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Moyen Orient et Monde - Entretien

« Donald Trump me fait penser à Jean-Marie Le Pen »

Docteure en sciences politiques, Marie-Cécile Naves vient de publier « Le nouveau visage des droites américaines. Les obsessions morales, raciales et fiscales des États-Unis » (FYP Editions, 2015). Elle répond aux questions de « L'Orient-Le Jour » sur la candidature de Donald Trump aux primaires républicaines.

Donald Trump a-t-il un programme politique ? Quel est-il ?
Donald Trump n'a pas vraiment de programme. Il aime les formules et les promesses incantatoires, farfelues, voire dangereuses. En matière économique, par exemple, il affirme qu'il va créer automatiquement, grâce à un programme de baisse des impôts, une croissance de 6% par an, autrement dit trois fois le taux actuel, ce qui n'est pas crédible.
Trump est très critiqué sur le fait que ce projet fiscal conduirait à une forte réduction des revenus de l'État fédéral à court terme, et ce sans que ne baisse le déficit du pays pour autant. À cela, il n'apporte pas de réponse. Comme il se targue de financer seul sa campagne, il estime ne pas avoir de comptes à rendre : ni au monde des affaires ni aux corps intermédiaires. Sa marque de fabrique, ce sont les petites formules, les affirmations non argumentées : il mise tout sur son charisme et l'exemple de sa propre réussite en tant qu'homme d'affaires. D'autant qu'il a connu la faillite et qu'il a su rebondir. Il souhaite ainsi montrer qu'il pourra gérer le pays comme il a géré ses affaires. Une antienne qui est finalement tout à fait dans l'esprit du Parti républicain.

Est-il un candidat conservateur ?
Sur le plan économique, incontestablement. Trump se réclame de la théorie du ruissellement : la diminution des impôts des plus aisés libère de l'investissement et crée de la richesse, donc de la croissance, dont toute la population peut bénéficier. Il est aussi un partisan de la dérégulation. Le libéralisme économique nourrirait ainsi la démocratie.
Il prétend vouloir imposer davantage les riches par une limitation drastique des possibilités de déductions fiscales liées aux fonds d'investissement. Cependant, Donald Trump prévoit une baisse totale des prélèvements de 110 milliards, ce qui est considérable. Il souhaite notamment, comme du reste ses rivaux dans le Parti républicain, une simplification fiscale drastique, avec réduction du nombre de tranches fiscales. Avec lui, la plus élevée passerait de 39,6 à 25 %. De plus, Il promet une baisse du taux maximum d'imposition sur les sociétés à 15 %, contre 35 % aujourd'hui. Il s'agit donc de privilégier les entreprises et les ménages aisés. Les plus démunis ne l'intéressent pas. En plein débat national sur la hausse du salaire minimum, il estime même que les employés américains sont trop payés.
Sur la question du multiculturalisme, il se montre aussi très traditionnel. Au prétexte de fustiger le « politiquement correct », incarné selon lui par le président Barack Obama et prétendument responsable du laxisme des politiques publiques contre le terrorisme islamiste et la « délinquance » des immigrés, il n'hésite pas à tenir des propos racistes. Pour lui, par exemple, les Mexicains sont des violeurs et des voleurs. Ses propositions d'interdire l'accès des immigrés musulmans au territoire américain et de construire un mur le long de la frontière du Mexique, aussi farfelues soient-elles, en sont l'illustration. Il a aussi affirmé qu'il ne confierait pas la gestion de sa fortune à un Noir.
D'autres sujets comme les droits des femmes ou des homosexuels focalisent moins son attention, probablement parce que ces thèmes ne l'intéressent pas, mais cela ne doit pas faire oublier sa misogynie verbale.
Enfin, en matière de politique étrangère, Trump n'est pas un faucon. Il n'appartient pas au clan des néoconservateurs. Mais tous les républicains ne sont pas des faucons aujourd'hui, loin s'en faut. Le traumatisme irakien est passé par là.

