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Fouad-Max

Une aube. Quelles que soient les horreurs qui la précèdent et qui vont nécessairement la suivre, elle reste cette pause, ce quart de soupir, cette suspension qui permet tellement de sérénités, de pansements, de mises au point et au pas. 2016 est juste(ment) là. En cette aube doucement rouge, il suffit d'un regard, tranquille, sur tout ce que 2015, année aliénée s'il en est, a produit, à tous les niveaux, dans toutes les directions, pour que (res)sorte, dans son infinitude hallucinée, un événement : le Mad Max – Fury Road de George Miller. Un film. Parce que, avec le cinéma, on parle (férocement) de tout et on arrive (forcément) à tout.

C'est un monde postapocalyptique ; un monde dans lequel ont triomphé toutes les nuances du noir ; un monde dans lequel les matières premières, eau et pétrole surtout, ne sont plus qu'entre les mains d'un seul homme; un monde-Sahara dans lequel l'espace vert n'existe que dans l'enceinte millimétrée d'une citadelle, une espèce de führerbunker géré par un magma d'esclaves affamés et assoiffés ; un monde dans lequel le concept d'État, structurellement dynamité, a laissé la place au bon plaisir du tyran-voleur de nappes phréatiques et de son gang prétorien de miliciens-mercenaires à qui il promet Walhalla, paradis ou 72 vierges, bref, un monde ni si étranger ni si futuriste que cela. Mad Max – Fury Road, plus qu'hypercontemporain : définitivement universel – est un miroir atrocement minutieux et visionnaire de la réalité de ce IIIe millénaire inadapté, dérangé, dégénéré et d'une agressivité inouïe. Un millénaire moyenâgeux tellement obscur(ci) qu'on ne réussit plus à entrevoir que le besoin fou de radicalisation de part et d'autre, que ce communautarisme poussé dans ses retranchements et ses fondamentaux les plus crétins, que cette religiosité assassine que même les dieux, leurs prophètes, leurs messies et leurs mahdis ne reconnaissent plus... Mad Max – Fury Road, c'est la dictature, c'est l'État islamique et toutes les formes de jihadisme, c'est l'extrême droite, c'est le flux migratoire, c'est la non-acceptation de l'autre, c'est l'injustice sociale et c'est aussi la résistance. C'est Max.

Cette résistance-là n'a pas obligatoirement besoin de muscles, de démons, de vrombissements, de fureurs ou de victoires divines. Dans ce Liban depuis des décennies, pourtant, Fury Road, laboratoire et épitomé de ce Moyen-Orient déréglé d'aujourd'hui, il y a eu, il y avait, jusqu'à ce 3 janvier 2016, jusqu'à cette aube, un Max. Un résistant – un vrai. Un rempart. Un homme d'une culture et d'une sagacité extraterrestres. Un homme ni prétentieux, ni fier, ni vaniteux, mais d'un orgueil himalayen parce qu'il (pré)voyait, il (pres)sentait, il décryptait, il analysait, il savait – mieux, tellement mieux que tous les autres. Un homme qui n'avait peur de rien, ni des missions impossibles ni de son surnom : le boumé d'Achrafieh, cet oiseau de mauvais augure pour les uns, incarnation de la sagesse pour les autres, dont la déesse Athéna elle-même avait fait son emblème. Un homme qui a transformé le palais Bustros en un Versailles de la politique étrangère du Liban avant que celle-ci ne se transforme, lentement, sûrement, en illusion, en serpillière. Un homme qui avait récité, en pleurant, l'oraison funèbre de l'État, de la nation, de l'État-nation et du droit avant qu'ils ne se disloquent et ne se dissolvent sous les coups de boutoir des jihadistes de son pays, toutes appartenances religieuses confondues. Un homme qui pouvait, juste avec ce petit sourire ironique et tendre et smart et aimant et redoutable à la fois, vous donner l'impression d'être un géant – ou un nain. Cet homme s'appelait, s'appelle, Fouad Boutros. Et dans son dégoût de ses compatriotes et, en même temps, sa foi inébranlable en eux, dans son extralucidité terrifiante, dans sa stature de Mohican ultime, dans son incarnation quasi monopolistique du Libanais avec toute la noblesse perdue de cette nationalité, dans sa résistance stakhanoviste à tous les obscurantismes possibles et imaginables, n'en reste pas moins Mad, finalement, que le Max de cinéma. Pas moins, littéralement, héroïque.

We do (not) need another hero. Peut-être. Fouad Boutros a laissé un vide d'une vastitude terriblement anxiogène. Mais un héritier. À Tarek Mitri, désormais, de s'engager davantage, bien davantage, dans cette Fury Road. De tout là-haut, entouré de Fouad Chehab et d'Élias Sarkis, Fouad Boutros saura le guider.

 

Pour aller plus loin

Les mémoires de Fouad Boutros

 

Une aube. Quelles que soient les horreurs qui la précèdent et qui vont nécessairement la suivre, elle reste cette pause, ce quart de soupir, cette suspension qui permet tellement de sérénités, de pansements, de mises au point et au pas. 2016 est juste(ment) là. En cette aube doucement rouge, il suffit d'un regard, tranquille, sur tout ce que 2015, année aliénée s'il en est, a produit,...

commentaires (4)

Fouad Boutros restera une très belle figure qui a dignement représenté notre pays. Trouverait-on encore aujourd'hui des hommes politiques libanais de sa stature ??????????????????????????????????? Qu'il repose en paix... Tarek Mitri, quant à lui, n'a jamais vraiment fait de politique. Il est d'abord et surtout un homme d'une Foi inébranlable, mais aussi un homme de culture et de dialogue... Ne mélangeons pas le foie gras et le caviar...

ASSHA Férial

22 h 50, le 04 janvier 2016

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Commentaires (4)

  • Fouad Boutros restera une très belle figure qui a dignement représenté notre pays. Trouverait-on encore aujourd'hui des hommes politiques libanais de sa stature ??????????????????????????????????? Qu'il repose en paix... Tarek Mitri, quant à lui, n'a jamais vraiment fait de politique. Il est d'abord et surtout un homme d'une Foi inébranlable, mais aussi un homme de culture et de dialogue... Ne mélangeons pas le foie gras et le caviar...

    ASSHA Férial

    22 h 50, le 04 janvier 2016

  • L absurdite de resumer tout le pays en deux hommes .. Et puis ce tarek mitri que erigez en sauveur , qu est ce qu il fait de prodigieux ( et qu on ignore ) pour que vous le congragtuliez a coup de plumes bariolees . Otez vos oeilleres pour mieux voir monsieur

    Hitti arlette

    16 h 42, le 04 janvier 2016

  • Apres avoir perdu le "geant" qu etait Ghassan Tueni la comunaute greque- orthodoxe a perdu le "sage" .que fur Fouad Boutros dans le sens grec du mot . les circomstances actuelles que traverse le pays pourront elles permettre a Tarek Mitri que vous designez en successeur prendre les rênes?La Culture pourra t elle lutter contre " l Inculture envahissante"?

    Dolly Talhame

    07 h 20, le 04 janvier 2016

  • AVEC TOUT MON RESPECT POUR LE GRAND HOMME QUE FUT FEU FOUAD BUTROS... CE N,EST PAS UN HOMME QUI FAIT L,ETAT... C,EST UN PEUPLE QUI LE FAIT... ET QUAND IL N,Y A PAS DE PEUPLE... MAIS DES MOUTONS... IL N,Y A PAS D,ETAT... IL Y A L,ETABLE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 15, le 04 janvier 2016

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