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Nos Lecteurs ont la Parole - Antoine MESSARRA

Quel dialogue religieux et interculturel pour demain ?

Le programme 2015-2019 de la Chaire Unesco d'étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue à l'Université Saint-Joseph, programme déjà entamé en 2015, se propose un réexamen des fondements du dialogue interreligieux et interculturel et l'engagement d'actions à plusieurs niveaux, surtout au niveau pédagogique. Pourquoi ?
Les raisons sont multiples :
1. Nouvelle idéologie : Des religions sont manipulées en tant qu'idéologie de mobilisation dans l'arène politique après la fin des grandes idéologies d'autrefois.
2. Ethnostratégie : La globalisation n'étant pas un moule qui rend les gens pareils, mais au contraire développe les identités individuelles et collectives, il en découle les risques d'exploitation de la résurgence des identités, le cloisonnement identitaire, la recherche d'un espace identitaire et, plus grave, une mentalité religieuse identitaire et non humaniste et universaliste.
3. Multiplicité des instances au nom de la religion: Le développement des libertés entraîne, en tant qu'effet pervers, la multiplicité des instances qui parlent au nom de la religion (et même de Dieu !),
avec en parallèle un recul de légitimité des autorités institutionnelles.
4. Le droit au sens : Judaïsme nationaliste et sionisé qui a transformé Dieu en propriétaire et spéculateur foncier, laïcité occidentale déchristianisante, et islam à la recherche de ses repères créent une vacuité spirituelle que des cogitateurs et manipulateurs cherchent à combler auprès d'une génération assoiffée de sens. Le Liban, avec son expérience séculaire, devrait œuvrer à sauvegarder, revaloriser et consolider sa qualité normative de message (même plongé dans les déchets !), dans la région et à l'échelle comparative.
Ce sont autant de raisons qui justifient des remises en question, bien plus profondément que durant la Réforme protestante, le siècle des Lumières et les beaux idéaux de la Nahda arabe (Renaissance).
Nous risquons d'intellectualiser des sujets, suivant un académisme malheureusement répandu aujourd'hui chez des intellos, au lieu de nous pencher réellement sur des problèmes dont le fondement est toujours empirique, et souvent même terre à terre, et dont l'analyse débouche certes sur des concepts opérationnels, des lois scientifiques et des théories.

La culture face au cynisme
Qu'est-ce que la culture au Liban, transmise et véhiculée par les divers moyens de socialisation, si elle ne débouche pas sur un pluralisme démocratique vécu et assumé ? Pharès Zoghbi écrit : « À quoi servirait, au Liban, l'enseignement de Platon, Virgile, Thalès, Soljenitsyne, Shakespeare ou Molière si les citoyens sont incapables de résoudre le problème de la coexistence islamo-chrétienne. » (L'Orient-Le Jour, Interview, 3 avril 1987).
Le défi majeur, mondialisé et de demain, est celui que relève Raymond Aron, en 1944 : « Les mythes, les religions seront désormais maniés scientifiquement par des élites cyniques. » (Raymond Aron, L'homme contre les tyrans, Paris, éd. de la Maison française, 1944, 402 p., p. 21).
Le Programme d'action de la Chaire Unesco-USJ œuvre, à travers des actions diversifiées et de terrain, en vue de la sauvegarde du tissu pluraliste religieux et culturel au Liban et dans les sociétés arabes, en conformité avec un patrimoine arabe et islamique séculaire, et sa modernisation à la lumière des conventions internationales des droits de l'homme, avec aussi fécondation éducative dans les écoles en vue de la durabilité du travail.