Ses positions s'inscrivent-elles en continuité avec les thèmes historiques défendus par la droite américaine ?
Ils s'inscrivent dans cette continuité, tout d'abord, sur le plan économique : on peut dire que Trump est un « reaganomic », comme peuvent l'être ses 11 autres rivaux pour l'investiture. Ils ont la nostalgie des années 1980, vues comme un âge d'or de la politique économique américaine.
Par ailleurs, je le trouve représentatif de la peur du multiculturalisme, qui est très présente à droite de l'échiquier politique américain. L'ouverture sur le monde, l'immigration, la circulation des influences culturelles et religieuses et bien sûr les bouleversements démographiques inéluctables qui sont en cours aux États-Unis sont intolérables aux yeux de la majorité des conservateurs (dirigeants comme électeurs). Trump est dans cette logique.
Il se distingue peut-être sur les questions de mœurs : la morale religieuse n'est pas sa priorité. Mais il est contraint de séduire les corps intermédiaires que sont les obédiences protestantes. Or sa conférence auprès du pasteur Jerry Falwell, connu pour ses parles homophobes, racistes et sexistes, ne lui a pas fait que des amis au sein de la communauté protestante mainstream. On peut mettre ça sur le compte de son goût pour la provocation ou considérer que, sur ce terrain, il manque de cohérence.

Parvient-il à séduire au-delà de l'électorat traditionnel des républicains ?
Je crois que l'électorat traditionnel lui-même est divisé à son sujet : les plus francs-tireurs parmi les électeurs de la petite classe moyenne blanche seront séduits, mais beaucoup d'autres privilégieront le principe de réalité. En effet, ils savent pertinemment qu'il leur faut un candidat crédible pour l'emporter face à Bernie Sanders ou, plus probablement, Hillary Clinton. C'est encore plus vrai au sein de l'establishment – la direction du parti – qui pensait en avoir fini avec les candidats aux propos délirants, après qu'ils avaient réussi à faire retomber la vague Tea Party qui leur avait causé du tort à l'élection de 2012.

Aurait-on pu imaginer un tel succès il y a 10 ans ou 20 ans ?
C'est difficile à dire. De telles figures ont existé, soit parmi les candidats indépendants – Ross Perot, par exemple –, soit chez les candidats poussés par le Tea Party lors des élections pour des sièges de représentants, de sénateurs ou de gouverneurs, avec des fortunes diverses. Sarah Palin, en un sens, lui ressemble aussi beaucoup (du reste, elle vient de lui apporter son soutien). Avec l'échec que l'on sait. Peut-être que Trump ira jusqu'au bout et sera investi, mais peut-être aussi – c'est le plus probable à ce stade – qu'il sera écarté par l'establishment républicain. Sa popularité, depuis juillet 2015, est en tout cas historique et chacun des deux partis doit en tirer toutes les conséquences.

Est-il le résultat de l'évolution de la politique américaine ?
Oui, dans un sens, car il représente l'antiestablishment. Trump n'est pas un self-made-man, mais il n'appartient pas à l'élite politique traditionnelle. Il se présente comme le « milliardaire du peuple », formule qui n'est un oxymore qu'en apparence : il ne fait pas partie du cercle fermé des hommes de pouvoir de Washington – même s'il prétend vouloir y accéder avec cette élection. Or, aux États-Unis, comme en France, il existe une lassitude très forte de la population vis-à-vis des élites politiques, qui ne se renouvellent pas, qui donnent l'impression d'être loin des préoccupations de terrain. Trump joue donc à fond cette carte populiste, « poujadiste » comme nous dirions en France.
Comme je l'avais dit avant l'été 2015, Donald Trump me fait penser à Jean-Marie Le Pen : ce qui lui plaît, c'est d'être dans la lumière, d'être le chouchou des médias. Par ses phrases provocatrices, il sait qu'il peut rester longtemps sous le feu des projecteurs. Cela sert son ego, et sans doute ses affaires. N'est-ce pas son but premier, plutôt que d'être élu? Cependant, sa cote n'ayant pas baissé depuis 6 mois, il s'est peut-être pris au jeu des sondages. Il n'ignore sans doute pas qu'un état de l'opinion au niveau national obéit à une logique très différente de celle des primaires : celles-ci rassemblent, État par État, le cœur de l'électorat militant républicain, qui a envie de voir le candidat de son parti remporter l'élection de novembre. C'est pourquoi il entre, comme ses concurrents, dans la partie la plus difficile de la course à l'investiture. Et elle va durer 6 mois.

 

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