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Lifestyle - Disparition

Starman dans les cieux

Atteint d'un cancer depuis 18 mois, le chanteur britannique aura fait ses adieux avec un ultime album, sorti trois jours avant sa mort. Mais c'est plus globalement son œuvre tout entière qui est truffée de réflexions face à l'au-delà et au temps qui passe.

Illustration Ivan A. Debs

Jusqu'à sa mort à l'âge de 69 ans dimanche 10 janvier, David Bowie n'aura rien laissé au hasard. Depuis un an et demi, l'artiste se battait contre un cancer dans le plus grand secret. Son dernier clip Lazarus, le ressuscité, mis en ligne le 7 janvier, était sa manière de dire adieu à ses fans. D'une armoire entrouverte, une main blanchâtre fait irruption dès les premiers plans. Le chanteur au visage devenu émacié est allongé sur un lit. Les yeux cachés par un bandeau beige, ses mains serrent fort une couverture. « Look up here, I'm in heaven, I've got scars that can't be seen, I've got drama can't be stolen (Regardez par ici, je suis au paradis, j'ai des cicatrices invisibles, j'ai des drames qui ne peuvent pas être volés) », chante-t-il avec une voix qui a traversé un demi-siècle, mais qui éblouit encore par sa clarté.
La grande faucheuse rôde, elle se cache sous son matelas. David Bowie est peut-être représenté sur son lit de mort, mais Ziggy Stardust, personnage qu'il a créé au début des années 70, apparaît, lui, bien debout. Devant l'angoisse de la feuille blanche, l'icône du glam-rock cherche l'inspiration. « You know, I'll be free, Just like that bluebird, Now ain't that just like me ? (Vous savez, je serais libre, juste comme cet oiseau bleu, est-ce que ce n'est pas tout simplement moi ?) » finit par clamer le chanteur qui sourit à nouveau, comme soulagé de s'être enfin affranchi de sa peur de l'au-delà. Le regard noir et la mine inquiète, Ziggy Stardust s'en va à reculons jusqu'à se cacher dans le vieux meuble. Il disparaît en fermant la porte de l'armoire sur lui. Une ultime fois, David Bowie garde encore le contrôle jusqu'à ses adieux. Il gère sa sortie comme peu d'artistes ont pu et souhaité le faire.

 

 

Un toréro dans l'arène
Avec son dernier album Blackstar, sorti vendredi dernier 8 janvier, le chanteur se confrontait à la mort. La sienne. Comme un toréro dans l'arène. Que ce soit avec l'étourdissant single éponyme de 10 minutes, les chansons Girl Loves Me, Dollars Days, ou encore I Can't Give Everything Away qui clôt son nouveau chef-d'œuvre, les paroles évoquaient, parfois poétiquement, d'autres plus frontalement, sa future disparition. Son producteur et ami de 40 ans, Tony Visconti, l'a d'ailleurs confirmé lundi matin via un post sur sa page Facebook. « Il a toujours fait ce qu'il voulait. Et il voulait le faire à sa façon (...) de la meilleure façon possible. Sa mort n'était pas différente de sa vie – un travail d'art. Il a fait Blackstar pour nous, son cadeau d'adieu », explique l'ancien producteur de plusieurs œuvres cultes de Bowie (The Man Who Sold The World, Heroes, Low) et de ses deux derniers albums. « Je savais depuis un an que c'était ce qui allait se passer. Pourtant, je n'étais pas préparé pour. C'était un homme extraordinaire, plein d'amour et de vie. Il sera pour toujours avec nous. Pour l'instant, il est approprié de pleurer », lui a-t-il encore rendu hommage.
Le caméléon Bowie a inventé, développé et interprété plusieurs alter ego qui ont marqué sa carrière musicale. Que ce soit Ziggy Stardust – l'homme venu annoncer la fin du monde dans l'album The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars – en 1972, au tortueux Thin White Duke de Station To Station (en 1976), grâce à ces costumes qu'il a endossés, puis abandonnés, David Bowie aura eu plusieurs vies. D'ailleurs, le spot de publicité d'une marque d'eau minérale – dans lequel l'homme aux mille visages tenait son (ses) propre(s) rôle(s) – avait su résumer cela en trente petites secondes. L'artiste légendaire croisait ainsi ses doubles excentriques sur fond de sa chanson Never Get Old, extrait de l'album Reality en 2003. L'évocation des questionnements face au vieillissement, au temps qui passe et à la mort est donc loin d'être récente pour David Bowie.
Le chanteur aura aussi eu plusieurs morts. Il fera disparaître ses différents avatars à chaque fois qu'il s'en lasse et qu'il estime qu'il est temps d'avancer. Ainsi, à la fin de la tournée Ziggy Stardust en juillet 1973, il annonce au public londonien médusé la mort de son personnage avant d'entamer Rock'n'Roll Suicide aux côtés du guitariste Mick Ronson. Après sa trilogie berlinoise (Low, Heroes et Lodger), il signe en 1980 l'album Scary Monsters (and Super Creeps), pour enterrer une nouvelle fois ses (personnages) fantômes des années 70.

