Hommes d’alcôve, hommes d’influence

Des histoires de la virilité séductrice depuis l'Antiquité jusqu'aux temps guère très lointains. Des attouchements au lit aux allées du système politique, cela s'applique aussi bien aux femmes qu'aux hommes, ici objets de désir, de plaisir et de pouvoir...
Douze ouvrages précèdent cette dernière publication au titre épousant un brillant parcours d'homme de lettres reconnu pour ses connaissances du XVIe siècle. Mais, aujourd'hui, Bernard Quilliet se penche non sur les femmes, muses chéries et redoutables égéries qui ont incliné le cours de l'histoire, mais... des hommes !
Des hommes qui ont séduit par leur esprit ou leur beauté physique, parfois les deux à la fois. Mais qui, en plus des battements de cœur accélérés qu'ils ont provoqués, ont eu dans le couple souvent illégal formé avec leur partenaire une fracassante intrusion dans les coulisses du pouvoir. Parfois même en plein jour, en toute impunité. Car Bernard Quilliet n'a pas choisi des personnages quelconques. Mais des rois, des reines, des princesses, des impératrices, des roturiers de haut vol, des gens à la tête de gouvernements et de pays.
À l'instar d'André Castelot et d'Alain Decaux – tous les deux au succès phénoménal quoi qu'en pensent les puristes qui les relèguent au rang d'auteurs de gare – qui se sont taillé une place au soleil dans la littérature du genre et qui se sont illustrés en la matière, avec des trames sentimentales bien troussées, l'auteur de Louis XII père du peuple se lance aussi dans la mêlée. Mais avec une sourcilleuse rigueur et précision historique. Tout en ne négligeant guère de pimenter ses textes pour cette célèbre Collection des 12. Douze femmes d'Orient, d'Espagne, d'Europe, douze muses, douze banquets, douze lettres, douze résistantes, douze scandaleuses, douze couturières, douze voitures... Et la liste peut s'allonger car la collection ne manque pas de titres et encore moins d'imagination.
Douze, fatidique chiffre qui a changé l'histoire ? Pour une explication plausible, il faudrait trouver la clef du secret peut-être dans les tarots. Mais le vif du sujet reste, aujourd'hui, ces amants.
Pour commencer, l'illustre Marc Antoine. Pour qui Cléopâtre en a pincé. De Rome aux rives du Nil, en préambule, petit interlude pour une grande page de l'histoire entre batailles navales, ambitions politiques et piqûres d'aspic. Un militaire à peine dégrossi tombe dans les filets d'une reine manipulatrice autant que manipulée par son élu du cœur. Pour prendre le relais, saut en l'an 1300 où l'homosexualité était si peu tolérée en Grande-Bretagne pour ce qui sera une amitié plus que particulière entre le roi Édouard II d'Angleterre et Pierre de Gaveston. La reine Isabelle, dite « la louve de France », fera mourir son infidèle de mari au fer rouge, là où il a péché. Avec un tisonnier dans les entrailles. Du moins c'est ce qui est rapporté par plus d'un historien dont Maurice Druon dans les Rois maudits.

« Grand coq et grosse truie »
Moins sinistre et noire est la liaison de Louis d'Orléans et de sa belle-sœur Isabeau de Bavière, affublés de la dénomination « le grand coq et la grosse truie ». Et se succèdent, dans cette ronde déraisonnable, contre conventions et règles sociales établies, désir sexuel exacerbé ou véritable coup de cœur, l'amour à mort de Bothwell et Marie Stuart (quoique mariés envers et contre tous), Mazarin et Anne d'Autriche, tous les deux étrangers mais, outre leurs machinations et intrigues, des Français exemplaires...
À revisiter aussi le coup du hasard malencontreusement découvert de Monaldeschi et de l'inflexible reine Christine de Suède, qui partagea ses faveurs aussi bien avec des favoris qu'avec de jeunes amies dans un saphisme sans complexe...
Fruits de la science et bonne humeur font bon ménage, avant de mal finir, dans l'épisode du Hanovrien Lestocq et de l'impératrice Elizabeth Petrovna, Messaline tonitruante, portée sur l'alcool et minée vers la fin de sa vie par la syphilis, dans la Russie pudibonde des années 1700-1776... Guère plus vertueuse est l'impératrice Catherine II de Russie qui défraya la chronique avec ses frasques, sa conjugalité boiteuse, ses infidélités fracassantes et ses ambitions dévorantes. Potemkine fut un amant extraordinaire et généreux (des diamants à la cuillère...) tout en assumant des fonctions exceptionnelles de commandant de génie et d'administrateur avisé.
Et les couples se succèdent au fil des pages (Gody et la reine Marie-Louise d'Espagne, Acton et la reine Marie-Caroline de Naples) pour conclure avec Metternich et Caroline avec l'alliance de l'intelligence et de la mesquinerie. Étrange association passagère entre Caroline Bonaparte, épouse Murat, et Metternich... Pour celui qui fut père de huit enfants, prestigieux acteur du Congrès de Vienne et architecte d'un subtil équilibre des pouvoirs européens, séduit par la frivolité et les attitudes capricieuses de la plus jeune sœur de Napoléon (qui faisait attendre en diva gâtée tous les peintres de talent de son époque), ce fut une liaison, certes bien charnelle, mais sans grande conséquence dans sa brièveté. Ni pour l'un ni pour l'autre qui ont accumulé respectivement, sans vergogne, des conquêtes et des aventures sentimentales à la pelle...
Voilà un livre qui se lit facilement et agréablement en douze petits chapitres amusants, instructifs et qui ne manquent pas de piquer la curiosité sur la nature humaine. Même (et surtout) celle des grands de ce monde...

*« 12 amants qui ont changé l'histoire » par Bernard Quilliet (Pygmalion, 312 pages), en vente à la Librairie al-Bourj.