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Liban - Témoignages

Trois hommes racontent à « L’Orient-Le Jour » le cauchemar quotidien à Raqqa...

Il est de plus en plus difficile aux ressortissants syriens de se déplacer entre Beyrouth et les villes syriennes. Pour les rares chauffeurs de bus syriens, la capitale libanaise est une belle échappatoire.

La gare routière Charles Hélou, autrefois noire de monde.

Il fut un temps où la gare routière Charles Hélou grouillait de monde. C'était avant la guerre de Syrie. Tous les jours, douze bus partaient de Beyrouth vers la Syrie. Ils desservaient Alep, Tartous, Raqqa, Kamichli... Il y avait également des dizaines de taxis-service qui partaient au quotidien de Beyrouth à Damas en passant la frontière de Masnaa. Bus et taxis-service transportaient des ouvriers et des touristes syriens, ainsi que des Libanais se rendant en Syrie. Il y avait même des bus qui reliaient directement le Liban à la frontière turque, et Beyrouth à Amman.
Aujourd'hui, la gare routière, de jour comme de nuit, offre un spectacle de désolation. Les taxis-service attendent de rares clients qui paieront 20 dollars par personne l'aller à Damas. Les autocars qui reliaient Tartous à Beyrouth ont été remplacés par des minibus. Des douze véhicules quotidiens, il ne reste que quelques bus hebdomadaires reliant la capitale libanaise aux diverses villes syriennes ; ils sont presque vides. Désormais, si un bus effectue le trajet avec dix passagers à bord, on peut considérer que le chauffeur a eu beaucoup de chance.

Les Libanais ne partent certes plus en Syrie pour faire du tourisme ou du shopping et, à l'inverse, les Syriens ne peuvent plus circuler facilement entre le Liban et son grand voisin.
En 2014, le gouvernement libanais a mis en place une règlementation pour contrôler l'arrivée des ressortissants syriens dans le pays. Cette règlementation, semblable à un visa, exige notamment des voyageurs de montrer à leur arrivée à la frontière une réservation d'hôtel ou encore une carte de séjour délivrée uniquement grâce à l'intercession d'un garant libanais. Cela pour entrer au Liban. Pour quitter la Syrie, il faut garantir des routes plus ou moins sûres, comme c'est le cas pour les bus et les taxis-service se rendant à Damas, Tartous et Alep. Le trajet Beyrouth-Alep coûte 30 dollars. Avant la guerre, trois bus reliaient Alep à Beyrouth.
Trois destinations sont les plus dangereuses. Souvent les chauffeurs ont affaire à des miliciens de tout bord qui demandent à être payés, et parfois, ils sont pris entre deux feux... Ce sont des bus reliant Beyrouth aux villages aux alentours d'Alep, ceux aux alentours de la ville de Raqqa et à Raqqa même. C'est le même véhicule qui relie Beyrouth aux villages d'Alep et de Raqqa. Il quitte la gare Charles Hélou tous les mercredis à 19h30.


(Lire aussi : Comment témoigner de la (sur)vie à Raqqa sans se faire tuer par Daech)

 

Amertume et humour
Mercredi dernier, il est parti avec cinq voyageurs syriens de la capitale libanaise. L'un d'eux est maçon. Il travaille au Liban depuis 25 ans et il se rend dans son village natal dans le district de Raqqa une fois tous les trois mois. Ses papiers sont en règle et son sponsor est son patron libanais depuis des années. En Syrie, il reste quelques jours avec sa famille pour revenir ensuite au Liban. La peur se lit dans son regard et il préfère ne pas en dire plus aux journalistes qui l'interrogent.
Un autre bus part tous les samedis, à 18h, de Beyrouth à Raqqa. Le trajet dure 15 heures et coûte 50 dollars. Avant la guerre de Syrie, un bus quotidien partait de la capitale libanaise à Raqqa. Les chauffeurs se reposaient 24 heures et repartaient ensuite. Aujourd'hui, chauffeurs et contrôleurs (les hommes qui s'asseoient à la droite du chauffeur) passent une semaine au Liban avant de repartir.

