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Moyen Orient et Monde - Témoignages

Rester ou partir ? Le dilemme des jeunes chrétiens d’Alep

Antoine et Tony sont aleppins. Leurs parcours ne diffèrent que sur quelques points. Regard sur deux destins croisés...

Une vue d’Alep en ruine. Photo archives AFP

« Si je quitte Alep pour devenir pompiste à Beyrouth, non merci », s'écrie Antoine Addoumieh. Ce jeune homme de 28 ans est le seul de sa famille à vivre encore à Alep. Les autres sont, pour la plupart, allés s'installer à Tartous, ville côtière, à majorité alaouite.
Depuis l'offensive d'Alep en 2012 et la scission de la ville en deux parties, l'ouest aux mains du régime et l'est contrôlé par divers groupes rebelles, Tartous est devenue le refuge de nombreuses familles chrétiennes syriennes. Tartous et ses appartements en bord de mer ont été pris d'assaut, comme ce fut le cas de Tabarja à l'époque de la guerre libanaise.

Là-bas, « on ne sent même pas qu'il y a la guerre », raconte de son côté Tony, 37 ans, également aleppin. En septembre 2012, un obus fait exploser l'immeuble mitoyen du sien, rue Villat, dans le quartier chrétien de Suleimaniya. Craignant d'être une prochaine victime, il plie bagage, direction Tartous. Un mois plus tard, c'est son immeuble qui s'effondre. Son business aussi. Ironie du sort, son usine fabriquant des portes blindées, située à al-Schkayef, dans une des zones industrielles d'Alep, ne résiste pas à l'assaut des rebelles en 2012. « En tant que chrétien, il était interdit pour moi de m'approcher de ma compagnie, sinon ils m'auraient enlevé ou tué. Nous sommes des "kuffar" (infidèles) à leurs yeux, et ils se sont octroyé le droit de tout piller, raconte Tony. Les musulmans, eux, ont eu la permission de récupérer le gros de leur matériel et de leurs machines. »

Les rares chrétiens qui parviennent à sauver une partie de leurs biens doivent user de tours de passe-passe. « Nous avons dû payer quelqu'un afin qu'il nous ramène certaines de nos machines, mais les trois quarts ont été volées et probablement vendues en Turquie », raconte pour sa part Antoine Addoumieh. Depuis, le jeune homme n'a plus revu les trois usines familiales, mais continue tant bien que mal à faire bouillir la marmite.
Quand la route reliant Alep à Tartous est ouverte, et sans danger, Antoine part se reposer chez les siens. Dans son quartier d'al-Jdeideh, comme dans le reste de la ville, l'électricité n'est pas revenue depuis six mois. Les générateurs et les fils électriques défigurent les immeubles déjà meurtris par les balles. « J'ai pris deux ampères pour chez moi, car je suis seul. C'est suffisant pour allumer quatre lampes et charger mon téléphone », poursuit-il. La majorité des Aleppins vit avec 1 ampère ou 2. Seuls quelques nantis peuvent se permettre davantage. Le réseau 3G reste, aujourd'hui encore, particulièrement mauvais. « Si je veux vous envoyer un "bonjour" sur WhatsApp, il risque d'arriver une heure plus tard sur votre écran, si ça arrive », plaisante Antoine.

(Lire aussi : Les chrétiens d’Alep, des morts (presque) sans sépulture...)

 

Le rêve australien
À la tête de ce qui reste de la compagnie familiale, il gère une dizaine d'employés, qui ne peuvent évidemment pas se permettre d'avoir le même train de vie. Le salaire mensuel moyen d'un employé à Alep est aujourd'hui de 50 dollars. Survivre au gré des tirs de mortier, qui surgissent inopinément, est le quotidien des Aleppins, et ce, des deux côtés de la ville. « Le plus dur, c'est de vivre dans l'incertitude. Des bombes peuvent vous tomber dessus à tout moment », raconte Antoine. La ville est devenue un véritable labyrinthe, où certaines rues, truffées de snipers, sont à éviter. Les loisirs et autres distractions sont devenus rares. « J'évite les terrasses de cafés, je me mets à l'intérieur. On voit des gens mourir tous les jours, comment ne pas avoir peur ? » poursuit le jeune homme.
Tony n'était pas retourné à Alep depuis quatre ans. Ce n'est que la semaine dernière qu'il est revenu dans sa ville pour assister à des funérailles. « Je n'en ai pas cru mes yeux. Je ne reconnaissais plus rien. Même les gens ne sont plus ce qu'ils étaient », confie-t-il.
Ses parents, qui se refusaient à partir, n'attendent plus que la route soit libérée par l'armée pour rejoindre leur fils, qui vit à Tartous avec sa femme et ses deux enfants. « Je loue un appartement à Mansourieh, donc je suis souvent au Liban », raconte-t-il. Mais il ne laisse jamais son magasin de Tartous seul très longtemps. Sa sœur a cédé à la tentation de l'exil, en rejoignant le Canada en janvier dernier.

Tony, lui, a fait une demande d'immigration vers l'Australie, « parce qu'il y fait plus chaud qu'au Canada » et que « les aides apportées aux Syriens y sont plus nombreuses ». Bilingue et anglophone, il espère réussir à obtenir un permis de séjour, même s'il est conscient que la procédure peut prendre plus d'un an et demi. La politique migratoire de l'Australie figure parmi les plus dures du monde.
Antoine Addoumieh, en revanche, refuse pour l'instant de fuir son pays, même s'il constate que la grande majorité des chrétiens n'a pas hésité à le faire. « Je suis quelqu'un de diplômé, directeur de la compagnie familiale. Si je pars, je vais où ? Me retrouver vendeur en prêt-à-porter à Beyrouth? Vous-même, les Libanais, avez du mal à trouver un emploi », s'exclame-t-il. Il figure parmi les rares Syriens issus de la minorité chrétienne à exclure un départ de cet enfer de guerre, qui dure depuis cinq ans déjà.

 

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