Depuis 2001, la Rencontre de Saydet el-Jabal, du nom du couvent à Fatqa qui l'avait abritée sous l'occupation syrienne, s'acharne à démontrer le lien causal entre les valeurs chrétiennes et l'engagement citoyen pour l'édification d'un État de droit. Ces valeurs sont vouées à libérer l'individu, donc à l'inciter à dépasser sa stricte appartenance communautaire. Ce présupposé donne à la Rencontre une dimension plurielle, qui en fait une plateforme nationale de réflexion et de dialogue annuel, autour de la question libanaise.
L'un des textes fondateurs en est d'ailleurs l'Appel de Beyrouth, document consensuel élaboré en 2004 par des personnalités membres, à l'époque, du Rassemblement de Kornet Chehwane (notamment Farès Souhaid et Samir Frangié sous la houlette du patriarche Nasrallah Sfeir), et des figures de la société civile (Saoud el-Maoula, Mohammad Hussein Chamseddine, entre autres) toutes appartenances confondues : il s'agissait d'une proclamation solennelle du désir de tourner la page de la guerre civile et d'une réaffirmation de la volonté des Libanais de vivre ensemble. Une réunion de débat autour de ce texte avait alors été programmée dans la banlieue sud. Interdite à l'époque par l'appareil sécuritaire libano-syrien, c'est la rencontre de Saydet el-Jabal qui en sera le cadre quelques jours plus tard.
Il se dégagera de la lecture de l'Appel de Beyrouth un premier principe : la corrélation entre consensus (ou l'unité nationale) et la souveraineté, dans le prolongement du pacte national de 1943. S'il venait à se dissocier du combat souverainiste, le consensus serait un non-sens, et prétexte à des abus. De même qu'une souveraineté revendiquée par une partie des composantes du pays ne saurait s'accomplir.
Quelques mois à peine après l'intifada de 2005 et l'alliance quadripartite survenue lors des législatives, cette lecture était déjà mise au défi. La Rencontre de Saydet el-Jabal s'était alors activée à redéfinir le domaine du consensus autour d'une idée centrale : la nécessité (déjà en 2005) de raviver l'esprit du 14 Mars.
L'autocritique que la Rencontre s'est soucié d'effectuer est un fait qui a contribué à renforcer l'autorité de son discours. Le souci de concilier des discours divergents y est saillant : l'un des exemples porte sur la question de mémoire. Saydet el-Jabal a ainsi écarté l'idée, entretenue officiellement, selon laquelle le passé de guerre ne peut être revisité, au risque de compromettre l'avenir : consacrant l'exigence de vérité, la Rencontre avait pris soin de la nuancer, en refusant les discours passéistes qui se nourrissent des violences de la guerre.
La conciliation des divergences se veut donc un réajustement des discours, dans un sens favorable à la potentialisation du citoyen : les manipulations politiques, propres aux parties hégémoniques qui imposent leur lecture des principes fondateurs de notre République, sont dénoncées. Et les contradictions du tissu libanais, alors qu'elles sont instrumentalisées par les discours de la haine, deviennent, dans l'antre de Saydet el-Jabal, un plaidoyer en faveur de la non-violence.
(Pour mémoire : Hariri tente d'amorcer un retour aux fondamentaux du 14 Mars)
Et depuis l'éclosion du printemps arabe, les travaux de Saydet el-Jabal se concentrent sur l'élaboration de repères pour les démocraties futures, puisés dans le modèle libanais de vivre-ensemble.
Depuis 2011, la Rencontre a en quelque sorte servi de soupape à la modération, en manque de support devant la montée des extrêmes dans la région. Son discours s'est ainsi fondé sur un rejet de la peur : face au fondamentalisme, le repli identitaire serait un mal avéré – il justifierait le maintien des dictatures, l'autre revers du fondamentalisme, par obsession de protection – et inefficace – il favoriserait l'effritement de l'État, seule garantie de la modération. L'enjeu pour les chrétiens ne serait donc pas de se rallier à une alliance des minorités, mais à une alliance nationale pour la démocratie.
Cette année, la Rencontre de Saydet el-Jabal qui se tient demain à Fatqa doit adapter ce discours à l'actualité de la région (la guerre arabo-iranienne déclarée) et à celle du pays (une stagnation propice au brouillage des repères), sous l'angle du rôle des chrétiens.
