Laisser passer le gros de la tempête, en essayant de limiter les dégâts, tel semble être le mot d'ordre actuel au sein du ministère des Affaires étrangères. Pour qui suit les développements des deux derniers mois, la soudaine campagne contre le ministre Gebran Bassil paraît surprenante car, d'une part, les concertations étaient permanentes entre lui et le Premier ministre Tammam Salam et, d'autre part, la position du ministre ne mérite pas une telle levée de boucliers. Un rapide rappel des faits s'impose, sachant que depuis sa prise en charge du portefeuille des Affaires étrangères, M. Bassil a adopté une politique cohérente et réaliste, qui constitue un mélange de fidélité à des principes clairs et de conscience de la spécificité libanaise qui se résume à une vision du rôle du Liban en tant que pont entre les religions et les civilisations et espace de dialogue, même quand cela paraît difficile.
Le 24 décembre 2015, donc, une réunion extraordinaire de la Ligue arabe s'est tenue au Caire au niveau des ministres des Affaires étrangères. L'ordre du jour était alors consacré à condamner l'incursion turque en territoire irakien et cette réunion s'était tenue à la demande de l'Irak. Le Liban avait d'ailleurs été le troisième pays arabe à déclarer son appui à ce pays et à condamner les ingérences externes dans les affaires arabes.
Le 6 janvier 2016, c'est l'Arabie saoudite qui demande une réunion extraordinaire de la Ligue arabe pour condamner l'agression contre son ambassade à Téhéran et son consulat général à Machhad. Comme précédemment pour l'Irak, le Liban condamne cette double agression, d'abord par solidarité avec les pays arabes et avec l'Arabie saoudite en particulier, mais aussi parce que l'agression en elle-même est condamnable et viole les dispositions de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques et celle sur les relations consulaires. Le ministre publie donc un communiqué en ce sens et il le relit officiellement lors de la conférence de presse conjointe avec son homologue autrichien en visite à Beyrouth le 8 janvier. Le 10, il se rend au Caire pour participer à la réunion extraordinaire de la Ligue arabe. Au cours des contacts préliminaires, Gebran Bassil condamne violemment l'agression contre l'ambassade et le consulat saoudiens en Iran, mais en même temps, il penche pour des tentatives d'absorber la crise, en se basant sur la nécessité du dialogue et de la construction de ponts, spécialité libanaise par excellence.
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Au cours des rencontres informelles avec ses homologues arabes, il entend des critiques adressées à l'Arabie saoudite et des appels au calme et à éviter toute précipitation. Mais le soir même, un projet de décision est distribué aux ministres dans lequel l'Iran est condamné pour aider et protéger le terrorisme. M. Bassil explique alors au secrétaire général de la Ligue arabe que le Liban ne peut qu'émettre des réserves sur cette qualification de l'Iran, rappelant qu'il a déjà fermement condamné la double agression contre les représentations diplomatiques saoudiennes. Le secrétaire général de la Ligue arabe Nabil el-Arabi exprime sa compréhension de l'attitude libanaise. D'autres ministres arabes ont aussi la même attitude, conseillant au chef de la diplomatie libanaise d'enregistrer ses réserves. Le ministre choisit d'adopter une position de distanciation (une position politique consistant à rester à l'écart d'un sujet en raison d'un contexte politique national précis). Cette position ne bloque pas l'unanimité et est considérée comme une sorte de présence passive. Cette attitude avait d'ailleurs été adoptée par le Liban lorsqu'il a été membre non permanent du Conseil de sécurité de l'Onu en 2010 et 2011. Plusieurs déclarations présidentielles (ces déclarations doivent être adoptées à l'unanimité des 15 membres du Conseil de sécurité de l'Onu) sur la Syrie avaient été adoptées et le Liban avait alors choisi la politique de distanciation sans que cela mette en cause l'unanimité.
Le 10 janvier au Caire, des ministres arabes avaient donc émis des réserves sur certains paragraphes de la décision finale, mais le Liban, lui, s'était contenté de se distancier pour ne pas mettre en cause l'unanimité arabe. La décision finale est adoptée. Mais en parallèle, un communiqué est soumis aux ministres arabes. Il condamne clairement le Hezbollah et qualifie ses activités de terroristes à Bahreïn. M. Bassil exprime ses réserves, mais le ministre des AE de Bahreïn refuse de retirer la phrase mettant en cause le Hezbollah. L'Arabie saoudite appuie la position de Bahreïn et le Liban explique qu'il ne peut pas l'accepter, appelant ses frères arabes à comprendre sa position. À la fin de la séance, les ministres arabes, dont le saoudien, serrent la main de M. Bassil en guise de compréhension à l'égard de son attitude.
Deux jours plus tard, une réunion de l'Organisation de la coopération islamique se tient à Djeddah. Comme il ne s'agit plus d'une réunion de la Ligue arabe, il n'y a pas d'exigence d'unanimité, d'autant que l'Iran et d'autres pays musulmans comme l'Indonésie y participent. Le communiqué soumis à la discussion prévoit l'appui aux mesures saoudiennes de retrait des diplomates d'Iran. Téhéran refuse, l'Algérie émet des réserves écrites et le Liban représenté par son ambassadeur à Riyad s'en tient, sur instruction du ministre, à sa position de distanciation.
Quatre jours plus tard, une réunion à huis clos des ministres arabes des Affaires étrangères se tient à Abou Dhabi. Entre-temps, la presse saoudienne avait publié des éditoriaux critiques à l'égard du Liban. Les ministres arabes font des reproches à leur homologue libanais et se plaignent du Hezbollah. M. Bassil répond que cette formation ne parle pas au nom de l'État libanais, ajoutant que seul le gouvernement le fait. Certains expriment leur compréhension, d'autres restent sur leur position. Au cours de cette réunion, Gebran Bassil a été le seul à évoquer la Palestine... Il ne s'attendait en tout cas pas à la cabale menée contre lui une fois rentré au Liban. D'autant qu'en 1963, l'Arabie saoudite avait elle-même adopté une attitude de distanciation au sujet d'une décision qui condamnait l'intervention britannique au Yémen, en dépit de l'unanimité arabe. Toujours à cette même époque, Philippe Takla, alors ministre des Affaires étrangères du Liban, avait adopté une position de distanciation à l'égard de deux conflits, celui du Yémen et celui qui opposait l'Égypte et la Syrie.
La campagne d'aujourd'hui n'aurait donc pas lieu d'être sauf que les circonstances ont visiblement changé et que l'approche arabe est différente. Mais le ministre des AE reste égal à lui-même, défendant les intérêts de son pays et son rôle particulier d'espace de raison et de dialogue dans la tourmente actuelle.
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commentaires (8)
Ou est la verite ???? qui est responsible devant Dieu et les hommes ????prudence analyse entente sont de rigueur exactitude claret....
Soeur Yvette
16 h 51, le 26 février 2016