À l'heure où les défis sécuritaire, migratoire et humanitaire s'amplifient, jamais les discussions politiques n'auront été aussi déconnectées de la réalité. L'Europe se barricade, les États membres se désolidarisent les uns des autres au gré des mouvements de migrants. Le rétablissement des frontières par de nombreux États foule aux pieds le principe de solidarité. L'Europe est à deux doigts de s'écrouler, et nous regardons ailleurs !
Si certains populistes espèrent la fin de l'Europe, je pense au contraire que c'est grâce à l'Europe que la situation n'est pas plus tragique. Même relatif, on a un contrôle des frontières extérieures. Même imparfait, on a un système de surveillance en Méditerranée. Même mineurs, on a des retours et des relocalisations. Et même insuffisant, on a un financement pour l'aide humanitaire.
L'absence d'unité et de diplomatie européennes ne nous empêche pas d'être d'accord sur un point : nous ne pourrons tarir les flots de migrants sans régler la question syrienne. Un acteur-clé peut aider l'Europe : la Turquie. Oui, vous avez bien lu. Je pense à la Turquie, avec qui l'UE entretient depuis longtemps une relation ambiguë. Entre partenaire stratégique et commercial incontournable, et éternel candidat à l'adhésion, nos relations sont toujours empreintes d'arrière-pensées et d'opportunisme !
Jouer à un poker-menteur avec la Turquie depuis 1987, en soufflant le chaud et le froid sur son avenir européen, en promettant la lune, puis en se rétractant : cette attitude a créé la situation actuelle et qu'on paie au prix fort. Depuis quelques semaines pourtant, le rapprochement avec le pays d'Erdogan semble faire l'unanimité, pour faire face à trois défis. Le réalisme triompherait-il de la passivité ?
Le premier défi est la lutte contre le terrorisme. La Turquie, trait d'union entre l'Europe et l'Asie, est un point de passage quasi-systématique d'Européens radicalisés partant rejoindre les zones de combat au Levant et de ceux qui reviennent sur notre territoire pour envisager ou commettre des attentats. Une meilleure coopération avec la Turquie pour renforcer les contrôles aux frontières est fondamentale. D'ailleurs, lors de la visite de Bernard Cazeneuve en Turquie, comme par miracle aucun migrant n'a franchi la frontière européenne, ce qui démontre qu'elle est capable d'arrêter les traversées.
Le deuxième défi est la crise migratoire. Depuis l'engagement européen de verser 3 milliards d'euros à la Turquie pour accueillir sur son territoire les migrants, aucune suite concrète n'a été donnée. Et, comme d'habitude, on a reporté la prise de décision au prochain sommet UE-Turquie le 7 mars... Outre la mise en route par la Turquie du plan de maintien sur son sol des migrants, il est urgent d'avancer sur les accords de réadmission. Sans cela, la pression migratoire explosera. Les efforts doivent être mutuels. La Turquie doit respecter ses engagements envers l'UE pour réduire les flux. Et l'Europe doit être cohérente, car elle ne reconnaît pas la Turquie comme un pays sûr, alors que nous lui demandons d'accueillir des migrants et de recevoir ceux non éligibles à l'asile.
(Lire aussi : Les camps de déplacés syriens à la frontière turque sont saturés)
Le troisième défi est l'issue à la guerre en Syrie. Les défis sécuritaire et migratoire sont intimement liés à ce conflit. Des millions de réfugiés syriens sont sur les chemins de l'exil, et autant aux portes de la Turquie. Nous devons absolument réconcilier Russie et Turquie, pour éviter qu'une autre guerre s'ajoute au conflit en Syrie. Nous devons nous aussi nous réconcilier avec la Russie, acteur incontournable de la crise. Dans un monde où les crises s'enchaînent et se nourrissent les unes les autres, on ne peut envisager de relever un seul défi sans s'emparer des autres. La première étape est un dialogue franc avec la Turquie, la Russie, la Syrie, l'Irak et toutes les puissances régionales. Quoi que l'on pense de Bachar el-Assad, il est dans la même position que Milosevic en son temps. La paix passe par lui, ce qui ne veut pas dire qu'il n'aura pas à rendre des comptes.
Le sommet du 7 mars doit être celui du courage et de la responsabilité, avec une volonté politique infaillible pour obtenir de la Turquie de la clarté et de l'engagement, et un langage de vérité de l'Europe. Dans cette crise sans précédent, le monde nous observe, et nous assistons, impuissants, à un naufrage institutionnel et moral. Sommes-nous seulement capables de nous indigner sur des images tragiques, de signer des pétitions, de nous engager a minima par bonne conscience ? C'est tout le contraire de la politique. Devons-nous attendre un nouvel attentat pour coopérer dans la lutte contre la radicalisation ? Un embrasement en Europe à l'égard des migrants ? La politique aujourd'hui n'est-elle qu'une somme de réactions à chaud où nous courons après les sondages d'opinion ? Je ne le crois pas, du moins ce n'est pas ma conception de la politique et de la grandeur de l'Europe.
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commentaires (7)
Bien pensante de Paris 7, sais tu que la Turquie est sous l'emprise des Frères Musulmans, lesquels ont armé les terroristes qui ont fait fuir les migrants vers la Turquie... CQFD . Il faut de la clarté, faire sortir la Turquie de l'OTAN si elle ne fait pas le nécessaire pour l'Europe.
Sam
13 h 43, le 06 mars 2016