Depuis deux jours, l'artillerie turque bombarde, à partir de la frontière, des positions des Unités de protection du peuple (YPG), les milices du Parti de l'union démocratique (PYD) en Syrie. Selon Ankara, il s'agirait de représailles à des tirs venus de Syrie. Dans un tweet posté il y a deux jours, le politologue Charles Lister résume la complexité de la situation en ces termes : « La Turquie (membre de l'Otan) bombarde le YPG (soutenu par les États-Unis et la Russie) et les Forces démocratiques syriennes (FDS – soutenues par les USA), pour avoir attaqué l'Armée syrienne libre (ASL – soutenue par les USA, la Turquie et l'Arabie saoudite). »
Jordi Tejel, enseignant-chercheur à l'Institut de hautes études internationales et du développement (Iheid) à Genève et auteur de l'ouvrage La question kurde : passé et présent, revient, pour L'Orient-Le Jour, sur les stratégies kurdes et turques dans le Nord syrien.
Quelle est la stratégie des Kurdes dans cette bataille d'Alep lancée début février par les forces loyalistes ?
L'avancement des milices kurdes, avec notamment la prise d'une base miliaire, au nord d'Azzaz, qui était aux mains des « rebelles », ces groupes islamistes soutenus par la Turquie, a été possible grâce aux frappes de la Russie et du régime. Les Kurdes essaient de prendre davantage de positions afin de relier la région de Afrin à Kobané et Jazirah (les trois cantons kurdes qui forment le Rojava à la frontière turque).
Existe-t-il une coordination entre les forces kurdes et les forces du régime ?
Oui, je pense qu'il y a un échange d'informations, qui se fait également avec la Russie. Mais, en ce moment, c'est extrêmement difficile de savoir qui est avec qui ! C'est un scénario très confus. La Russie aide visiblement le régime et les Kurdes. En même temps, je dirais que la politique des États-Unis en ce moment est de fermer les yeux, parce que l'ennemi commun c'est l'État islamique (EI). C'est le point commun entre tous ces acteurs, mais chacun profite de cette alliance pour servir ses intérêts propres. Le principal souci de la Turquie n'est pas l'EI, mais le PKK et le PYD. La Russie s'attaque à l'EI certes, mais en réalité elle s'attaque à tous les groupes qui pourraient faire obstacle au régime syrien.
(Lire aussi : La Turquie continuera de combattre les Kurdes de Syrie, affirme Davutoglu)
Comment les États-Unis, qui soutiennent les Kurdes, peuvent-ils réagir si les bombardements turcs se poursuivent ?
Les États-Unis se sont déjà prononcés publiquement, samedi soir, et ont demandé à la Turquie de ne pas s'attaquer à leurs alliés sur le terrain. Je dirais que, tant que la Turquie ne pénètre pas en territoire syrien, les États-Unis vont simplement faire des déclarations en demandant à ses deux alliés de se retenir. Je pense que les Américains devront changer de stratégie, si la Turquie entre en Syrie, comme elle le menace, mais, pour l'instant, c'est un peu tôt.
Est-ce qu'il y a une possibilité d'intervention turque sur le sol syrien ?
Le problème n'est pas de rentrer en Syrie, mais d'en sortir. Effectivement, il y a des voix en Turquie qui demandent une intervention au sol, estimant que c'est sa dernière chance de jouer un rôle important dans le conflit syrien. Pour l'instant, je pense qu'ils vont se contenter de frappes aériennes depuis leur territoire. Cela dit, il a été dit que des avions saoudiens sont déjà stationnés dans des bases turques. J'ai l'impression qu'ils vont se contenter de frappes aériennes. Car si la Turquie entre en Syrie, il lui faudra éviter à la fois les Russes et les Américains.
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commentaires (6)
Si le Grand-Turc entre, il n'évitera personne ! Pour ce qui est de ces kurdes, ils devraient faire gaffe, parce qu'il risque de faire avec eux comme ses aïeuls Ottomans avaient fait avec les arméniens !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
13 h 16, le 15 février 2016