Quatre approches complémentaires
Le fait religieux doit impliquer aujourd'hui quatre approches complémentaires et distinctes :
1. Foi : La foi, c'est-à-dire le questionnement humain universel, en tout temps et en tout lieu, sur l'amour, la mort, la souffrance, l'au-delà, le sens de la vie... questionnement qui relie toutes les croyances à des niveaux variables, comporte des réponses plus convergentes que conflictuelles. « Ce qui s'élève converge », écrit Theillard de Chardin. Il appartient ainsi aux religions, en tant qu'institutions nécessaires pour la propagation du message, de se ressourcer en permanence.
2. Droit : La religion ne se limite pas à ce qu'on appelle le for intérieur, mais implique un espace mitoyen entre le privé et le public, et aussi un espace public dont la gestion démocratique doit respecter et concilier les exigences de l'ordre et de la liberté.
3. Politique : L'exploitation de la religion dans la compétition politique et les stratégies de mobilisation, ou politologie de la religion, et l'émergence de guerres de religions sous des appellations édulcorées de fanatisme, extrémisme, fondamentalisme, image de l'autre... exigent des approches et des actions avec un esprit fort vigilant et lucide de discernement, surtout dans une société multicommunautaire où peuvent proliférer des pharisiens, docteurs de la loi, et munâfiqîn, expression qui revient plus de vingt fois dans le Coran (roublards, imposteurs), se servant aujourd'hui des sciences dites humaines et de moyens sophistiqués et scientifiques pour la manipulation des masses.
4. Culture : Une foi vivante et conviviale est plongée dans une culture, c'est-à-dire une expérience de vie et un patrimoine matériel et valoriel. La méconnaissance par des Européens de cette dimension culturelle n'est pas de la laïcité, mais de l'indifférence, de l'anticléricalisme ou de l'athéisme à fleur de peau, au lieu de l'athéisme militant, engagé et porteur de sens du début du XXe siècle.
Un problème, souvent négligé et fort actuel, est celui de la hiérarchie des normes en islam. La recherche et l'éducation en ce qui concerne les valeurs communes islamo-chrétiennes se heurtent dans les comportements et la praxis à la problématique de la hiérarchie des normes. La théologie du prochain dans le christianisme exige un approfondissement. En islam, quelle est la hiérarchie des valeurs : rahma, taqwa, aadl, lâ-ikrâh fi-l-dîn... (compassion, piété, justice, pas de contrainte en religion...) ?
Des phénomènes et techniques de manipulation du religieux dans la mobilisation politique se répandent : Qui sont aujourd'hui les munâfiqîn dans le Coran, et les docteurs de la loi et pharisiens d'aujourd'hui dans l'Évangile ?

***
Dans un Liban déboussolé et un monde en perte de repères, la Chaire Unesco – USJ a été présente en 2015 aux niveaux arabe et international avec de multiples contributions, à Najaf, à Bakou au 3e Forum du dialogue interculturel, à Rabat sur le pluralisme juridique en méditerranée orientale, à Madrid et à Rome sur la gestion du pluralisme religieux dans le monde arabe... Présente au Liban surtout, notamment en coopération avec Gladic (Groupement libanais d'amitié et de dialogue islamo-chrétien), la Rencontre des fils de la montagne pour la sauvegarde du tissu pluraliste du Liban, et au sein de nombre d'associations. L'ensemble des travaux paraîtront dans un ouvrage.

Antoine MESSARRA
Membre du Conseil constitutionnel
Titulaire de la Chaire Unesco d'étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue, USJ

Le programme 2015-2019 de la Chaire Unesco d'étude comparée des religions, de la médiation et du dialogue à l'Université Saint-Joseph, programme déjà entamé en 2015, se propose un réexamen des fondements du dialogue interreligieux et interculturel et l'engagement d'actions à plusieurs niveaux, surtout au niveau pédagogique. Pourquoi ?Les raisons sont multiples :1. Nouvelle...

commentaires (6)

Je me permets de dire que c'est la première fois que j'entends parler de GLADIC. Ne faudrait-il pas que ce groupement soit présent et se manifeste plus fréquemment sur la scène libanaise tant troublée ?

Halim Abou Chacra

13 h 00, le 13 février 2016

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Commentaires (6)

  • Je me permets de dire que c'est la première fois que j'entends parler de GLADIC. Ne faudrait-il pas que ce groupement soit présent et se manifeste plus fréquemment sur la scène libanaise tant troublée ?

