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Liban - Crise des déchets

Exit l’exportation, rebonjour les décharges ?

Le délai accordé à la compagnie Chinook expire ce matin, mais depuis hier, c'est de l'alternative qu'on parlait désormais. Faute d'une solution rapide, Beyrouth risque de se retrouver à nouveau noyée sous les ordures.

Au sit-in du collectif « Vous puez ! », une revendication de la réouverture des centres de tri. Photo Ibrahim Tawil

Huit mois jour pour jour après la fermeture de la décharge de Naamé et l'éclatement de la crise des déchets, il semble bien que l'exportation des ordures soit sur la voie de l'échec, après les révélations faites par un responsable russe sur la « falsification » de documents censés démontrer que la Russie approuvait l'accueil des déchets du Liban.

Le délai accordé par le gouvernement à la compagnie britannique Chinook, qui devait être chargée de l'exportation, expire ce matin. Si celle-ci est incapable de produire les documents originaux nécessaires, le contrat ne sera pas signé avec elle. D'un autre côté, si la falsification des documents est avérée, ne faudrait-il pas demander des comptes à cette compagnie? C'est ce que suggère, entre autres, Mohammad Safadi, député de Tripoli.

Hier, lors d'un entretien à la LBCI, le Premier ministre Tammam Salam a nié toute falsification, soulignant que les documents sont arrivés sous forme de photocopies, et que le Liban a demandé les originaux. Il a révélé avoir eu personnellement des assurances des autorités russes, notamment par le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, qui lui a affirmé la volonté d'accueillir les déchets. Il a ajouté que malgré tout cela, sentant le manque de visibilité, il a demandé au Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) de donner un délai à la compagnie pour produire les documents définitifs. Et que, au cas où l'exportation échouait, il mettrait les forces politiques face à leurs responsabilités pour la construction de décharges. Le récit détaillé fait par le Premier ministre n'explique cependant pas le pourquoi de l'échec, et semble conforter la thèse du cafouillage côté russe.

Rappelons que l'exportation a été décidée par le Conseil des ministres le 21 décembre dernier, que le choix est tombé sur la compagnie britannique Chinook (sans appel d'offres), et que celle-ci est censée avoir produit des preuves de l'approbation de la Russie pour l'accueil des déchets dès le 29 janvier dernier. Près de trois semaines plus tard, c'est la douche froide : un responsable du ministère russe de l'Environnement, cité par l'agence russe d'information Tass, affirme que les papiers sont « falsifiés ».
À noter que l'avocat de la compagnie Chinook, Ziad Ramez Khazen, annonçait hier qu'il se dessaisissait du dossier « en raison de la controverse importante soulevée dans les journaux libanais du 16 février ».

(Lire aussi : Présidentielle, déchets, criminalité : les voyants rouges s'allument)

 

Revenir aux décharges...
Pour sa part, le ministre de l'Économie, Alain Hakim, a précisé à L'Orient-Le Jour que les ministres Kataëb ont soulevé la question lors de la réunion du gouvernement et ont entendu les réponses de Tammam Salam. « L'accord avec cette compagnie arrive à échéance demain matin, dit-il. Il est très probable que l'affaire tombe à l'eau et il faudra alors revenir au plan des décharges. Ce que nous avons demandé hier, c'est un plan alternatif, même si nous sommes prêts à patienter douze heures pour voir si l'exportation peut encore être remise sur les rails. Car malgré tout, nous ne voulons pas que les déchets restent dans les rues. Il y a des priorités. »
Finalement, s'il y a eu fraude, la compagnie en question ne devrait-elle pas être pénalisée ? « Nous n'avons pas encore les preuves qu'une fraude a bien eu lieu, poursuit-il. Si cela s'avère vrai, le Premier ministre a assuré que toutes les dispositions seront prises à son encontre, conformément au contrat. »

Au cas où l'exportation échoue et qu'on revient au plan des décharges, qu'est-ce qui garantit que les mêmes difficultés ne vont pas se poser (le premier plan Chehayeb avait échoué en raison de l'incapacité à déterminer des sites de décharges) ? « Il y a une décision du Conseil des ministres datant du 9 septembre dernier, rappelle Alain Hakim. Elle stipule de rouvrir la décharge de Naamé durant sept jours et de réhabiliter deux sites de décharges à Srar (Akkar) et dans l'Anti-Liban (qui n'a pas été déterminé). Il faut remettre cette décision sur le tapis et il est crucial que les forces politiques joignent leurs efforts pour le faire réussir. »

(Lire aussi : Abou Meghli : Le Pnue ne supervisera pas l'exportation des déchets)

