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Moyen Orient et Monde - Décryptage

À Alep, quatre acteurs... et un arbitre

Retour sur les stratégies des quatre grands acteurs de cette bataille.

Des sauveteurs de la Défense civile cherchant des survivants, dimanche, dans le quartier aleppin rebelle de Katerji, après des frappes de l’aviation loyaliste. Abdelrahman Ismail/Reuters

Ceux qui espéraient que l'annonce de la trêve amorce un processus de paix en Syrie risquent d'être déçus. « La cessation des hostilités » est censée débuter à la fin de cette semaine, selon les termes de l'accord de Munich du vendredi 12 février. Dans la province d'Alep, les combats n'ont pourtant jamais été aussi intenses, impliquant bon nombre d'acteurs extérieurs et faisant peser un risque d'escalade régionale, voire mondiale. Chacun joue son rôle, et le joue jusqu'au bout. Les Russes bombardent massivement les positions rebelles pendant que les pasdaran iraniens, le Hezbollah, les milices chiites irakiennes et les hazaras afghans avancent au sol pour suppléer une infanterie syrienne décimée. En face, les rebelles ressoudent leurs rangs et tentent, tant bien que mal, de survivre.

Les Kurdes du PYD (Parti de l'Union démocratique) et les Forces démocratiques syriennes (FDS) profitent de l'offensive du régime pour avancer le long de la frontière turque. Appuyés par l'aviation russe, ils sont la cible, depuis samedi, de l'artillerie turque : Ankara a promis qu'il ne laisserait pas les Kurdes franchir l'Euphrate, pendant que Moscou faisait comprendre qu'il continuerait de bombarder les positions de ce qu'il considère être des groupes terroristes. Quant au président syrien, Bachar el-Assad, il a estimé qu'un cessez-le-feu serait « difficile », quelques jours après avoir affirmé sa volonté de reconquérir toute la Syrie.

Les Turcs, les Saoudiens et les Émiratis ont répété à l'envi qu'ils sont prêts à intervenir en Syrie pour lutter contre l'État islamique (EI). Et les Américains, qui soutiennent les Kurdes, bombardés par leur allié turc, sont critiqués de toute part pour avoir laissé les Russes imposer leur loi sur le terrain. Il n'en reste pas moins que c'est eux, et eux seuls, qui pourraient jouer, s'ils le décidaient, le rôle d'arbitre sur le terrain. Autant dire que les enjeux de la bataille d'Alep et les tensions qu'elle provoque dépassent très largement le cadre syro-syrien. Le scénario ressemble davantage à une veille de guerre mondiale qu'à l'éclosion d'un processus de paix. Retour sur les stratégies des quatre grands acteurs de cette bataille.

 

 

 

Le régime et ses alliés

Moscou a fait de la bataille d'Alep un enjeu primordial. Non seulement parce que c'est la deuxième ville la plus importante de Syrie, mais aussi pour couper toutes les routes d'approvisionnement des rebelles. L'accord entre Moscou et Amman a permis d'interrompre les ravitaillements dans le Sud. L'offensive d'Alep vise à empêcher tout ravitaillement par le nord, via la Turquie. Le régime qui, à défaut d'hommes, s'appuie sur des miliciens chiites venus du Liban, d'Irak ou d'Afghanistan, chapeautés par l'Iran, a réussi à couper la principale route d'approvisionnement en brisant le siège imposé par les rebelles sur les villes de Nebbol et Zahra'. Son objectif est d'encercler l'est de la ville d'Alep, contrôlé par les rebelles, et de l'assiéger pour les pousser à déposer les armes.

« Je ne pense pas que les troupes du régime vont essayer de rentrer dans la ville. Pour l'instant, ils ont repris des villages, mais mener une campagne urbaine, c'est autre chose. Les forces en présence ne semblent pas suffisantes pour reprendre l'est d'Alep rue par rue », estime Thomas Pierret, expert sur la Syrie. Selon lui, l'objectif à moyen terme est de reprendre Bab el-Hawa, l'autre route d'approvisionnement pour les rebelles qui relie la Turquie à la province d'Idleb, tenue par les rebelles.

