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Un phare s’éteint

Magistrat d'une exemplaire intégrité, avocat de grand renom, ministre hors pair, diplomate de génie, ardent patriote : Fouad Boutros, que l'on met en terre aujourd'hui, est un des rares personnages publics libanais à être demeuré, jusqu'à son dernier souffle, une référence politique et morale pour les Libanais de tout bord.

De sa carrière active il est presque superflu de rappeler les grands moments, sinon pour regretter amèrement l'heureux temps où la diplomatie de notre pays était le ciment d'une solidarité arabe aujourd'hui défunte : le temps où un ministre libanais des Affaires étrangères était le consciencieux serviteur de l'État et non d'un parti, d'une communauté ou d'un clan. Cette seule évocation devrait faire pâlir de jalousie – ou rougir de honte – maints de ses successeurs au poste, qui se sont montrés lamentablement étrangers aux affaires.

À Fouad Boutros, on saura gré surtout de s'être tenu en réserve de la République, longtemps après avoir quitté les allées du pouvoir : cela non point par nostalgie des honneurs, mais par simple – et très désintéressé – souci d'utilité publique, d'intérêt national. Dans le passé, Hafez el-Assad, l'implacable dictateur de Syrie que rien pourtant ne pouvait intimider, répugnait à avoir affaire avec un négociateur à la logique aussi imparablement cartésienne que la sienne. C'est le même homme cependant, un homme libre, désormais, de toute responsabilité officielle, que pressentit un jour Assad fils pour débattre, à Damas, du cas de ces chrétiens du Liban insupportablement rétifs à l'hégémonie syrienne. À son interlocuteur, l'apprenti dictateur faisait alors cet atterrant aveu : C'est bien la toute première fois qu'un visiteur libanais ne demande rien pour lui-même...

Disponible, Fouad Boutros ne l'était pas pour les seuls contacts, démarches et missions plus ou moins confidentielles, visant à un Liban meilleur. Au soir de sa vie, rien n'était plus agréable à cet étincelant esprit que le choc des idées, qu'il échangeait avec ambassadeurs étrangers, personnalités politiques ou religieuses locales, politologues et journalistes : tous subjugués par ce puits de connaissances, tous suspendus aux lèvres de celui qui, à force de sagesse et d'expérience, était devenu un maître à penser, un véritable oracle. Lequel, comme tous les oracles, n'avait pas toujours de bonnes nouvelles à annoncer ; voilà qui en agaçait plus d'un, c'est vrai : mais c'est à lui que les événements donnaient invariablement raison.

De ces passionnantes rencontres auxquelles j'ai souvent eu la chance de prendre part, je garde, dès lors, le souvenir impérissable de ce regard noir de jais nullement terni par les ans mais où, derrière le flamboiement de la lucidité, était perceptible l'angoisse des temps à venir.

Paix à un homme qui a contribué à l'âge d'or du Liban et qui en a connu les fastes ; qui, par la suite, n'a cessé de lutter pour la survie de ce pays qu'il a tant aimé ; qui nous quitte avec, dans ses bagages, cet accessoire de voyage devenu introuvable dans notre monde politique fortement peuplé d'imposteurs, de magouilleurs et de vociférants cow-boys : le respect, l'immense respect de tous.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Magistrat d'une exemplaire intégrité, avocat de grand renom, ministre hors pair, diplomate de génie, ardent patriote : Fouad Boutros, que l'on met en terre aujourd'hui, est un des rares personnages publics libanais à être demeuré, jusqu'à son dernier souffle, une référence politique et morale pour les Libanais de tout bord.
De sa carrière active il est presque superflu de rappeler les...