Après seize mois de séquestration, ils sont enfin libres. La remise en liberté hier des 16 policiers et militaires otages du Front al-Nosra, après de longues et difficiles négociations, était un moment de grand soulagement pour l'État, qui en avait bien besoin par les temps qui courent.
S'il est encore très tôt pour se livrer à des recherches poussées dans les coulisses de la transaction et tenter de connaître le véritable prix payé en contrepartie de la liberté – inestimable – des otages, il n'en reste pas moins que certains aspects de cet exploit restent pour l'instant imprécis.
La confusion règne tout d'abord autour du nombre de prisonniers libérés en échange des otages et leur destination une fois relaxés. Selon les chiffres qui ont circulé dans les médias locaux, ce sont 25 prisonniers en tout qui ont été libérés des geôles libanaises et syriennes, treize ayant été relâchés des prisons libanaises (parmi eux cinq femmes, sans compter leurs enfants) et 12 de Syrie. Une version confirmée à L'Orient-Le Jour par Nabil Halabi, avocat et militant des droits de l'homme qui a donné hier lecture du communiqué précisant les conditions de l'échange.
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Le ministère des Affaires étrangères qatari parle toutefois de 17 femmes et enfants, et de 8 hommes. L'AFP évoque, de son côté, le chiffre de 6 détenus en Syrie et de 19 au Liban, dont dix auraient choisi de rester sur place, neuf autres ayant décidé de rejoindre les rangs d'al-Nosra en Syrie. Les médias libanais assurent toutefois, dans leur majorité, que la plupart des détenus relâchés sont restés au Liban, à l'exception d'une seule, Khadijé Zayniyé, qui serait partie en Turquie, selon la MTV, et dont le nom ne figure d'ailleurs pas parmi la liste divulguée par M. Halabi, qui assure que l'ensemble des détenus relâchés sont restés au Liban. (Lire ici les noms des 13 prisonniers échangés contre les otages)
Autre ambiguïté qui entoure cette transaction, le « profil » des détenus relaxés au Liban et leur situation judiciaire sur laquelle les autorités ont maintenu un flou artistique. Aucun des détenus « n'a de sang sur les mains », assure-t-on sur ce point, la souveraineté de l'État et son « prestige » ayant été sauvegardés jusqu'au bout.
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Cela est certes vrai lorsque l'on sait que l'État libanais n'a pas satisfait les exigences que le Front al-Nosra avait au départ formulées, à savoir la libération de gros bonnets du milieu jihadiste, de « grands criminels » aux yeux de la loi. Il en est de même pour l'affaire « Abou Takiyé », de son vrai nom Moustapha Houjeiri, le Front al-Nosra ayant réclamé à la dernière minute son affranchissement des poursuites judiciaires engagées contre lui et contre tous les repris de justice à Ersal. « Un chantage » auquel le directeur de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, a refusé de se soumettre, assurant au groupe que « cette demande allait requérir un long processus judiciaire ».
Pour l'instant, on voit mal d'ailleurs comment de telles poursuites pourraient se concrétiser à l'avenir alors que cheikh Moustapha Houjeiri – investi d'un rôle prééminent hier lors de l'opération de l'échange à Ersal – recevait les éloges du ministre de la Santé, Waël Bou Faour, qui l'a remercié pour ses multiples efforts sur le terrain. Selon la LBCI, la présence sur place du prédicateur islamiste aurait été sollicitée par le commandant d'al-Nosra dans le Qalamoun, Abou Malek el-Tallé, pour vérifier si le nombre et le profil des prisonniers dont la libération était prévue dans la transaction étaient exacts. Abou Takiyé est accusé de complicité avec le groupe jihadiste et présumé être le responsable indirect du rapt des militaires qui se trouvaient à son domicile à Ersal avant d'être livrés au groupe islamiste, il y a un an et quatre mois.
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Parmi les détenus relâchés, certains avaient un casier judiciaire « assez lourd », notamment Joumana Hmayed, accusée de transport d'explosifs de la Syrie vers le Liban, reconnaît une source proche du dossier. « L'autorité judiciaire détient un pouvoir discrétionnaire pour prononcer une libération », assure la source qui reconnaît toutefois que certains parmi les détenus relâchés étaient des prévenus dont le procès était en cours, alors que d'autres avaient déjà été jugés. L'un des prisonniers a même fait l'objet d'un jugement pourvu en cassation. La cour a fini par casser le jugement pour permettre sa libération. La source souligne à ce propos que « quand bien même leur relaxe a été facilitée, tout a été cependant fait dans le respect de la loi ».
Selon l'avocat de Joumana Hmayed, Tarek Chendeb, « tous les détenus faisaient l'objet au moins d'un acte d'accusation, sauf trois femmes, Oulay el-Oukayli, la femme d'Anas Charkas, alias Abou Ali el-Chichani, un haut responsable d'al-Nosra dans le Qalamoun, et deux prisonnières, Samar Hindi et Leila Najjar ». « Il s'agit de deux activistes humanitaires travaillant dans le cadre d'ONG caritatives, arrêtées il y a 9 mois sans raison aucune », assure M. Halabi.
Autant d'éléments vagues à clarifier dans les prochains jours une fois passée l'euphorie.
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commentaires (4)
CERTES PAS DU : À QUATRE PAS D'ERSAL JE TE LE FAIS SAVOIR...
LA LIBRE EXPRESSION
14 h 53, le 02 décembre 2015