C'est peu avant l'heure de fermeture des bureaux du Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) que la compagnie Chinook, dont le dossier a été retenu par le gouvernement pour exporter les déchets de Beyrouth et du Mont-Liban, a présenté son dossier avec les papiers confirmant l'approbation du pays destinataire : la Russie. Le pays en lui-même a constitué une surprise, n'ayant jamais été évoqué jusque-là, dans un processus particulièrement secret bien que la question soit d'intérêt public.
Le président du CDR Nabil el-Jisr a confirmé à L'Orient-Le Jour que la compagnie Chinook a bien présenté un dossier avec des papiers de confirmation de l'acceptation de la Russie. « Après le week-end, vers lundi ou mardi, nous contacterons les autorités russes pour mener notre enquête et nous assurer de toutes les confirmations que nous avons reçues », précise M. Jisr. « Je ne peux pas juger du contenu de ces documents avant l'enquête, ajoute-t-il, en réponse à une question sur les documents eux-mêmes. Nous avons en tout cas une semaine pour terminer cette enquête, suite à quoi nous déciderons de la signature du contrat. »
M. Jisr affirme que le prix de 123 dollars par tonne pour le transport et le traitement (le prix de 193 dollars inclut les préparatifs sur place avant le transport) reste inchangé, laissant entendre qu'il est « d'autant plus justifié que le traitement consiste en l'incinération des déchets du Liban en Russie, non en un simple enfouissement dans des décharges dans un pays peu équipé, comme cela avait été relayé par les médias ».
Pourquoi les offres présentées par des compagnies qui proposent des prix moins chers (40 à 45 dollars de moins par tonne) ne sont-elles pas prises en considération ? « C'est au Conseil des ministres de le décider, mais je ne crois pas que ces offres tardives seront retenues », dit-il. Deux autres compagnies, New Boxer et EKO Getlini (basée en Lettonie), ont déclaré avoir présenté de telles offres.
Selon des informations relayées par l'agence al-Markaziya, le dossier présenté par Chinook comporterait une approbation du ministère russe des Affaires étrangères et une autre de la société qui gère l'incinérateur en question. Des sources bien informées soulignent que plusieurs destinations ont été proposées, mais que l'État a préféré retenir cette offre car la destination est plus sérieuse que d'autres et le traitement plus fiable. Ces sources se demandent toutefois si le pays est prêt à mener les étapes qui précèdent le transport des déchets en bateaux, notamment le tri, le dessèchement pour enlever l'humidité et les liquides, l'empaquetage, etc. Et puis qu'adviendra-t-il des déchets amoncelés dans les rues (l'exportation porte sur les déchets pas plus vieux que 45 jours) ? La question n'est pas tranchée, même si le ministre Chehayeb a souligné à plusieurs reprises que la possibilité de leur exportation est sous étude.
Rappelons que le ministre de l'Agriculture avait précisé que la signature du contrat se ferait d'ici au 6 février et que si le processus se poursuivait normalement, les premières exportations seraient entamées le 28 février. Le contrat d'exportation est prévu pour 18 mois.
Contacté par L'OLJ, l'ambassadeur de Russie Vladimir Zaspikine a assuré n'avoir aucune information pour l'instant, précisant que c'est une question qui concerne une entreprise du secteur privé qui a ses contacts, pas l'ambassade.
La décision d'exporter les déchets de Beyrouth et du Mont-Liban, après l'échec du premier plan Chehayeb fondé sur des décharges, a été annoncée le 21 décembre. La britannique Chinook est la seule compagnie à être restée en lice dans la procédure lancée par la commission chargée du dossier des déchets ménagers, présidée par M. Chehayeb, et par le CDR. Le processus n'a pas compris un appel d'offres suivant un cahier des charges précis, « faute de temps », a dit Chehayeb, ce qui n'a guère convaincu les détracteurs de l'exportation, qui soupçonnent toujours des marchés douteux. Sept dossiers de compagnies ont été présentés à la commission, dont deux ont été retenus (on ne sait rien des cinq autres) avant que l'une des deux compagnies, basée aux Pays-Bas, ne se désiste à son tour.
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Une instruction en justice contre Chinook
Du côté de la société civile, notoirement hostile à l'exportation, on se montre sceptique par rapport à ce développement, d'autant que le nom de la Russie n'a jamais été évoqué auparavant comme une destination possible. Pour Raja Noujaim, de la Coalition contre le plan gouvernemental de gestion des déchets, « il est impensable qu'une approbation de cette importance ne passe pas par les ministères des Affaires étrangères des deux pays et par les ambassades des deux pays, les canaux usuels des contacts entre les nations ».
Et d'ajouter : « Ils veulent nous faire croire qu'ils ont besoin de plusieurs jours pour vérifier l'authenticité de simples papiers, et nous sommes supposés les croire ? Je persiste à penser qu'ils ne veulent pas aller jusqu'au bout et qu'ils voulaient simplement donner l'impression de respecter les délais. » Le militant ajoute que la société civile compte répliquer par un plan sérieux présenté prochainement.
Le secret qui a entouré de bout en bout les négociations autour de la destination des déchets et du processus d'exportation en exaspère plus d'un. L'avocat Hani Mrad a présenté hier, au nom du Mouvement civil démocratique (une ONG), une demande d'ouverture d'une information judiciaire auprès du parquet financier contre la compagnie britannique Chinook. Me Mrad, qui dit coordonner avec les autres collectifs du Mouvement civil, précise à L'OLJ que les chefs d'accusation sont en relation avec son rôle dans « le marché douteux de l'exportation » et dans la mise à exécution de ce processus qui « mène au gaspillage des deniers publics et à une catastrophe écologique ».
« Le choix de cette compagnie et les négociations avec elle sont restés très secrets, poursuit l'avocat. Il n'y a pas eu d'appels d'offres, pas de cahier des charges, nous n'avons entre les mains aucun critère. Nous exigeons une enquête et des clarifications, que le prix par tonne soit de 125 dollars pour le transport, selon les chiffres officiels, ou de près de 400 dollars, comme l'estiment certains experts. Il faut savoir, par exemple, qu'un budget de 10 dollars par tonne est prévu rien que pour le bureau de consultation, c'est énorme ! »
Pourquoi avoir décidé d'attaquer la compagnie et non les autorités libanaises ? « La procédure pour porter plainte contre les ministères est longue et compliquée », explique Hani Mrad. Et pourquoi avoir attendu le jour de l'expiration du délai pour la présentation du dossier par Chinook ? « Nous avons pris connaissance des dates lors d'une interview donnée par le ministre Akram Chehayeb la semaine dernière à la LBC, nous avons donc décidé d'accompagner l'événement en tenant compte des développements », dit-il.
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Donc le seul espoir est de trouver une solution durable au Liban. Où sommes nous dans ce dossier?
PPZZ58
16 h 20, le 30 janvier 2016