En octobre 2014, les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), la branche armée du Parti de l'union démocratique (PYD), s'illustraient en libérant Kobané de l'emprise de l'organisation État islamique. Le 16 juin dernier, ils asseyaient leur position de principale force, sur le terrain, contre l'EI, en reprenant le contrôle de Tal Abyad, point de transit vital pour les jihadistes entre la Syrie et la Turquie.
Outre leurs faits d'armes, ces forces kurdes de Syrie présentent le gros avantage, aux yeux des Occidentaux, d'avoir un pedigree connu. Et, cerise sur le gâteau, elles ne peuvent être soupçonnées d'avoir un agenda islamiste, contrairement à d'autres mouvements rebelles nés avec le conflit syrien. Un CV d'autant plus intéressant depuis que la lutte contre l'EI est devenue la priorité de la plupart des grandes puissances impliquées dans le dossier syrien.
Les Américains ont bien vu l'opportunité kurde, eux qui, depuis la bataille de Kobané, les soutiennent via l'envoi d'armes mais aussi le déploiement d'un petit contingent de forces spéciales dans leurs régions. Un soutien réaffirmé le 31 janvier dernier, quand l'émissaire spécial de la Maison-Blanche pour la lutte contre l'EI s'est rendu à Kobané. Il s'agissait là de la première visite d'un officiel américain en Syrie depuis 2011.
Aujourd'hui, si la carte kurde est plus tentante que jamais, elle est toutefois plus complexe à jouer pour certains.
Depuis début février, les Kurdes profitent de l'offensive du régime, soutenue par les bombardiers russes, dans la région d'Alep, pour avancer leurs pions sur le terrain. Avec un objectif qui relève du cauchemar pour Ankara : relier les zones qu'ils contrôlent dans le nord syrien, près de la frontière turque. Un scénario catastrophe contre lequel les Turcs ont sorti l'artillerie lourde.
Face à cette situation, les Américains, qui ont appelé ce week-end à l'arrêt des bombardements contre les positions kurdes, sont contraints de faire le grand écart entre l'allié turc et le PYD, considéré comme une organisation terroriste par Ankara. Pour les Européens, l'affaire n'est pas simple non plus. Si Paris a appelé, lui aussi, les Turcs à cesser leur pilonnage, les Européens comptent sur Ankara pour contenir le flux de migrants.
Il est un acteur de la crise qui semble moins gêné aux entournures. Aujourd'hui, Vladimir Poutine semble en bonne position pour faire de la carte kurde un atout dans son jeu.
Dans le nord syrien, les Kurdes sont aujourd'hui, de facto, des alliés face aux rebelles, participant donc par ricochet à la stratégie russe de renforcement du régime syrien. Par ailleurs, tout soutien aux Kurdes – et les bombardements aériens russes le sont, de même que l'ouverture, le 10 février, d'une représentation pour les Kurdes de Syrie à Moscou – est un moyen de faire payer à Ankara sa politique syrienne, et notamment le fait d'avoir abattu, le 24 novembre dernier, un bombardier russe qui avait pénétré dans l'espace aérien turc. Il n'est pas exclu non plus que M. Poutine voit d'un bon œil la Turquie être entraînée dans le conflit syrien, ce qui ne manquerait pas de la déstabiliser.
La question kurde présente aussi l'intérêt, pour Moscou, de mettre en exergue les incohérences et divisions du camp anti-Assad, qui pèseront assurément sur la reprise, prévue dans dix jours, des pourparlers de Genève suspendus le 3 février. Début février, sous la pression des Saoudiens et des Turcs, les Kurdes n'avaient pas été invités à ces pourparlers.
Leur écartement pourrait-il pousser les Kurdes vers le giron russe ? Si cette éventualité aggraverait un peu plus encore l'impuissance des Occidentaux sur le dossier syrien, le maître du Kremlin aurait tort de se réjouir trop vite : en matière d'alliance, les Kurdes de Syrie sont non seulement fluctuants, mais aussi de vrais stratèges.
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commentaires (4)
Qu'allâh yésstorre ces kurdes des Grands-Turcs !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
13 h 55, le 16 février 2016