Samedi, les troupes du régime étaient aux portes de la province de Raqqa, sous le joug de l'EI. Si la reprise de Raqqa ne semble pas être une priorité pour le régime, il répond ainsi aux annonces d'interventions saoudo-turques dans cette région. « L'idée est de dire : contrairement à ce que prétendent les Occidentaux, on est capable de faire quelque chose contre l'EI. Je reste toutefois sceptique par rapport à la capacité du régime à reprendre l'Est syrien, particulièrement Raqqa », dit M Pierret.

(Lire aussi : Entre Moscou et Ankara, une dangereuse montée des périls sur le sol syrien)

 

Les rebelles et leurs parrains

Pour les rebelles, la bataille d'Alep est une question de survie. Si le régime parvenait à reprendre Alep, ce serait sans doute le début de la fin. « Tout les groupes rebelles qui le peuvent envoient actuellement des renforts à Alep », note M. Pierret. « Contrairement à ce que dit la propagande du régime, al-Nosra n'est pas en première ligne à Alep. Dans la campagne nord d'Alep, al-Nosra ne joue pas un rôle important contrairement à d'autres groupes rebelles comme Ahrar el-Cham », ajoute-t-il. Une dizaine de groupes rebelles ont rassemblé leurs forces sous le commandement de Hachem el-Cheikh, l'ancien chef d'Ahrar el-Cham.

L'objectif des forces rebelles est d'empêcher les troupes du régime de fermer le dernier corridor d'approvisionnement à l'est d'Alep. Dans cette lutte à mort, ils devraient pouvoir compter sur une intensification des livraisons d'armes de la part de leurs parrains régionaux, notamment l'Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar. « Les Turcs ont été clairs : ils ne laisseront pas les Kurdes prendre la ville de Aazaz. Ils risquent donc d'intensifier la livraison d'armes aux rebelles, parallèlement au déploiement de leur artillerie », explique M. Pierret qui considère que « l'enjeu est vital pour la Turquie ». La livraison d'armes antiaériennes reste improbable compte tenu du veto américain. « Si les rebelles reçoivent des armes antiaériennes, les Russes pourraient fournir le même type d'armes aux Kurdes, et les Turcs devraient gérer cela de leur côté de la frontière », dit M. Pierret.

L'artillerie turque et la livraison de nouvelles armes visent à permettre aux rebelles de résister à la double offensive des forces kurdes et des troupes loyalistes. « Je n'exclus pas non plus que l'armée turque entre en Syrie pour empêcher les Kurdes de reprendre Aazaz. Si elle le fait, elle entrera avec d'importants moyens de défense antiaériens », pense M. Pierret. Une telle intervention pourrait changer la nature du conflit syrien en le transformant en une guerre internationale, non plus par procuration, mais opposant directement les puissances régionales et internationales. Comment réagiraient, par exemple, les États-Unis si des soldats turcs étaient bombardés par l'aviation russe, alors que la Turquie est membre de l'Otan ?

(Lire aussi : Les enjeux d'une éventuelle intervention militaire turco-saoudienne en Syrie)

 

Les Kurdes du PYD et des FDS

Les Kurdes sont, pour l'instant, les grands gagnants de la bataille d'Alep. En coordination étroite avec les Russes, ils profitent de l'offensive pour jouer leur propre carte et tenter de relier les trois cantons d'Afrin, de Kobané et de Jazira. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), les Kurdes contrôlent les trois quarts des 800 km de frontière entre la Syrie et la Turquie. Malgré le pilonnage de l'artillerie turque, les Kurdes continuent d'avancer et se sont emparés lundi de Tal Rifaat. La perspective de voir les Kurdes du PYD – branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) – mettre la main sur un territoire unifié à la frontière turque est une véritable hantise pour Ankara.

