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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Les 55 ans de prison d’un petit dealer font débat en Amérique

Le juge ayant condamné Weldon Angelos appelle le président à la clémence, dans une affaire symbolisant les dérives pénales aux États-Unis.

Weldon Angelos, un père de famille de 24 ans, a été condamné à une peine incompressible de 55 années de prison pour avoir vendu par trois fois une petite dose de cannabis.

Il est étonnant pour un magistrat de condamner un homme et demander ensuite sa grâce : c'est pourtant ce qu'a fait un ancien juge fédéral, dans une lettre adressée cette semaine au président américain Barack Obama, une affaire symbolisant les dérives pénales aux États-Unis.
En 2004, le juge Paul Cassell s'est vu contraint d'infliger une peine incompressible de 55 années de réclusion à Weldon Angelos, un père de famille de 24 ans. Ce fils d'immigrant grec, qui travaillait dans l'industrie musicale, a vendu par trois fois une petite dose de cannabis à un « client », en fait un policier agissant sous couvert. Ce policier a aperçu une arme à feu sous les habits et dans la voiture du dealer. M. Angelos n'a pas utilisé ni même brandi d'arme. Mais, selon un article pénal ultrarépressif sur la simple détention d'arme associée à un trafic de drogue, il a écopé de trois très lourdes peines plancher cumulables : 5+25+25 = 55 ans.
Ce cas est « l'un des plus perturbants » de ma carrière, a confié Paul Cassell dans sa lettre à M. Obama. Aujourd'hui professeur de droit dans l'Utah, il ne peut se faire à l'idée que Weldon Angelos a déjà passé plus de 12 ans derrière les barreaux et qu'il lui reste à accomplir plus des trois quarts de sa sentence. « J'espère que le président Obama va répondre favorablement à cette requête en clémence, comme moi et beaucoup d'autres l'exhortons à le faire », a confié le professeur Cassell.
Il n'est en effet plus seul dans ce combat : ce dossier était au cœur d'un débat organisé mercredi par le Washington Post. « Weldon Angelos est l'illustration parfaite qu'il nous faut réformer notre législation sur les peines plancher », assure le sénateur républicain Mike Lee, qui fut procureur dans l'Utah à l'époque de la condamnation de l'intéressé.

Récidive une fois sur deux
Dans les années 1980 et 1990, les États-Unis ont adopté une batterie de lois d'une sévérité inédite pour accompagner la « guerre contre les drogues », jugée prioritaire. Ces lois, désormais critiquées sur tout l'échiquier politique, ont fait exploser la population carcérale à un niveau record, avec plus de 2,2 millions de personnes derrière les barreaux, dont des légions de malades mentaux et de petits délinquants. Un système débouchant sur un constat d'échec : sur les quelque 600 000 détenus libérés chaque année aux États-Unis, la moitié retournent en prison dans les trois ans qui suivent. Dans sa dernière année à la Maison-Blanche, M. Obama veut s'attaquer à ce problème, en limitant les placements à l'isolement et en explorant les alternatives à la détention systématique. Dans un contexte électoral de surenchère sécuritaire et avec plusieurs de ses grands projets bloqués par les républicains, le président dispose toutefois d'une marge de manœuvre réduite.
« Il y a des dizaines de milliers de Weldon Angelos qui purgent des peines d'une durée impensable », affirme Glenn Martin, un ancien détenu qui a fondé JustLeadershipUSA, une association qui milite pour la réduction de moitié de la population carcérale américaine d'ici à 2030. « Ces lois violent l'un des fondements de notre concept de justice : que la peine soit proportionnelle à l'infraction », dénonce-t-il.

Homard et dent de baleine
Dans ce débat qui agite l'Amérique, Bernard Kerik occupe une place particulière : cet ancien chef de la police de New York est crédité d'avoir fait chuter la criminalité sous le mandat du maire républicain Rudy Giuliani. Il a également supervisé Rikers Island, immense complexe pénitentiaire connu pour héberger des milliers de délinquants attendant leur procès ou n'ayant pas de quoi financer leur caution libératoire. C'est dire la surprise qu'a suscitée sa déchéance à la fin des années 2000, et sa condamnation à quatre ans de réclusion pour corruption, escroquerie et fausses déclarations.
La prison, il a ainsi pu l'étudier de l'extérieur comme de l'intérieur. « Quand je me suis retrouvé sous les verrous, j'ai rencontré des hommes jeunes, noirs, de Baltimore ou Washington, qui purgeaient des peines de 10 à 15 ans pour détention de 5 grammes de cocaïne. Cinq grammes, c'est l'équivalent de deux sachets de sucre d'un magasin de donuts, relate-t-il. J'y ai aussi croisé des pêcheurs coupables d'avoir pêché trop de poissons ou ramassé un homard qu'ils n'auraient pas dû toucher. J'ai vu un homme coupable d'avoir vendu une dent de baleine sur e-bay. Voilà les hommes que j'ai rencontrés en prison. »
Finalement, résume l'ancien chef de la police new-yorkaise, « nos prisons sont remplies de gens qui ne s'y trouveraient pas s'ils avaient les moyens de s'offrir un avocat ».
Sébastien BLANC/AFP

Il est étonnant pour un magistrat de condamner un homme et demander ensuite sa grâce : c'est pourtant ce qu'a fait un ancien juge fédéral, dans une lettre adressée cette semaine au président américain Barack Obama, une affaire symbolisant les dérives pénales aux États-Unis.En 2004, le juge Paul Cassell s'est vu contraint d'infliger une peine incompressible de 55 années de réclusion...

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