forte et offensive de Washington à Moscou.

 

 

Lire aussi dans notre dossier spécial Guerre en Syrie, an V

Le triple coup de Poutine pour les cinq ans de la guerre en Syrie

Le fédéralisme pour réunifier la Syrie ?, le commentaire d'Antoine Ajoury

1 001 guerres de Syrie – et une seule question, l'analyse d'Anthony Samrani

Quatre idées reçues sur la guerre en Syrie, le décryptage de Caroline Hayek

Pourquoi et comment Bachar el-Assad est encore au pouvoir, le décryptage de Lina Kennouche

Un sunnite, un chiite, un chrétien : 3 regards, 3 guerres, 3 Syrie, les témoignages recueillis par Samia Medawar

À Alep, l'hyperrésistance de Hassan et Alya, le récit de Chérine Yazbeck

Les civils en Syrie et la « responsabilité de protéger », la tribune de Tarek Mitri

Petites causes, grandes conséquences : la Syrie et le monde, c'est l'effet papillon. Si le spectre d'une « troisième guerre mondiale » pointe son nez avec insistance ces dernier mois, c'est bien parce qu'une multitude d'acteurs mondiaux sont engagés directement ou indirectement dans le conflit syrien.Cinq ans après le début des premières manifestations en Syrie, le conflit a des...

commentaires (1)

En tout cas les turcs et les bensaouds que certains huluberlus nous annonçaient comme imminemment intervenants en Syrie, n'ont pas bronché d'un pouce . Le héros Bashar est tjrs là et bien là pour des plombes , les rêveurs ne sont pas ceux qu'on indexe . Y a vraiment pas de quoi rire !

FRIK-A-FRAK

19 h 46, le 15 mars 2016

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • En tout cas les turcs et les bensaouds que certains huluberlus nous annonçaient comme imminemment intervenants en Syrie, n'ont pas bronché d'un pouce . Le héros Bashar est tjrs là et bien là pour des plombes , les rêveurs ne sont pas ceux qu'on indexe . Y a vraiment pas de quoi rire !

    FRIK-A-FRAK

    19 h 46, le 15 mars 2016

Retour en haut