Obsession temporelle
C'est cette capacité à s'acclimater quoi qu'il arrive, à ressentir l'époque en cours afin de la devancer et de la secouer qui distingue David Bowie. L'artiste précurseur a (presque) toujours su garder un temps d'avance face aux genres musicaux à la mode, et ainsi à pointer d'autres directions à suivre pour des dizaines d'artistes. De la folk au glam-rock, du krautrock à la pop en passant par la new-wave, du hard-rock à l'électro en tout genre, les transformations artistiques l'obsèdent. Les morceaux Station To Station, Time, Changes ou encore Time Will Crawl témoignent de cette hantise du temps qui s'écoule et des évolutions qui en découlent. L'une des uniques fois qu'il va a contrario de son précepte est pour l'album Let's Dance (1982). L'artiste britannique est alors critiqué par les journalistes musicaux de l'époque qui estiment qu'il a fait le choix de la facilité en offrant une œuvre aux sonorités new-wave, très à la mode dans les années 80. Le public lui donnera pourtant raison étant donné que l'album sera son plus gros succès commercial.

Légende stellaire
De Jump They Say, dans laquelle il aborde le suicide de son demi-frère Terry, à l'introspectif Where Are We Now ?, l'artiste aux plus de 140 millions de disques vendus entre 1967 et 2013 aura ponctué ses chansons de réflexions face à la mort et à sa carrière. Après dix années d'absence, l'une des dernières légendes de la pop avait fait son retour en 2013 avec The Next Day et posait ainsi la question (insoluble) du jour d'après. À l'instar du personnage qu'il joue dans son dernier clip, David Bowie est décédé dans son sommeil. Trois jours après la sortie du sombre et réussi Blackstar, une étoile du rock s'est éteinte. Et question stellaire, l'artiste britannique en connaissait un rayon : Starman, Shining Star, The Stars (Are Out Tonight) ou encore The Prettiest Star, toutes ses chansons célestes n'ont pas fini de nous faire rêver. Et de le faire briller.

 

 

Comment il vampait la caméra...
Au-delà d'avoir marqué l'histoire de la musique, David Bowie laisse une empreinte importante sur grand écran. Dirigé par Martin Scorsese, David Lynch ou plus récemment Christopher Nolan, l'artiste fera plusieurs incursions remarquées dans le septième art. En 1976, il interprète un extraterrestre qui cherche à sauver sa planète dans The Man Who Fell to Earth (L'Homme qui venait d'ailleurs). Sept ans plus tard, il joue aux côtés de Catherine Deneuve et Susan Sarandon dans The Hungers (Les Prédateurs) et dans Furyo de Nagisa shima. Autant à l'aise dans un rôle de pernicieux roi des gobelins dans Labyrinth (1986), que dix ans plus tard dans celui d'Andy Warhol (Basquiat), Bowie étonne par sa capacité d'adaptation.


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Discographie

Les 15 Bowie Stars de « L'Orient-Le Jour »

 
Une copie très rare de Space Oddity/ Wide Eyed Boy From Free Cloud de Bowie édité au Liban par Philips Liban, un label Made In Lebanon.

 

26 albums studio (dont l'himalayen Hunky Dory). 12 albums live (dont le premier, David Live, juste énorme...). 34 compilations. 112 singles, de Liza Jane (1964) à Lazarus (2016). 3 bandes originales. Et il faut choisir 10 morceaux. Ce sera 15. Même si l'on aurait adoré établir un top 300. 15 étoiles bowiesques, bowieennes, belles à en crever... Une liste qui ne fera pas l'unanimité, loin de là, et cela tombe bien, David Bowie haïssait tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un consensus.

 


15  Loving the Aliens (1984)
14 Alabama Song (1980)
13 Changes (1972)
12 Without You I'M Nothing (avec Placebo) (1999)
11 Cruise Me I'M Deranged (1995)
10 Life On Mars ? (1973)
9 Wild Is the Wind (1976)
8 Starman (1972)
7 Heroes (1977)
6 Modern Love (1983)
5 Rock'N'Roll Suicide (1972)
4 Never Get Old (2003)
3 Blackstar (2015)
2 Space Oddity (1969)
1 Ashes To Ashes (1980)

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« Personne de notre époque ne mérite autant que lui d'être appelé un génie »

 


Bowie et son légendaire costume de scène dessiné par Kansai Yamamoto pour le « Aladdin Sane Tour », 1973. Photo Masayoshi Sukita/The David Bowie Archive

 

Voici quelques réactions rendues publiques après la mort de Bowie :

Le fils de David Bowie, Duncan Jones : « Je suis vraiment triste de dire que c'est vrai. Je serai déconnecté pendant un moment. Je vous aime tous. »