    Halim Abou Chacra

    13 h 00, le 13 février 2016

  • - LES LIBANAIS RELIGIEUSEMENT HYPER COMMUNITARISÉS ... APRÈS L'APPARITION DES FAKIHIENS... NE PEUVENT MÊME PAS VALORISER ET CONSOLIDER LEUR PROPRE PAYS... CAR ILS SONT DE TOUTE AUTRE NATIONALITÉ AVANT D'ÊTRE DE LA LEUR... - LEUR DEMANDER DE REVALORISER ET DE CONSOLIDER LES DIALOGUES AVEC ET ENTRE LES AUTRES RELIGIONS... INTERNATIONALEMENT... C'EST... LE MOINS QU'ON PUISSE DIRE... ILLUSOIRE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 16, le 13 février 2016

  • "2. Droit : La religion ne se limite pas à ce qu'on appelle le for intérieur, mais implique un espace mitoyen entre le privé et le public (Selon quelle LOI ?). 3. Politique : L'exploitation de la religion dans la politique exige un esprit vigilant dans une société où prolifèrent des pharisiens et munâfiqîns imposteurs se servant aujourd'hui (aujourd’hui ?) des sciences dites humaines (sic) pour la manipulation des masses (Ce qui ne date pas d’aujourd’hui). 4. Culture : Une foi conviviale (C’est quoi ?) est plongée dans une culture (?!). La méconnaissance par des Européens (Encore eux !) de cette dimension culturelle (Elle serait, empiriquement donc, aussi culturelle !) n'est pas de la laïcité, mais de l'anticléricalisme à fleur de peau, au lieu de l'athéisme porteur de sens d’avant. (Méchante Laïcité à la française !). Un problème, est celui de la hiérarchie des normes en islam (Ici, c’est 1 problème). La théologie du prochain dans le christianisme exige.... un approfondissement. (Par contre, ici, il suffit d’un simple approfondissement !). En islam, quelle est la hiérarchie des valeurs : compassion, piété, justice, pas de contrainte en religion. ? (Et dans le christianisme ?) Des techniques de manipulation du religieux dans la mobilisation politique se répandent (ça a toujours été le cas). Qui sont aujourd'hui les munâfiqîns dans le Coran, et les pharisiens d'aujourd'hui dans l'Évangile ? (Qui ? Mais, les mêmes ! Les Clergés !)".

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 05, le 13 février 2016

  • "1. Foi : La foi comporte des réponses plus convergentes que conflictuelles." (On le constate où ça ?). "Ce qui s'élève converge." ! « Sacré » Theillard ! Imbattable ! "Il appartient aux religions, institutions nécessaires pour le message, de se ressourcer." ! (En quoi sont-elles si nécessaires ?)

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    11 h 00, le 13 février 2016

  • "À quoi servirait l'enseignement de Platon, Virgile, Thalès, Soljenitsyne, Shakespeare ou Molière si les citoyens sont incapables etc." ! Soljenitsyne, parmi tous ces grands, Zoghbi !?! "Les mythes, les religions seront désormais maniés scientifiquement par des élites cyniques." ! Rien de nouveau sous le soleil, Aron !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 17, le 13 février 2016

  • 1. Nouvelle idéologie (Depuis quand ?) : Des religions (Lesquelles ?) sont manipulées en tant qu'idéologie après la fin des grandes idéologies. (Le christianisme aussi ?) 2. Ethno-stratégie : La globalisation n'étant pas un moule, développe les identités individuelles et collectives (Selon quelles études ?) ; il en résulte 1 mentalité religieuse identitaire (de quelles façons ?) et non humaniste et universaliste (comme l’Islam ?). 3. Le développement des libertés entraîne, en tant qu'effet pervers (sic), la multiplicité des instances qui parlent au nom de la religion-et même de Dieu !- (Pourquoi pas ?), avec un recul de légitimité des autorités institutionnelles (Tant mieux). 4. Le droit au sens : Judaïsme sionisé qui a transformé Dieu en spéculateur foncier (Quid du christianisme ?), laïcité occidentale déchrist-ianisante (Pur parti-pris !), et islam à la recherche de ses repères créent 1 vacuité spirituelle (En quoi cette recherche crée 1 vacuité ?) que des cogitateurs (Les intégristes catholiques ou évangélistes ?) cherchent à combler. Ce sont autant de raisons qui justifient des remises en question + profondes que la Réforme protestante, le siècle des Lumières et la Nahda (Trois bastringues, quoi !). Nous risquons d'intellectualiser des sujets, suivant un académisme d’intellos (C’est quoi ?), au lieu de nous pencher réellement sur des problèmes dont le fondement est toujours empirique et dont l'analyse débouche certes sur des théories ! (Vive l’empirisme, quoi !)….

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    10 h 07, le 13 février 2016

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