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Culture - Vient de paraître

Ni sainte ni pute, juste une femme libre

« Inavouable » est le titre du roman de Sheryn Kay. Et pourtant tout est avoué dans une minutie clinique. Une éducation sexuelle hors norme entre liberté, libertinage et pornographie. Dans un esprit de défi, du courage pour le dire. Sans fard.

C'est à compte d'auteur qu'Inavouable de Sheryn Kay – enfant pauvre et cousin oriental retardataire des Cent mille verges d'Apollinaire, de Le con d'Irène d'Aragon et de L'Histoire d'O de Pauline Réage – pavoise en librairie. Avec une traduction en anglais qui vient accroître le rang des lecteurs. « Pour déculpabiliser les femmes de toute la planète (mais surtout des régions tiers-mondistes) face au plaisir, valeurs et besoins qu'exigent leurs corps », dixit l'auteure.

Française née au Liban, designer en architecture, Sheryn Kay, après avoir tâté plus d'un métier, se consacre aujourd'hui à l'écriture. Si ce premier roman est loin d'être un coup de maître, il n'en est pas moins un sulfureux et provocateur récit – fictif ou inspiré de faits réels, peu importe – où l'érotisme est un enjeu libératoire, mais dangereux. Dangereux de par son addiction, son aspect accro, ses dérives et son insatiabilité.
Dans une période où le laxisme est roi, choquer devient presque une mission impossible. Surtout après le roman progressiste (c'était déjà les années 70) sur la sexualité d'une Xaviera Hollander, par exemple... Avec les images de la toile et la ruée vers le sexe-valeur marchande facile, commune et gagnante, cet ouvrage, hot et très XXL, n'a pas la vertu de faire crier au scandale. Ou si peu. Car cela doit être considéré comme une fabulation fantasmée, aux confins de l'onirique. Tel un visage derrière un masque loup...

Littérairement, nos écrivaines en langue arabe, telles Colette Khoury, Leïla Baalbaki, Ghada Samman ou Joumana Haddad, ont élevé bien haut l'étendard de leurs revendications féministes, sans atteindre la verdeur et la crudité de ces pages... Mais avec Sheryn Kay, le coup de poing, dans une langue française sans grande originalité dans la narration d'une ville en guerre ou des personnages brossés à la va-vite, reste surtout la fièvre des corps et les éruptions d'une libido ouverte et explosive.
Refus du prince charmant, refus de laver, cuisiner, repasser mais, pour cette insoumise, volonté de coucher librement. De vivre intensément l'orgasme, l'épiderme. Il s'agit de réussir ses désirs sensuels et de chevaucher les aventures les plus improbables et transgressives. En toute tranquille amoralité. Comme un état de nature.

Confiserie trop sucrée
Un conte érotique où passe en revue, comme un kaléidoscope aux images agrandies et détaillées, tout le Kamasutra. Des premières initiations aux copulations ronflantes comme des orgues, en passant par le voyeurisme, le saphisme, l'exhibitionnisme, les fellations aux descriptions appuyées, au narcissisme d'un onanisme dans toutes ses versions de miroir et de sex-toys, ce carrousel orgiaque de jouissance, de félicité et de quête corporelle obsessionnelle a quelque chose d'indigeste... Indigeste, ce stock d'images qui s'enfilent nerveusement et répétitivement comme un brûlant et psalmodique chapelet aux grains de buis similaires.

Pour Victoire (héroïne du roman, au nom symbolique : mais sexe, où est ta victoire ?), qui se promène dans son adolescence avec un flingue (Colt 45 et Magnum Smith Wesson), « faite pour l'amour et le sexe », de Beyrouth à Paris, en passant par Limassol, les innombrables rencontres sont une source pour mieux affiner son talent de consommatrice de chair. Pour mieux se consumer de plaisir à la fourchette étendue. Pour finir, une scène d'un coït sublime, avec un strip-tease masculin intimiste digne de Magic Mike du film de Soderbergh, réconcilie la narratrice avec l'amour. L'amour, une prison, qu'elle récusait pourtant aux premières lignes...

Ce livre, fausse histoire de fesses et de toisons pubiennes, guide un peu dérisoire et gonflé du sexe, est sans nul doute un appel à la libération. Toutefois, son prosélytisme a quelque chose d'ennuyeux à force de redondance, malgré son aspect métaphorique, qui demeure de toute évidence un cri contre un environnement hostile pour les femmes. Un environnement bigot, obscurantiste, réducteur et répressif.
Que diront devant ces pages délirantes, comme tombées d'un autre univers, les femmes arabes lapidées pour adultère, égorgées pour crime d'honneur, les Saoudiennes fouettées pour un orteil ou un poignet montré, les Indiennes brûlées vives quand décède un mari vieux barbon imposé par des traditions obtuses, une Africaine ou une Égyptienne excisée et « infibulée » ?

Triste constat, mais cet Inavouable, dans son écriture pour un épanouissement chaotique et licencieux, petite brèche un peu écœurante comme une confiserie trop sucrée pour une société ultranantie et privilégiée, est loin d'être la référence ou la solution à tant de misère et de faim sexuelle, à tant de brimade et d'injustice. Mais c'est toujours un lever de bouclier, un cri, un fantasme... Et c'est déjà ça !

 

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C'est à compte d'auteur qu'Inavouable de Sheryn Kay – enfant pauvre et cousin oriental retardataire des Cent mille verges d'Apollinaire, de Le con d'Irène d'Aragon et de L'Histoire d'O de Pauline Réage – pavoise en librairie. Avec une traduction en anglais qui vient accroître le rang des lecteurs. « Pour déculpabiliser les femmes de toute la planète (mais surtout des régions...

commentaires (3)

Pute, Saine et Libre. Pourquoi pas ?

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

09 h 41, le 14 février 2016

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Commentaires (3)

  • Pute, Saine et Libre. Pourquoi pas ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    09 h 41, le 14 février 2016

  • CE MOT -PUTE- EMPLOYE COMME CONTRAIRE AU MOT SAINT EST PLUS QUE CHOQUANT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 04, le 13 février 2016

  • Le Goncourt de 2050. Académicienne en 2100.

    LeRougeEtLeNoir

    12 h 34, le 13 février 2016

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