Trois d'entre eux, originaires de Raqqa, racontent leurs périples.
Ils sont tous habillés de jeans. Ils sont tous les trois âgés de 29 ans. Ils arborent une barbe légère et préfèrent témoigner sous de faux prénoms pour préserver leur sécurité une fois de retour dans leur ville. Pour eux, Beyrouth est devenue leur seul échappatoire pour respirer loin des lois appliquées dans leur localité par le groupe État islamique. Ces hommes avouent aimer boire, fumer et regarder des filles habillées normalement et non drapées de noir. Ils indiquent aussi que la moitié des miliciens de l'EI présents à Raqqa sont des étrangers, notamment des Tunisiens, des Marocains, des Algériens et des Afghans. Des femmes du Maghreb arabe, notamment de Tunisie, sont avec eux. C'est avec beaucoup d'amertume mais aussi avec beaucoup d'humour qu'ils racontent leur vie.


(Lire aussi : Raqqa, la "ville modèle" du califat de l'EI)

 

80 dollars pour quatre cigarettes
Alaa est contrôleur à bord du bus Beyrouth-Raqqa. Il porte un jean délavé et déchiré, tire sur sa cigarette en parlant et sourit quand il évoque la chance qu'il a de venir régulièrement à Beyrouth.
« Regardez mon jean. Je ne peux pas le mettre à Raqqa. J'ai une gallabiya dans le bus que j'enfile quand on arrive à la frontière de l'État islamique. Ma barbe, je leur ai expliqué que je ne pourrais pas la porter comme eux, longue et broussailleuse. Je leur ai dit que je passe des barrages de diverses factions et avec une barbe à la façon de l'EI, je risque de me faire arrêter. C'est interdit de fumer, de boire, d'écouter de la musique... Je ne sais pas si je pourrais encore tenir un an à Raqqa.
« Il y a quelques semaines en rentrant de Beyrouth, j'avais oublié un paquet de cigarettes dans ma poche. Il y restait quatre cigarettes. Au barrage, à l'entrée de Raqqa, le milicien l'a vu, l'a ôté de ma poche, l'a jeté loin puis m'a obligé à le ramasser. Il m'a forcé aussi à payer 80 dollars, 20 dollars par cigarette, a confisqué le paquet et m'a infligé dix coups de fouet.
« Souvent sous le manifeste du bus (liste énumérant les passagers à l'instar des manifestes des avions), nous leur glissons de l'argent pour nous faciliter la tâche. Il est très difficile aux hommes et aux femmes de moins de 40 ans de partir. Pour eux, une femme âgée de plus de 40 ans ne sert plus à rien et un homme de plus de 40 ans ne peut plus porter les armes.
« Il y a beaucoup d'étrangers dans les rangs de l'État islamique, mais il y a aussi de nombreux Syriens, des habitants de Raqqa qui ont été aveuglés par l'argent. L'EI paie un salaire minimal de 600 dollars par mois pour ses hommes. Selon les tâches confiées, ce salaire peut atteindre les 2 000 dollars mensuels. »


(Lire aussi : Quand les sirènes hurlent à Raqqa, l'EI se terre)

 