 

Beyrouth à nouveau sous les ordures ?
Alors même que l'exportation est dans l'impasse, la compagnie Sukomi a annoncé, dans une lettre au mohafez de Beyrouth Ziad Chbib, qu'elle ne pourra plus stocker les déchets du Beyrouth administratif dans le terrain actuellement utilisé à cette fin, dans le secteur de La Quarantaine-Medawar (région du port), à partir du 24 février, date à laquelle elle affirme que ce terrain sera sursaturé.
Cette lettre a été envoyée lundi dernier pour donner le temps aux autorités de trouver une alternative, selon Pascale Nassar, chargée de communication à Sukleen. Elle affirmait hier à L'OLJ qu'aucune réponse à propos d'un espace de stockage alternatif n'avait encore été envoyée à la compagnie à cette date. Que se passera-t-il si aucune alternative n'est trouvée d'ici au 24 ? « Nous précisons dans cette lettre qu'aucun nouveau ballot ne pourra être stocké sur ce terrain à partir de cette date, suivant nos estimations, poursuit-elle. Sukleen continuera autant que possible à collecter les déchets et les placer dans son siège à La Quarantaine, jusqu'à saturation. » En d'autres termes quelques jours au maximum. Le mohafez de Beyrouth était injoignable hier pour un commentaire.

Interrogé sur cette perspective à Beyrouth, le ministre du Tourisme, Michel Pharaon, également député de la capitale, dit à L'OLJ avoir clairement exprimé son opinion en Conseil des ministres : c'est soit l'exportation, soit la réouverture de la décharge de Naamé (NDLR : dont la fermeture le 17 juillet 2015 a marqué le début de la crise des déchets). « Contrairement à des terrains non habilités utilisés aujourd'hui pour le stockage, à l'instar de celui de La Quarantaine, la décharge de Naamé est équipée pour recevoir des déchets, dit-il. Malgré les désagréments pour le voisinage, il n'y a pas de danger direct, car la décharge est loin des habitations. De plus, le Premier ministre Tammam Salam a assuré, au cours du Conseil des ministres, que la décharge pouvait encore contenir un million et demi de tonnes de déchets. »

Un million et demi de tonnes? Pourquoi toute cette crise alors et les centaines de nouveaux dépotoirs ? Par quel prodige la saturation annoncée du terrain de stockage de La Quarantaine (prévisible par ailleurs) coïncide-t-elle si parfaitement avec l'échec annoncé de l'exportation ? Et quelle serait la réaction des populations locales si le site devait rouvrir ses portes ?

(Lire aussi : Le Hezbollah pour l'aménagement provisoire de décharges)

 

Peur des incinérateurs
Pour d'autres, ce nouvel échec (s'il se confirme) est un prélude à l'avènement d'un plan fondé sur l'achat d'incinérateurs. « Ceux qui planifient l'achat d'incinérateurs font échouer toutes les options, locales et externes, afin que l'affaire paraisse insoluble et que l'appel d'offres pour les incinérateurs passe en Conseil des ministres comme une lettre à la poste, sachant que l'installation de ceux-ci nécessite un minimum de quatre ans », affirme le Mouvement écologique libanais (LEM), un regroupement d'une soixantaine d'ONG.
Et d'ajouter : « Les incinérateurs ont déjà été rejetés par plusieurs municipalités qui refusent leur installation dans leur périmètre, à l'instar de Jiyé, Deir Ammar et Zahrani. Par comparaison, la construction de centres de tri et de compostage ne nécessite que six mois de travail et 40 millions de dollars seulement pour tout le Liban, contre 1,2 milliard pour les incinérateurs. »

L'option problématique de l'exportation, l'option controversée des incinérateurs ou l'option impopulaire des décharges dans les régions : le gouvernement semble prisonnier de cette équation. Alors qu'il aurait été tellement plus judicieux de reporter tous les efforts sur un système écologique basé sur le tri à domicile, doublé d'un tri secondaire (en usine), puis de traitement, qui aurait largement amoindri le problème et facilité son acceptation par la population. Au lieu de quoi, les détritus trônent toujours dans les rues et les vallées.

 

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commentaires (1)

Grandissima magouille ...! du politico/bakchich système au pouvoir , prit en flagrant délit d'irresponsabilité et d'incompétence...!

M.V.

13 h 16, le 19 février 2016

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Commentaires (1)

  • Grandissima magouille ...! du politico/bakchich système au pouvoir , prit en flagrant délit d'irresponsabilité et d'incompétence...!

    M.V.

    13 h 16, le 19 février 2016

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