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Liban - Barrage de Janné

Le CNRS met en garde contre une amplification du risque sismique dans la vallée de Nahr Ibrahim

La coalition civile contre le mégaprojet avance des solutions de substitut à la pénurie d'eau potable.

Raja Noujaim, coordinateur de la coalition contre le barrage de Janné, revient sur la nécessité de geler, une fois pour toutes, la mise en place du méga-ouvrage hydraulique prévu dans cette région, en se basant sur tous les avis hostiles au projet, fondés sur un grand nombre d'études locales et internationales.
L'une d'elles a été réalisée par le Centre national pour la recherche scientifique (CNRS). Elle développe dans le menu détail les risques inhérents à la construction du barrage, après avoir expliqué le cadre général tectonique du Mont-Liban. C'est sur elle, entre autres, que Raja Noujaim se fonde pour demander à l'État de renoncer à ce projet.
Selon l'étude en question « tout ouvrage humain agressif, ne serait-ce qu'un forage intempestif, dans un système hydrologique karstique se trouvant dans une configuration tectonique active, ne devrait être envisagé qu'avec la plus extrême prudence soutenue par la plus grande caution scientifique ».

Or du texte de l'étude en question, il ressort que ces précautions sont loin d'avoir été prises. Le CNRS donne, en gros, les explications suivantes : cette caution scientifique ne peut être que l'aboutissement de longues décennies d'études scientifiques. Et déjà, notre génération assiste à la disparition progressive des torrents du Mont-Liban qui n'aboutissent plus à la mer. Disparition accélérée : en 50 ans, des rivières pérennes, les Nahr el-Kalb, Nahr Abou Ali et Nahr Damour, pour ne citer que ceux-ci, n'aboutissent plus à la mer qu'au moment de leurs crues. Nommément, on peut évoquer la disparition du Nahr el-Kalb à l'altitude extraordinaire de 1 000 mètres, à Meyrouba.
« Le creusement des lits des torrents du Mont-Liban a été favorisé par le système de failles dextres qui accompagne la faille de Yammouné », écrit le CNRS, qui s'étend longuement sur la présentation de ces failles, avant de relever que « la combinaison des fractures anciennes et récentes avec la solubilité quasi parfaite du calcaire jurassique est une combinaison mortelle pour les eaux de ces torrents qui subissent des pertes dans leurs propres lits ».

Et de poursuivre : « La combinaison de l'activité sismique profonde et du cheminement des eaux dans les failles et fractures de surface est aussi source de séquences sismiques, concentrées dans le temps et autour des vallées : en avril 2006, le Centre de recherches géophysiques a enregistré une séquence sismique, dont plusieurs événements de magnitude 4, qui a duré un mois le long du cours de Nahr Ibrahim et de son prolongement par un canyon loin en mer. Une hypothèse est à signaler : l'existence d'un rythme saisonnier de la sismicité à l'aire libanaise culminant en fréquence à l'arrivée de l'été. On rappelle que le potentiel des failles maîtresses du Liban est de plus de 7,7 en magnitude. (...) À cette magnitude, les dommages couvriraient l'ensemble du territoire national. Ces événements de grande ampleur sont rares et les rythmes géologiques sont beaucoup plus longs qu'une vie humaine pour que nous ayons pu en observer depuis l'installation du premier sismographe en 1920, fort heureusement. »

(Lire aussi : Pour ses détracteurs, le barrage de Janné profitera « à peine » à Jbeil et au Kesrouan, nullement à Beyrouth)

 

Eau vs activité sismique
Parmi les effets possibles d'une retenue d'eau sur une vallée jurassique du Mont-Liban, le CNRS souligne « les alluvions et les colluvions qui mèneraient à un rapide colmatage de la retenue ». « Concomitamment, les parois de la retenue, parcourues de fractures et fissures, percoleraient l'eau au fur et à mesure du remplissage vers des destinations inconnues, contrariant le remplissage du réservoir. L'un des rapports communiqués suggère que cela favoriserait la recharge de la grotte de Jeïta. Pourquoi pas ?