Les Russes semblent pour leur part utiliser la carte kurde pour pousser Ankara dans ses retranchements. Les relations sont en effet extrêmement tendues entre les deux pays depuis que les Turcs ont abattu un avion russe en novembre dernier. Le président russe, Vladimir Poutine, a d'ailleurs promis à plusieurs reprises que la Russie se vengerait de son ancien allié. Face à cette confrontation entre les deux rivaux historiques, les Américains semblent assez mal à l'aise. D'un côté, ils ne peuvent pas désavouer leur allié turc et laisser carte blanche à la Russie, mais de l'autre, ils continuent de s'appuyer sur les Kurdes dans la lutte contre l'EI.

(Lire aussi : En Syrie, les Kurdes avancent résolument vers l'autonomie)

 

L'État islamique

« Plus les rebelles perdent des batailles, plus l'EI peut en gagner », résume M. Pierret. L'EI veut également jouer sa carte dans la bataille d'Alep. L'organisation pourrait réussir à recruter les hommes déçus par les défaites des rebelles et le manque de soutien de leurs alliés. « Les jihadistes de l'EI sont actifs dans le désert à l'est d'Alep. Il frappe le ventre mou du régime », précise M. Pierret pour qui « l'EI pourrait perdre du territoire le long de la frontière syro-turque ».

L'Arabie saoudite, la Turquie et les Émirats arabes unis ont annoncé ces derniers jours leur volonté d'intervenir en Syrie pour combattre l'EI. Si cette annonce apparaissait au départ comme un bluff visant à faire pression sur les Américains, elle prend chaque jour un peu plus de consistance. La logique de l'intervention serait de reprendre l'Est syrien avant que les troupes du régime n'y parviennent, pour pouvoir peser sur les futures négociations. « Si elle est sincère, c'est une offre difficile à refuser pour les Américains. Ce sont des troupes au sol arabes sunnites qui proposent de combattre l'EI, même si elles auront évidemment d'autres projets dans le même temps », argumente M. Pierret.

Les Américains, critiqués de toute part pour leur apathie dans le conflit syrien, pourraient bien être la clé de cette bataille d'Alep. Leur choix politique pourrait faire pencher la balance en faveur ou en défaveur de chacun de ces quatre acteurs. Reste toutefois à savoir s'ils trouvent un réel intérêt à endosser une nouvelle fois ce costume d'arbitre.

 

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commentaires (4)

Bien vu, Monsieur SAMRANI ! Merci beaucoup !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

03 h 06, le 18 février 2016

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Commentaires (4)

  • Bien vu, Monsieur SAMRANI ! Merci beaucoup !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    03 h 06, le 18 février 2016

  • Vous me décevez Mr Samrani ! J'avais cru voir en vous un journaliste dans la pure tradition de la profession , mais vous n'êtes qu'un vecteur , un de plus de la désinformation et du mensonge éhonté . Vous citez bien les forces alliées du régime légitime de Syrie , on lit bien qu'il s'agit de chiites du Liban d'Irak d'Afghanistan etc... mais dire que l'armée du héros Bashar est décimée est du pur mensonge honteux . Vous allez nous dire que son équipe qui négocie à Genève et ailleurs se sont aussi de chiites etc... Pour la turquie qui soutient les rebelles , comment pouvez vous être sûr qu'il ne s'agit que des bons syriens terroristes modérés ? Vous ne pouvez pas ignorer que ces rebelles que vous voulez faire croire issu de "l'opposition" ne sont qu'un ramassis de 90 nationalités allant du turc , soudanais ouighourts ou cecenes ! Une chose positive avec un article pareil , c'est qu'on est sûr que votre camp est entrain de perdre la guerre face à la détermination des résistants que vous avez nommés et aux différentes bactéries que vous refusez de faire . CE QUI FAIT DIRE TOUTE SORTE D'EXCUSES A CETTE DEFAITE PAR DES HULUBERLUS DE CIRCONSTANCE !

    FRIK-A-FRAK

    13 h 11, le 17 février 2016

  • Non ! De multiples et sectaires cantons, et un seul arbitre en effet : Äsraël !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 51, le 17 février 2016

  • LES U.S. SONT EN CONNIVENCE AVEC LA RUSSIE... UN POINT C,EST TOUT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 56, le 17 février 2016

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