Rechercher
Rechercher

Liban - Reportage

Se promener dans Aïn el-Mreissé, sous le mandat français...

Un port dans une ville baignée de soleil. Des toits rouges, des façades à triples arcades et des quartiers qui grouillent de vie. Pour « L'Orient-Le Jour », Joe Naaman, né en 1923, s'est souvenu de sa ville natale. Voilà Beyrouth à travers ses yeux.

Aïn el-Mreissé, la côte aux toits rouges et la mosquée du quartier.

Des rues et des lieux qui ont préservé leurs noms mais qui ont perdu leur charme. Des endroits, des habitudes et un style de vie qui ont à jamais disparu. Beyrouth perd, de jour en jour, son identité, ses valeurs et sa douceur de vivre. Né à Rmeil en 1923 et ayant grandi à Aïn el-Mreissé, Joe Naaman, un touche-à-tout, dont la famille a travaillé en Iran et en Irak, parle de son enfance et de sa jeunesse sous le mandat.
Aïn el-Mreissé, début des années trente. Tous les jours que Dieu crée, des marchands ambulants et des artisans défilent dans la rue, présentent en chantant leurs marchandises et leur savoir-faire. Il y a les marchands de fruits et légumes, les cardeurs, les cordonniers, les affûteurs, les tailleurs... plus de trente artisans et marchands passent d'une façon hebdomadaire dans la rue.

Mais il y a deux catégories sans lesquelles la vie est presque impossible : les marchands de gaz, qui vendent un combustible nécessaire à la cuisinière, et sans lequel la nourriture ne sera pas cuite et... les artistes ambulants. Ces derniers viennent par groupes composés de danseuses, de musiciens, d'acrobates, de conteurs : bref, des bandes hautes en couleur, qui comptent souvent des romanichels et qui sont toujours accompagnées de dompteurs d'animaux, d'ours, de singes, de serpents et que les enfants et les adultes attendent.

À Beyrouth, au début du mandat français, les rues sont encore en terre battue, à l'exception des 17 km de voies que le tramway, construit en 1907, traverse. Celui-ci franchit la capitale du nord au sud et d'est en ouest. De plus, les rues qu'il traverse sont les seules pourvues de trottoirs.
Et c'est aussi grâce au tramway qu'Électricité du Liban, fraîchement créée, n'a pas fait faillite. Au début du siècle dernier, l'électricité coûte trop cher et peu de Beyrouthins estiment nécessaire d'être abonnés. C'est grâce donc au tramway, qui lui achète le courant, que cette nouvelle compagnie peut vraiment s'implanter au Liban.
Quand au téléphone, il faudra attendre longtemps, bien après les années trente, et même quarante, pour qu'il se démocratise et soit installé dans tous les foyers. Pour un abonnement au téléphone, il faut demander l'autorisation de la France, puissance mandataire, et attendre... presque éternellement.

Les séfarades et les ashkénazes
« La France, notre tendre mère. » Une expression qui survivra au mandat. « Ce ne sont pas les Libanais qui l'ont inventée. C'était un chant qu'on nous enseignait à l'école et qu'on récitait à chaque visite d'un représentant du haut-commissaire ou de la force mandataire », se souvient Joe Naaman, répétant encore le refrain de la chanson.
Élève du Collège de La Salle, à Aïn el-Mreissé (qui était situé non loin de l'emplacement actuel de l'hôtel Phoenicia), il se rappelle ses camarades. Aïn el-Mreissé et d'autres quartiers de ce qu'on appelle actuellement Beyrouth-Ouest, notamment Minet el-Hosn, Clemenceau et Ras Beyrouth, comptent de nombreux chrétiens, constituant presque la majorité de ces quartiers. Mais le collège catholique de La Salle accueille aussi de nombreux élèves sunnites, druzes, juifs et français.