« Si je vois ma mère dans la rue, je ne la reconnaîtrai pas »
Omar était footballeur professionnel. Né à Deir ez-Zor, il habitait Raqqa. Il y a six mois, il a décidé de venir au Liban pour travailler. Il sait qu'il devrait rentrer en Syrie dans quelques mois à cause de son contrat libanais qui arrive à expiration.
« J'étais footballeur. J'encaissais l'équivalent de 400 dollars par mois. Je vivais bien. J'étais heureux. Puis ils sont venus. Ils ont interdit le sport et les rassemblements sportifs. Je suis venu au Liban. Il ne m'a pas été facile de traverser. Il a fallu faire des pieds des mains pour qu'ils me permettent de partir. Je suis presque venu en cachette, dans un bus. Mes amis m'ont trouvé un travail à la gare routière Charles Hélou. J'encaisse 10 dollars par jours. Tout est mieux que de vivre sous la coupe de l'État islamique. J'aime boire, fumer, danser. J'aime les femmes. Je ne peux pas concevoir une ville où les femmes sont invisibles sous de lourds tissus noirs. Si je vois ma mère ou ma sœur dans la rue, je ne la reconnaîtrai pas. Comment voulez-vous que je me marie si je ne vois pas la fille que je vais épouser ? Comment je vais l'aimer si je ne la fréquente pas, au moins un peu ? »
Mohammad est originaire de Raqqa, il est chauffeur de bus. Mais il ne prend pas le chemin de sa ville natale. Il travaille sur la ligne de Beyrouth-rif de Damas. Il a décidé il y a quelque temps de quitter Raqqa pour s'installer aux alentours de la capitale syrienne, son permis de conduire un bus lui permettant de se déplacer. Il se rend pourtant régulièrement à Raqqa pour visiter les siens.


(Lire aussi : Les chrétiens d'Alep, des morts (presque) sans sépulture...)

 

Des bordels à Raqqa
« Aux premiers mois de l'instauration de l'État islamique, les habitants de Raqqa prétextaient des maladies pour pouvoir quitter la ville. Depuis plusieurs mois, il leur est devenu impossible de fuir de cette façon. Si quelqu'un tombe malade, on l'oblige à se faire soigner dans des hôpitaux en Irak, dans les régions contrôlées par l'EI. Les malades ne peuvent plus aller se faire soigner à Damas. Ils risquent de plus jamais revenir... Nous avons voulu la liberté, l'Armée syrienne libre a fait le travail pour gagner Raqqa. Elle a vite été évincée par les fondamentalistes. Ils ont profité de nous pour instaurer ensuite leur régime. Ils viennent du monde entier chez nous pour appliquer ce qu'ils appellent la charia. Ce sont eux les mécréants, les sales. Ce sont eux qui violent les femmes. Ils font en cachette tout ce qu'ils interdisent à la population », poursuit-il.
« Ils ont placé des espions partout. Même des femmes qui vont leur choisir des filles dans les maisons de Raqqa (elles sont les seules à pouvoir les voir à visage découvert). Si un homme refuse de leur donner sa fille, ils peuvent lui inventer n'importe quel crime et le faire jeter en prison. Avant la guerre, il y avait des cabarets et des bordels à Raqqa. Il y avait une tenancière de cabaret d'origine tunisienne (il cite son nom) qui est devenue moutawa'a (vérifiant si les femmes sont habillées selon la loi dans la rue). Depuis qu'ils sont là, les femmes ne peuvent pas sortir sans être accompagnées d'un homme. Il y a aussi un couvre-feu pour elles ; elles doivent rentrer avant 17 heures. Beaucoup d'hommes se sont imposé un couvre-feu. Le même que celui des femmes. Nous ne voulons pas d'histoires, nous voulons juste vivre. Survivre en évitant au maximum d'avoir affaire aux miliciens de l'État islamique et en espérant qu'un jour les choses redeviendront comme elles étaient avant... même si cela semble impossible. »

 

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commentaires (1)

"Ils font en cachette tout ce qu'ils interdisent à la population". Ce témoin dit tout par cette phrase sur ces tarés sexuels de Daech. Des pédofiles, des pervertis de toute espèce.

Halim Abou Chacra

17 h 59, le 20 février 2016

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Commentaires (1)

  • "Ils font en cachette tout ce qu'ils interdisent à la population". Ce témoin dit tout par cette phrase sur ces tarés sexuels de Daech. Des pédofiles, des pervertis de toute espèce.

    Halim Abou Chacra

    17 h 59, le 20 février 2016

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