« Face au grand tournant de l'histoire que traverse la région, dont les frontières pourraient changer, les chrétiens sont invités cette année encore à réfléchir aux choix à effectuer pour éviter de se placer en position de victimes », affirme ainsi l'ancien député Farès Souhaid à L'Orient-Le Jour. C'est ainsi « une analyse collective des événements » qui est attendue, avec un souci accru d'y faire participer des acteurs arabes. « Des politiques et des penseurs chrétiens, jordaniens et syriens se joindront aux intellectuels et représentants de partis politiques libanais, puisque la dimension de ce séminaire, autant que la question chrétienne, dépasse le terrain libanais », explique-t-il. Il s'agira dans un premier temps d'identifier « l'alternative quasi impossible à laquelle les modérés sont confrontés : le vilayet ou le califat ».
Face à « ces choix dangereux », Saydet el-Jabal prévoit d'abord de poser des questions plus affûtées. « Comment les chrétiens libanais doivent réagir au conflit sunnito-chiite ? Doivent-ils s'allier avec un camp contre un autre, ou bien jouer à la Croix-Rouge politique ? Sinon, y a-t-il un moyen alternatif, qui servirait mieux leur engagement démocratique ? Mais avant cela, les chrétiens de la région peuvent-ils apporter quelque contribution effective ? Ont-ils quelque chose à dire ? Plus encore, font-ils partie du tissu social libanais et régional, ou bien sont-ils là par hasard ? » : ces questions, ainsi énumérées par Farès Souhaid, devraient ouvrir la voie à des pistes de réflexion peu explorées, par le biais d'un regard nouveau. L'intervention de l'intellectuel syrien chrétien Michel Kilo est ainsi attendue à Saydet el-Jabal, de même que celle de l'ancien vice-Premier ministre jordanien, Marwan Moacher, ou encore de l'ancien ministre Tarek Mitri. L'évêque Youssef Béchara, ancienne figure de proue de Kornet Chehwane, devrait également prononcer une allocution, de même que l'ancien député Samir Frangié.
En contrepartie, les participants seront appelés à apporter des réponses nouvelles, « plus approfondies », qui tranchent avec « les approches simplistes et réductrices », selon lesquelles « une loi électorale plus juste, la décentralisation ou encore la tenue de la présidentielle suffiraient à satisfaire au rôle des chrétiens ». « L'enjeu est plus complexe : il s'agit d'éviter que les chrétiens soient rayés de la carte sociopolitique de la région », explique Farès Souhaid. Le danger ne serait pas celui d'une élimination démographique des chrétiens, mais celui d'un évidement de leur présence. « Vecteurs de la modernité », les chrétiens arabes et libanais risquent de se réduire à un « corps uniforme frileux », que les parties aux conflits exploiteront et puis délaisseront. Le premier pas pour contrecarrer ce risque serait d'éviter à tout prix « le mimétisme du modèle communautariste », conclut-il.
Preuve de la volonté de se doter d'une dimension exécutive, Saydet el-Jabal devrait évoluer cette année vers une structure plus politique, en se dotant pour la première fois d'un comité politique, qui se veut comme la première pierre d'un vaste réseau politique libanais de modérés en gestation, à la recherche d'interlocuteurs dans la région et dans le monde.
Pour mémoire
Retour aux sources, l'édito de Michel TOUMA
Rouillard : L’avenir des chrétiens du Liban est au Liban, non en Europe
commentaires (3)
Et depuis l'éclosion du printemps arabe, les travaux de Saydet el-Jabal se concentrent sur l'élaboration de repères pour les démocraties futures, puisés dans le modèle libanais de vivre+ensemble. TOUT COMMUNAUTARISME EST PAR ESSENCE HEGEMONIQUE/CONFLICTUEL CAR ELLE PRESUPPOSE LA PREFERENCE COMMUNAUTAIRE CONTRE LES AUTRES COMMUNAUTEES. COMMUNAUTARISME ET VIVRE ENSEMBLE SONT DONC ANTAGONIQUES LA SOLUTION RESIDE DANS LE SECULARISATION OU LA LAICITE REPUBLICAINE. OR COMME L'ISLAM QUI EST RELIGION ET ETAT,RELIGION ET SOCIETE NE PEUT ACCEPTER LA LAICITE REPUBLICAINE SOUS PEINE DE SE RENIER ET DE SE TAKFIRISER LA SOLUTION AU VIVRE ENSEMBLE RESIDE DONC DANS LE FEDERALISME QUI DONNE/GARANTIT A CHAQUE COMMUNAUTE LA POSSIBILITE DE JOUYIR DE SON AUTOGLORIFICATION/AUTOADORATION IDENTITAIRE,TOUT EN PERMETTANT AUX COMMUNAUTEES NON MUSULMANES DE S'ORIENTER VERS LA LAICITE ET LA CITOYENNETEE REPUBLICAINES DANS LE CADRE DE LEURS PROPRES CANTONS.LAICISEES.
Henrik Yowakim
17 h 25, le 27 février 2016