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Moyen Orient et Monde - Égypte

Giulio, des questions et des certitudes

Après la mort d'un jeune doctorant italien, nombre d'Égyptiens accusent les autorités d'avoir organisé son enlèvement dans le but de lui soutirer des informations. Si cette thèse est confirmée, c'est une disparition forcée qui viendra s'ajouter aux nombreuses autres qui touchent la société civile égyptienne.

Quelques dizaines de personnes se sont rassemblées samedi devant l’ambassade d’Italie au Caire pour rendre un dernier hommage à Giulio Regeni, dont le corps supplicié a été retrouvé sur le bord d’une route à la sortie de la capitale égyptienne. Mohamed el-Shahed/AFP

En cet après-midi gris et humide, c'est une cinquantaine de personnes qui se sont massées devant l'ambassade d'Italie, au bord du Nil, pour rendre un dernier hommage à Giulio.

Quelques fleurs emballées et des bougies posées dans des gobelets en plastique ; les mêmes qui, d'habitude, servent à s'enivrer de cocktails lors des week-ends festifs. Sous les yeux imperturbables de quelques policiers encasqués, une jeune femme agenouillée brandit une pancarte : « Giulio Regeni était l'un des nôtres. Il a été tué comme l'un des nôtres. »

Le corps de l'étudiant de 28 ans a été retrouvé mercredi dans un fossé en bordure de route dans la commune du 6 Octobre, une banlieue du Caire, une semaine après sa disparition.
« Il s'agit d'un meurtre, a assuré le magistrat du parquet Hossam Nassar. Il avait des contusions et des blessures, et ne portait que des vêtements sur le haut du corps. »

Si les circonstances de son décès restent encore troubles – les autorités égyptiennes ont d'abord évoqué la piste de l'accident avant de parler d'un meurtre aux raisons inconnues –, une partie de la société égyptienne et les ONG de défense des droits de l'homme y voient la signature des violences policières qui sévissent en toute impunité en Égypte. Le jeune homme, doctorant à l'Université de Cambridge, travaillait sur l'action des syndicats ouvriers depuis la révolte de 2011 et avait dénoncé dans certaines de ses publications leur difficulté à avancer depuis l'arrivée dz Abdel Fattah al-Sissi au pouvoir. Des articles signés sous pseudo car Giulio savait les autorités susceptibles.

« Cela ressemble très fortement aux pratiques du gouvernement, il a disparu au centre-ville, une zone totalement contrôlée par la police et les militaires. Des agresseurs n'auraient pas pu l'enlever sans que personne ne remarque quoi que ce soit », affirme Mohammad Lotfy, directeur de l'Egyptian Commission for Rights and Freedoms (ECRF). « La plus grande probabilité, c'est qu'il ait été arrêté par les autorités, qu'il ait été torturé pour obtenir des informations, comme c'est très courant, et qu'il en soit mort, affirme-t-il. Ils se seraient ensuite débarrassés du corps pour faire croire à un crime crapuleux ou un enlèvement d'un groupe terroriste. »

( Lire aussi : Consciente de ses tabous, la jeunesse égyptienne se met à en parler )

 

Violence d'État

Le monde s'émeut du sort de ce jeune Italien brillant, mais « rien qu'en janvier, c'est la 4e personne que l'on retrouve morte dans les mêmes conditions », affirme M. Lotfy.
Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, les résultats d'une seconde autopsie et des investigations au Caire par les enquêteurs italiens doivent être rendus prochainement, mais cet événement vient mettre en lumière un phénomène rampant en Égypte : celui des disparitions forcées, c'est-à-dire la soustraction arbitraire d'un citoyen par les autorités et sa détention secrète, toujours accompagnée de torture, parfois de mort. « Elles sont systématiquement torturées dans le but d'obtenir des aveux et des informations », explique M. Lotfy, qui a recueilli avec son équipe de nombreux témoignages de victimes. Un phénomène qui « propage aussi indirectement la peur dans la société. Aujourd'hui, les Égyptiens ont peur d'être arrêtés, mais surtout peur de disparaître car ils savent que personne ne pourra les aider ».

Devant l'ambassade, côte à côte, Nour, dont le frère s'est volatilisé il y a plusieurs mois, et Maha, dont le mari, arrêté sur le chemin du travail, est réapparu sur une liste de détenus dans une prison de Gizeh avant qu'on ne lui assure qu'il s'agissait d'une erreur, sont là. Ils ne savent pas non plus ce qui s'est passé, mais la conviction que le sort de Giulio ne leur est pas tout à fait étranger est là. Sally Toma, activiste bien connue de la révolution égyptienne, est présente aussi, elle assure être venue pour « la solidarité du peuple envers le peuple, au-delà des intérêts de quelconque gouvernement ». En se rassemblant, beaucoup d'Égyptiens ont voulu montrer leur soutien mais aussi rappeler que si la responsabilité des autorités égyptiennes est prouvée dans l'affaire Giulio, elle est sans aucun doute le lot quotidien des citoyens de ce pays, dans le désintérêt total des pays étrangers.
Entre août et novembre 2015, l'ECRF a recensé 340 cas de disparitions forcées. « À 99% des hommes, le plus souvent proches des mouvements islamistes, mais on note de plus en plus de disparitions de personnes lambda, des activistes, des amis d'amis, des chercheurs... assure M. Lotfy qui estime aux alentours de 2 000 le nombre de disparus depuis le début de l'année 2014. « C'est l'équivalent de trois disparitions par jour. »  Arrêtés chez eux, sur le trajet de l'université ou « invités » à venir prendre un café « pour discuter » dans l'un des QG de la sécurité nationale, ils se volatilisent. Parfois, certains réapparaissent, hagards mais libres, après plusieurs mois, et sont sommés de ne pas parler. D'autres sont reconnus en prison par des codétenus. Se met alors en place un relais d'information jusqu'à la famille par le biais d'intermédiaires. D'autres sont simplement retrouvés à l'état de pantins désarticulés en bord de route. L'enquête devra faire la lumière et décider si Giulio fait partie de ceux-là.


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