Madonna : « Je suis effondrée. » « Talentueux. Unique. Génie. L'homme qui venait d'ailleurs. Ton esprit vit pour toujours. »

Kanye West : « David Bowie était l'une de mes principales sources d'inspiration, (il était) tellement courageux, tellement créatif, il nous a donné de la magie pour toute une vie. »

Iggy Pop : « L'amitié de David était la lumière de ma vie. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi brillant. Il était le meilleur. »

Pharell Williams : « David Bowie était un véritable innovateur, un véritable créatif. Puisse-t-il reposer en paix. »

Paul McCartney : « David était une grande star et je chéris les moments que nous avons passés ensemble. Sa musique a joué un rôle décisif sur la scène musicale britannique et je suis fier en pensant à l'influence qu'il a eue sur la scène mondiale. »

Russell Crowe : « J'aimais ta musique. Je t'aimais. L'un des plus grands artistes de scène à avoir jamais vécu. »

Brian Eno : « Les mots me manquent, repose en paix David Bowie. »

Les Rolling Stones : « Nous sommes choqués et profondément tristes de la mort de notre cher ami David Bowie. C'était un homme à la fois merveilleux et gentil, et un artiste extraordinaire et original », a tweeté le groupe de rock britannique.

Peter Gabriel : « J'étais sous le choc quand j'ai appris la mort de David Bowie ce matin. Il représentait tant pour moi et pour tant d'autres. » « Il y a peu d'artistes qui peuvent toucher ainsi toute une génération. Il nous manquera terriblement. »

Jimmy Page : « David Bowie était un innovateur, un artiste unique avec une vision qui a changé la face de la musique pop. Il nous manque énormément. Repose en paix, David. »

Cher : « Dévastée ! Une légende est partie. »

Paul Smith : « De nos jours, plein de gens sont considérés comme des célébrités alors que leur célébrité ne remonte qu'à un ou deux ans. Mais lui, il était une star depuis des décennies, son talent était évident, très impressionnant. »

Le ministère allemand des Affaires étrangères : « Au revoir David Bowie. Tu es maintenant parmi des #Heroes. Merci d'avoir aidé à faire tomber le mur. »

David Cameron, Premier ministre britannique : « J'ai grandi en écoutant et en regardant le génie de la pop David Bowie. Il savait se réinventer mieux que personne, il tombait toujours juste. Une énorme perte. »

L'ex-Premier ministre Tony Blair : « J'étais un grand fan. Depuis que j'avais vu Ziggy Strardust quand j'étais étudiant, je pensais qu'il était un artiste brillant et une personne intéressante. J'ai eu l'occasion de le rencontrer plus tard, un grand privilège. »


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Un rockeur... à Wall Street

Musicien visionnaire, David Bowie a aussi fait sensation à Wall Street en devenant en 1997 le premier chanteur à transformer ses droits d'auteur en un placement financier bien particulier, les obligations. Quelques semaines après avoir fêté ses 50 ans au Madison Square Garden, à New York, la star du rock lance alors des titres obligataires gagés sur sa musique. Les « Bowie Bonds », qui proposent un taux d'intérêt de 7,9 % sur 10 ans, permettent au chanteur britannique d'empocher tout de suite 55 millions de dollars. En garantie : les droits d'auteur de 25 de ses albums publiés avant 1990 comme Let's dance ou Hunky Dory.
Ce mécanisme de « titrisation », c'est-à-dire la transformation de créances ou de revenus réguliers en titres qui peuvent être achetés et vendus par des investisseurs, était jusqu'alors couramment appliqué aux crédits automobiles ou aux hypothèques, mais aucun artiste n'avait jamais eu l'idée de monnayer ses royalties de cette manière. L'opération avait à l'époque été rendue possible, car Bowie, à la différence de beaucoup d'artistes rock, détenait les droits de la totalité de son œuvre. D'autres chanteurs comme James Brown et Rod Steward ou le groupe de heavy metal Iron Maiden auront par la suite recours à ce procédé.
En redoutable homme d'affaires, David Bowie conclut également en 1997 un accord avec la maison de disques britannique EMI prévoyant le versement d'une avance de 30 millions de dollars sur ses futures royalties en échange de l'exclusivité des droits de distribution à travers le monde de son catalogue couvrant son œuvre entre 1969 et 1990. Adepte des technologies d'avant-garde, le chanteur deviendra aussi quelques années plus tard, en 1999, l'un des premiers grands artistes à proposer le téléchargement de l'intégralité de son dernier album Hours sur le Web.

 

 

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Même les grands artistes n'échappent pas à "la faucheuse"

Halim Abou Chacra

06 h 12, le 12 janvier 2016

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Commentaires (1)

  • Même les grands artistes n'échappent pas à "la faucheuse"

    Halim Abou Chacra

    06 h 12, le 12 janvier 2016

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