Le Conseil des gardiens iranien a frappé vite et fort : sur les 12 000 personnes ayant fait acte de candidature aux législatives prévues le 26 février, cet organisme chargé de superviser la bonne marche de la démocratie dans le pays (on est prié de ne pas sourire) en a retenu 4 700. En attendant le prochain couperet. De plus, au nombre des scratchés de la liste des candidats à l'Assemblée des experts (88 membres) figure le petit-fils du fondateur de la République islamique. Hassan Khomeyni, un hodjatoleslam de 43 ans, ne possède pas, a fait valoir le docte aréopage, « les qualifications scientifiques » nécessaires. Une bien étrange motivation, avancée sans autre précision, alors que l'intéressé a révélé qu'il n'avait même pas été convoqué pour cet examen de passage.
Il y a quelque temps déjà que conservateurs et modérés ont sorti l'artillerie lourde dans une bataille qui s'annonce décisive pour l'Iran postaccord sur le nucléaire. Quand, en janvier dernier, le président Hassan Rohani signait à tour de bras en Europe des accords censés relancer une économie exsangue, ses adversaires s'employaient à dûment lui savonner la planche, forts d'une domination incontestée au sein du Majlis. Il en est ainsi depuis 2009, année qui vit naître un mouvement des Verts rapidement tué dans l'œuf.
Pour autant, les réformateurs ne s'avouent pas vaincus. Après avoir perdu les deux tiers de leurs poulains, ils viennent de faire savoir par la voix de l'un des leurs, Mohsen Rahami, qu'ils allaient porter l'affaire devant le guide suprême. Or celui-ci ne fait pas mystère de ses préférences pour le camp des « durs » et de plus, à 76 ans, il paraît affaibli par la maladie (un cancer de la prostate diagnostiqué à un stade avancé). En outre, il est marqué par les séquelles de l'attentat perpétré en juin 1981 par les Moujahidine du peuple, dont il a été victime quand une bombe cachée dans un magnétophone a éclaté lors d'une conférence de presse, lui causant la perte de l'usage d'un bras.
(Lire aussi : Rohani : « Aucun responsable ne serait légitime s'il n'a pas été élu par le vote du peuple »)
On peut ironiser, à juste titre d'ailleurs, sur la démocratie à l'iranienne – dont le dernier chah, il convient de le rappeler, avait lui aussi une étrange conception – il n'en reste pas moins que, simple exemple, l'audace dont fait preuve un Ali Akbar Hachémi Rafsandjani ne laisse pas d'étonner. Auréolé de son titre de président du « Conseil de discernement de l'intérêt supérieur du régime », l'homme a franchi un pas dans la contestation en s'en prenant, début février, aux « sages » de l'organisme des gardiens. « Et vous, leur a-t-il lancé, de quelles qualifications vous prévalez-vous pour vous permettre d'autoriser ou d'interdire une candidature ? Qui donc vous donne le droit de vous instaurer en juges ? » Inutile de préciser que l'apostrophe n'a pas eu pour effet une meilleure transparence dans le choix des participants à la course du 26 février.
Fidèle à la tradition, le pouvoir choisit, à chaque critique, de riposter par la bande. C'est donc un général de brigade, Mohammad Reza Naghdi, qui s'est porté volontaire pour sonner la charge. Ce haut gradé de l'Armée des gardiens de la révolution islamique (le redoutable corps des bassidjis) a accusé, sans toutefois les nommer, des hommes de l'entourage de Rohani de « favoriser l'infiltration dans le pays de valeurs occidentales » et d'enrichissement illicite à travers le détournement à leur profit de pans entiers de l'économie nationale.
Par la bande aussi, le chef de l'État a riposté en appelant à une participation massive de l'électorat. La jeunesse n'a pas attendu l'adjuration pour se mobiliser. C'est que les revendications ont changé depuis la révolution de 1979. Il n'est plus questions de vouer aux gémonies le Grand Satan et d'œuvrer à exporter aux quatre coins du monde le modèle iranien, mais de réclamer un meilleur niveau de vie, des chances de travail, une ouverture sur le monde, davantage de liberté...
En regard, les mollahs paraissent totalement déconnectés et inconscients des bouleversements intervenus ces dix dernières années dans les mentalités, du fait notamment d'une « occidentalisation » à un rythme accéléré et de l'excellence d'un niveau d'instruction qui, encore un paradoxe iranien, ne fabrique que des chômeurs. Ceux-ci représentent quelque 3 millions, selon les derniers chiffres, surtout parmi les jeunes diplômés, ce qui est énorme si l'on sait que 60 pour cent des 70 millions d'Iraniens ont moins de 30 ans et que 70 pour cent de la population est constitué de citadins. Ajoutez à cela une inflation de 25 pour cent et vous vous retrouvez confrontés à un cocktail hautement instable si des solutions ne sont pas trouvées – et le plus tôt serait le mieux.
Dans un message au Conseil des gardiens largement relayé par le web, le grand ayatollah Ali Mohammad Dastgheib vient de condamner sévèrement le fait qu'il n'a été tenu compte que des droits de moins un tiers des citoyens, « ce qui pourrait avoir de lourdes conséquences pour l'Iran, mais aussi pour toute la région ». Si une figure aussi prestigieuse le dit...
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commentaires (6)
En Iran, le péril jeune ET AU LIBAN LE PUERIL ORANGE PRESSEE SOUTENU PAR LE SENILE DE MEERABIEH?
Henrik Yowakim
05 h 18, le 14 février 2016