On oublie toutefois que ces nouveaux cheminements vont perturber d'autres conduits hydriques ou en créer et il est tout aussi possible que l'eau contourne le mur de la retenue et jaillisse à l'aval. »
« L'eau et l'activité sismique ne font pas bon ménage, avertit le CNRS. Déficits et excédents hydriques sont tout aussi susceptibles de provoquer une activité sismique locale inhabituelle. (...) La mise en eau des réservoirs de barrage produit une activité sismique tout à fait nouvelle sur la zone, toujours selon le CNRS, qui donne en exemple des tremblements de terre en Espagne et aux États-Unis attribués à des activités hydriques inhabituelles. (...) La crise sismique de 2008 au Liban-Sud pouvait être en relation avec un changement de gestion de l'eau du réservoir de Qaraoun, qui était accumulée par le passé pour être utilisée durant la saison sèche et qui est à présent utilisée toute l'année pour la production de puissance électrique. C'est une hypothèse bien sûr, mais ce qui est patent par l'observation directe est la formation d'une vague de l'ordre d'un mètre qui a parcouru le lac de Qaraoun lors du séisme de magnitude 5 de Srifa, le 15 février 2008. Nous ignorons si l'on a pris en compte à Janné le risque de formation d'un tel phénomène. »

Si le CNRS considère que le barrage-poids, recommandé dans ces cas, est envisagé à Janné, il relève néanmoins que la conception de l'ouvrage prévu « est tout à fait nouvelle, voire expérimentale, selon les concepteurs. La vallée du Nahr Ibrahim va être donc le siège d'une expérience monumentale ». Le CNRS juge « prudent de vérifier si les moyens de contrôle ou de gestion d'une telle expérience ont été prévus ». En d'autres termes, il considère pour l'heure que « le risque sismique encouru par les populations à l'aval du barrage et dans les zones avoisinantes est amplifié par la construction du barrage de Janné ».

Il relève dans le même temps que les rapports communiqués au sujet de la tenue sismique des infrastructures associées ne donnent pas beaucoup de précisions à ce sujet « alors qu'un spécialiste du risque sismique peut déjà être très préoccupé par une rupture de la conduite qui vient de l'usine de Dbayé à Beyrouth alors qu'elle est enterrée le long de la côte dans les sables littoraux, ligne vitale si jamais Beyrouth était frappée par un tremblement de terre du type de 1918 ou de 1956 ».

(Lire aussi : « À Janné, personne ne peut imposer le barrage-scandale par la force ! »)

 

« Un simple regard... »
Le CNRS évoque le risque de rupture du barrage et les conditions nécessaires pour circonscrire ce danger avant d'arriver à la conclusion que « les particularités des formations géologiques calcaires et l'aléa sismique naturel et artificiel, les études techniques contradictoires et insuffisantes à tous égards, le risque mortel encouru par les populations à l'aval de la retenue et dans les vallées connexes ou voisines, font que les aléas sont nombreux et que, compte tenu de la conjugaison probable de leurs effets, il est urgent de surseoir aux travaux de ce type dans cette vallée et dans toutes les vallées du Mont-Liban, jusqu'à bien comprendre leur géomorphologie et les déformations locales par les mesures directes GPS sur 10 ans au moins ». « Un simple regard sur la carte de la sismicité récente du Liban central suffirait à inciter les plus sceptiques à l'extrême prudence », insiste-t-il.

Le CNRS propose d'autres sites de retenue ailleurs que dans le massif jurassique. Soulignant que le consommateur d'eau est le plus souvent établi sur le littoral, il préconise, notamment pour subvenir aux besoins en eau de Beyrouth, de petites retenues sur le cours inférieur des torrents du Mont-Liban.
Raja Noujaim insiste à son tour sur les solutions alternatives, l'une d'elles pouvant être, selon lui, les puits creusés permettant de profiter des eaux souterraines très abondantes, selon lui, dans cette zone jurassique, notamment à Lassa, Qartaba, Seraaïta. Trois ont déjà été forés, relève Raja Noujaim, qui précise par ailleurs que pour alimenter le Beyrouth administratif en eau potable, une étude préparatoire a été élaborée par des hydrogéologues libanais.
Il appelle une nouvelle fois les représentants du Courant patriotique libre, notamment ses députés et ses ministres, à renoncer à ce projet qui induit, selon lui, un gaspillage des deniers publics, sans compter le danger qu'il représente.

 

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« L'eau et l'activité sismique ne font pas bon ménage, avertit le CNRS. MAIS LES COMMISSIONS ET LES DETOURNEMENT DE FONDS FONT SUREMENT LE BON BARRAGE?

Henrik Yowakim

02 h 23, le 05 février 2016

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Commentaires (1)

  • « L'eau et l'activité sismique ne font pas bon ménage, avertit le CNRS. MAIS LES COMMISSIONS ET LES DETOURNEMENT DE FONDS FONT SUREMENT LE BON BARRAGE?

    Henrik Yowakim

    02 h 23, le 05 février 2016

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