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Liban - Note de lecture

« Le patrimoine architectural de l’Église orthodoxe d’Antioche » : recherche fondamentale ou interrogations autour de l’identité ?

« ... Et c'est à Antioche que, pour la première fois, le nom de "chrétiens" fut donné aux disciples » (Actes des Apôtres 11, 25-26). Fidèle au dépôt originel de la foi, reçue et transmise depuis les premiers temps apostoliques, l'Église d'Antioche a développé dans sa pérégrination historique un charisme « d'intelligence des situations » qu'elle tient de sa position « carrefour », à la confluence des civilisations, religions, cultures et langues de l'Orient. Siècle après siècle, épreuve après épreuve, écueil après écueil, défi après défi, espérance après espérance, le vécu chargé et marqué de cette Église a forgé son identité en la faisant asseoir sur le socle de la culture du dialogue, de l'altérité et du brassage. Son charisme a été celui d'une Église « pont » qui cherche à relier les rives opposées, et non à les opposer. D'une Église « pacificatrice » qui cherche à dépasser les frontalités, et non à les exacerber. D'une Église du « rassemblement » qui cherche à relativiser les enjeux des conflits et à signifier l'essentiel. Une Église qui cherche constamment à vivre la tension de « l'unité dans la diversité ».
Un des marqueurs génétiques de cette Église lui provient principalement de son emblème originel, celui de ses deux cofondateurs, Pierre et Paul, les deux coryphées des apôtres. C'est sous le signe de la belle icône de la « Concordia apostolorum », « l'entente des Apôtres », où Pierre et Paul s'entrelacent dans une circularité sans domination de l'un sur l'autre, qu'Antioche a su développer son logiciel ecclésial mettant constamment en corrélation l'unité et la diversité. L'unité sans la diversité, c'est le règne du monolithique et les dangers du totalitarisme. La diversité sans l'unité, c'est la désorganisation du principe de décision, c'est la dispersion des charismes et le chaos destructeur, tout le contraire du « rassemblement » édifiant.
Ce double socle de l'unité et de la diversité est parfaitement illustré dans la publication que vient de faire paraître l'Université de Balamand (Liban-Nord), qui dépend du patriarcat grec-orthodoxe d'Antioche et de tout l'Orient. Le patrimoine architectural de l'Église orthodoxe d'Antioche, perspectives comparatives avec les autres groupes religieux du Moyen-Orient et des régions limitrophes est un ouvrage exceptionnel par la richesse de son contenu et l'exhaustivité de ses illustrations, mis en chantier sous la haute direction de May Davie, directrice du département « patrimoine religieux : art et architecture » à l'Institut d'histoire, d'archéologie et d'étude du Proche-Orient de l'Université de Balamand et chercheuse associée au CeTHIS de l'Université François-Rabelais de Tours, en France. Ce travail monumental d'excavation, de recensement et de marquage des sites et des édifices, qui a débuté en 2004 et qui se poursuit toujours, illustre la très grande variété du « patrimoine architectural » de l'Église orthodoxe d'Antioche. Il est emblématique aussi de l'ampleur et de la richesse des styles qui traversent les différentes zones géoculturelles et civilisationnelles de cette Église. Des chapelles troglodytes, des édifices en style vernaculaire en berceau et en arcade, du style roman syro-libanais, du style prémoderne, du style syncrétiste levantin, du style néobyzantin et celui du grec moderne, etc., autant de styles qui s'interpénètrent et copulent ensemble, reflet de la position géo-historique et culturelle « carrefour » de cette Église, au confluent des cultures et civilisations.
La grande particularité du livre réside dans la « mise en relation » des traits saillants du patrimoine orthodoxe antiochien avec ceux des patrimoines des autres groupes religieux du Moyen-Orient et des régions limitrophes. Une approche comparative qui en dit long sur les caractéristiques communes de l'immuable et du changeant et qui en dit long, aussi, sur le degré d'enfantement artistique et spirituel opéré par l'Église d'Antioche chez les autres, qui deviennent ainsi des cousins, membres d'une même famille.
Le livre exprime page après page une sorte de « fièvre patrimoniale ». S'agit-il là uniquement de l'expression d'une « nostalgie » visant à préserver un passé révolu et une gloire passée ? Comment ne pas lire entre les lignes de ce livre une invitation à une réflexion critique, à travers cette rétrospection, quant à l'aujourd'hui de l'identité antiochienne, et des chemins de sa projection et de son renouveau dans ce Moyen-Orient éprouvé et tourmenté ? En effet, la question de « l'identité » est au cœur de la problématique de toute recherche fondamentale autour du patrimoine. Cette problématique transpire et traverse tout l'ouvrage, de bout en bout. Elle interpelle l'aujourd'hui de l'identité orthodoxe antiochienne au regard des marqueurs d'hier. Cette recherche fondamentale ne peut être réduite aux travaux (importants en soi) scientifiques et académiques d'excavation archéologique d'un dépôt civilisationnel, socio-historique, artistique et culturel qui nous provient du passé. C'est aussi, in fine, et surtout, une recherche sur les « marqueurs » identitaires d'une région et un test du degré de stress, positif ou négatif, du vécu identitaire. L'identité est à la fois un facteur d'altérité ou de repli, de dépassement ou de crispation, de confiance ou de défiance. Elle constitue un millefeuille invisible sur lequel nous nous appuyons comme sur un socle pour se projeter vers l'avenir, à partir du présent-passé et du passé-présent. Les édifices ne sont pas alors que des racines et des fondations du passé mais une source de vie porteuse de message, de cohérence, de dépassement et de créativité. L'identité-altérité est un facteur de mise « en confiance », synonyme de fluidité et de créativité. L'identité-repli est un facteur de « défiance », de stress, de tensions négatives et de crispations. Qu'en est-il de l'aujourd'hui de l'identité orthodoxe antiochienne ? Repli ou renouveau ?

« ... Et c'est à Antioche que, pour la première fois, le nom de "chrétiens" fut donné aux disciples » (Actes des Apôtres 11, 25-26). Fidèle au dépôt originel de la foi, reçue et transmise depuis les premiers temps apostoliques, l'Église d'Antioche a développé dans sa pérégrination historique un charisme « d'intelligence des situations » qu'elle tient de sa position...

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