Les séfarades habitent Wadi Abou Jmil et fréquentent pour la plupart l'école talmudique, alors que les ashkénazes, arrivés au Liban après la chute du tsar, habitent Aïn el-Mreissé et les alentours et fréquentent les écoles catholiques, dont le Collège de La Salle.
Les élèves français sont les enfants de fonctionnaires et de militaires de la puissance mandataire. « Ils n'aimaient pas trop les Libanais. Leurs parents venaient du Maghreb et pour eux nous étions des "indigènes" », raconte Joe Naaman, évoquant les disputes dans la cour de l'école.

De nombreuses mères françaises ne font pas la cuisine à la maison, se rappelle-t-il. Elles donnent à leurs enfants et leurs maris des gamelles métalliques qu'ils remplissent en rentrant de l'école ou du travail dans divers restaurants de la capitale. Ils les emportent à la maison avec des bananes et des agrumes posés dessus.
Les dimanches, les familles françaises se rendent à l'église Saint-Louis du centre-ville pour assister à une messe latine. Et tous les dimanches, inévitablement, une Beyrouthine parée de ses plus beaux atours vient à l'église et se présente comme « l'épouse du général Gouraud »... Mais tout le monde sait qu'elle ne connaît même pas le proclamateur du Grand Liban.

La plage figure parmi les loisirs des Beyrouthins. À l'époque, la plage s'appelle hammam, mais c'est bien différent du hammam turc et maghrébin. Le hammam est en fait une construction sur pilotis au bord de la mer. On y va pour se retrouver entre amis ou rester en famille et se baigner. Des échelles en bois donnent directement accès à la mer. Entre Minet el-Hosn et Aïn el-Mreissé, il y a les bains de Ajram et d'al-Jamal.
Et si Aïn el-Mreissé s'appelle ainsi, c'est à cause de son port naturel, Marsa étant en arabe le terme désignant l'endroit où les bateaux peuvent être amarrés et Aïn pour une fontaine prenant sa source en face de l'actuelle plage de l'Université américaine de Beyrouth. Depuis quelques années, la fontaine n'existe plus, remblayée par les travaux d'un chantier...

 

Pour mémoire
Ces souvenirs de famille qui racontent le pays...

La Maison Tarazi ? Une histoire si riche qu'elle pourrait servir de scénario à un film

 

Pourquoi Byblos restera ville-vitrine éternelle

 

Des rues et des lieux qui ont préservé leurs noms mais qui ont perdu leur charme. Des endroits, des habitudes et un style de vie qui ont à jamais disparu. Beyrouth perd, de jour en jour, son identité, ses valeurs et sa douceur de vivre. Né à Rmeil en 1923 et ayant grandi à Aïn el-Mreissé, Joe Naaman, un touche-à-tout, dont la famille a travaillé en Iran et en Irak, parle de son enfance...

commentaires (3)

Et l'érosion continue... Plusieurs belles maisons aux triples arcades et toits en tuiles sont démolies. Elles seront converties en immeubles en "boîtes à sardines" de dizaines d'étages! Quel gâchis à Beyrouth et autres belles villes du Liban, ce pays défiguré!...

Zaarour Beatriz

19 h 21, le 11 février 2016

Tous les commentaires

Commentaires (3)

  • Et l'érosion continue... Plusieurs belles maisons aux triples arcades et toits en tuiles sont démolies. Elles seront converties en immeubles en "boîtes à sardines" de dizaines d'étages! Quel gâchis à Beyrouth et autres belles villes du Liban, ce pays défiguré!...

    Zaarour Beatriz

    19 h 21, le 11 février 2016

  • Bonjour, Les tableaux sont très émouvants, ou pourrait on les trouver, je m'adresse à la rédaction Merci de me répondre

    Élie Aoun

    07 h 46, le 11 février 2016

  • "Les élèves français sont les enfants de fonctionnaires et de militaires de la puissance mandataire. Ils n'aimaient pas trop les Libanais. Pour eux nous étions des indigènes." ! Déjà ? Yîhhh, comme maintenant !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    05 h 26, le 11 février 2016

Retour en haut