Rechercher
Rechercher

Le Liban en 2015 - Environnement

2015, une année placée sous le signe des déchets

Des piles d'ordures à Jdeideh, au nord de Beyrouth, le 31 décembre 2015. AFP / PATRICK BAZ

Dans le dossier de la gestion des déchets ménagers au Liban, le feu couvait sous la cendre depuis longtemps déjà. Du 17 janvier, première date supposée de la fermeture de la principale décharge du pays à Naamé, repoussée de six mois après une intervention du leader druze, Walid Joumblatt, au 17 juillet, date de la fermeture effective et de l'éclatement de la crise, au 21 décembre, date de l'approbation du projet d'exportation des déchets par le Conseil des ministres... toute l'année s'est déroulée sur fond de relents d'ordures.


L'année 2015 avait donc commencé par un délai repoussé, mais une mise en garde claire de la rue : les habitants des environs de la décharge de Naamé refuseront une énième prolongation de la vie de ce site devenu, pour eux, une nuisance. Une semaine de sit-in avait déjà marqué le début de 2014. Durant les six premiers mois de l'année, l'inaction du gouvernement, en général, et celle du ministère de l'Environnement, en particulier, sont frappantes. Des informations qui ont filtré plus tard pourraient expliquer cette ineptie : face à la difficulté de traiter ce dossier épineux, le ministre Mohammad Machnouk et le Premier ministre Tammam Salam se seraient-ils laisser bercer par des promesses creuses de retarder une nouvelle fois la fermeture de la décharge ?


Quoi qu'il en soit, le 17 juillet, le pire des scénarios s'est confirmé : la décharge a fermé ses portes, aucune alternative n'était prévue, les déchets se sont empilés à une vitesse spectaculaire dans les rues de Beyrouth et du Mont-Liban, les régions desservies par la décharge de Naamé, elle-même gérée par la compagnie Averda depuis près de dix-huit ans. Face à l'ampleur de la catastrophe, le ministre de l'Environnement a demandé à des municipalités désemparées de trouver les moyens de gérer leurs déchets. Tout au long des six derniers mois de l'année (sachant que cette situation exceptionnelle n'est pas tout à fait terminée), ces municipalités, qui n'avaient plus depuis longtemps la prérogative de la gestion des déchets, nagent en plein chaos : déchets incendiés en plein air (un risque sanitaire majeur), ordures enfouies à la va-vite sans aucune précaution, camions de détritus passant d'une région à l'autre et provoquant l'ire de populations locales, dépotoirs sauvages par milliers qui polluent des régions vertes...


Ces longs mois de crise devaient s'avérer une suite logique aux échecs historiques du gouvernement libanais en matière de gestion des déchets ménagers. Autant sous l'égide du ministre de l'Environnement Mohammad Machnouk que sous celle de l'homme qui prendra la relève quand la pression contraindra ce dernier à abandonner le dossier, le ministre de l'Agriculture Akram Chehayeb, il sera impossible d'obtenir l'assentiment de populations locales pour la création de décharges sanitaires. La malheureuse expérience de Naamé, marquée par les atermoiements officiels et le non-respect du contrat original par la société en charge du dossier (qui aurait dû trier et composter une plus grande proportion de déchets), a poussé tous les Libanais à devenir champions du concept « Not In My Backyard ».


Août a été un mois décisif dans la crise : sous un soleil brûlant qui accélérait la décomposition des déchets, les Libanais, excédés, ont répondu à l'appel de la rue, notamment après l'échec cuisant d'appels d'offres pour charger de nouvelles sociétés de la gestion des déchets dans un Liban divisé en six régions. Un mouvement civil et aconfessionnel est né de cette crise : il a pu mobiliser jusqu'à des dizaines de milliers de personnes le 29 août, mais n'a pu empêcher des débordements au cours des différentes manifestations. Le mouvement devait s'essouffler progressivement dans les mois qui suivent, mais il n'en aura pas moins prouvé qu'une crise écologique de grande ampleur est susceptible de provoquer pareil phénomène, peu usuel dans un système confessionnel. Un mouvement qui aurait pu (et pourrait peut-être encore) être une force de changement.


Entre-temps, depuis l'échec des appels d'offres, le dossier a été confié au ministre Chehayeb, à la tête d'une commission d'experts. Un plan national composé de trois étapes, une urgente (avec l'ouverture de Naamé pour sept jours), une à moyen terme, fondée sur la création de deux décharges sanitaires dans les régions, et une à long terme, qui devait redonner aux municipalités le contrôle de ce dossier. Malgré d'évidentes tentatives de dialogue avec les différents acteurs politiques et civils, ce plan s'est heurté à un refus systématique des régions (et des parties politiques dominantes ?) d'accueillir pareils sites.


Finalement, c'est un projet de démission, un réel aveu d'échec, qui l'a emporté en fin d'année. Tard dans la soirée du 21 décembre, après des heures de débats houleux en Conseil des ministres, c'est le choix de l'exportation des déchets par le biais de contrats avec des compagnies privées étrangères qui a été adopté. C'est un choix onéreux (près de 200 dollars la tonne), prélevé de l'argent des municipalités (celles-ci n'ont toujours aucun rôle à jouer), sachant que l'un des reproches adressés au système précédent était... le prix élevé de la tonne payé à une société privée. Une solution à la crise, certes, mais nébuleuse, entourée de secret sur la destination finale, et qui suppose l'installation d'une infrastructure élaborée pour une mesure « temporaire » ne devant pas aller au-delà des dix-huit mois... dans un pays où seul le provisoire dure.
Pour toute perspective d'avenir, le gouvernement a réaffirmé sa volonté d'importer des incinérateurs.
En clair, cette crise n'aura pas été salutaire pour la gestion des déchets, et la prise de conscience populaire aura été de courte durée. Nous revoilà à la case départ : des solutions opaques et centralisées, imaginées par un État en faillite, adoptées dans l'indifférence générale...

 

 

Dans le dossier de la gestion des déchets ménagers au Liban, le feu couvait sous la cendre depuis longtemps déjà. Du 17 janvier, première date supposée de la fermeture de la principale décharge du pays à Naamé, repoussée de six mois après une intervention du leader druze, Walid Joumblatt, au 17 juillet, date de la fermeture effective et de l'éclatement de la crise, au 21 décembre,...