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Et la planète Liban ?

Sauvés au bout d'un interminable cauchemar. Jamais épée de Damoclès n'aura davantage mérité son nom, n'aura été plus épouvantablement réelle que pour ces seize soldats et policiers enfin libérés hier par leurs ravisseurs : cela après seize mois de captivité, passés sous la menace permanente d'une exécution sommaire.


Techniquement parlant, leurs ravisseurs, des islamistes radicaux du Front al-Nosra, ne sont pourtant pas des égorgeurs ; c'est par balles en effet qu'ils avaient eu la monstrueuse délicatesse d'exécuter froidement deux de leurs otages. C'est à la lame qu'ont opéré, en revanche, les égorgeurs de Daech, qui continuent de séquestrer une dizaine de militaires libanais.


Pourquoi un aussi long calvaire avant d'en venir à cet échange de détenus intervenu hier? Pour commencer, les autorités locales n'ont réagi à ce rapt massif qu'avec un coupable retard, divisées qu'elles étaient sur l'opportunité même d'un troc avec les terroristes. On a assisté ensuite à un chassé-croisé de missions de bons offices, mandatées ou non, les ravisseurs ne cessant entre-temps de multiplier leurs exigences. Last but not least, aussi lente que décisive aura été la médiation entreprise par l'émirat de Qatar qui, pourtant, détient de formidables moyens de pression sur al-Nosra, dont il passe pour être en effet le principal bailleur de fonds. Merci (quand même?), n'ont pu que s'exclamer les familles, trop heureuses de récupérer qui un fils, qui un frère et qui un époux ...


Arrachés enfin aux griffes du diable ? Oui, mais il nous reste encore tant de choses à sauver, et de voir le monde entier en proie à la même obsession de salut n'est pas fait pour nous consoler. Réunis depuis lundi à Paris, plus de 150 chefs d'État s'emploient à trouver la formule magique qui permettra de limiter à deux malheureux petits degrés Celsius le réchauffement de la planète. Voilà en effet qui, à la fin du siècle, fera toute la différence entre une Terre viable, et une Terre dont la moitié serait vouée à la sècheresse et l'autre aux cataclysmes diluviens. Seul un compromis entre pays gros consommateurs d'énergie et ceux ne rêvant que de développement et de croissance à n'importe quel prix pourra permettre d'y parvenir. Or, un tel compromis requiert deux conditions, aussi problématiques que nécessaires. Ce sont la fin des égoïsmes nationaux et le respect des engagements contractés à la faveur, si possible, de résolutions à caractère contraignant.

Tâche titanesque, on le voit, tâche incontournable pourtant, si l'on ne veut pas que les Terriens de demain maudissent la mémoire de leurs ancêtres. À échelle (très) réduite, c'est le même défi qu'est tenu de relever le Liban s'il veut exister demain : cela hors de toute préoccupation d'ordre écologique, ce qui est tristement normal pour un pays incapable même de se débarrasser de ses ordures ménagères. Égoïsmes (communautaires ou claniques, cette fois) et non-respect des dispositions convenues : comme pour la COP21, le voilà bien, l'ennemi qui bloque toute tentative de réédification, même lointaine, de l'État libanais.


L'illustration vient d'en être faite pour la énième fois, avec tous ces marchandages de bazar persan qui ont accompagné la récente candidature de Sleiman Frangié à la présidence de la République. Au nom de quelle morale politique, ainsi, l'ancien Premier ministre Saad Hariri – qui a, il est vrai, toutes les raisons du monde de craindre pour sa vie – devrait-il payer son visa de retour au Sérail, assorti d'une assurance tous risques, d'un ticket pour Baabda concédé au camp adverse ? Au nom de quelle logique cette fois placerait-on en situation de rivalité, sinon de confrontation, la magistrature suprême et la présidence du Conseil, allouées à l'un et l'autre des deux bords ? À quoi serviraient les prétendues garanties qu'offrirait en retour ce même camp qui, fort de l'armement du Hezbollah, n'a cessé, tout au long des dernières années, de renier ses engagements passés ?

À quoi bon une nouvelle loi électorale si, par la force des mêmes armes, on demeure libre de contester le verdict des urnes ? Comment mettre fin à cette hérésie constitutionnelle qu'est le tiers de blocage, instauré sous prétexte de convivialité dans l'exercice du pouvoir et dont on n'use que pour paralyser, ligoter le Conseil des ministres ?


C'est un délai de rémission de 85 ans que les congressistes de la COP21, chefs d'État, ministres de tutelle et experts confondus, s'accordent à impartir au globe terrestre. Les Libanais sauront-ils se montrer aussi généreux pour leur propre et minuscule planète?

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

 

Sauvés au bout d'un interminable cauchemar. Jamais épée de Damoclès n'aura davantage mérité son nom, n'aura été plus épouvantablement réelle que pour ces seize soldats et policiers enfin libérés hier par leurs ravisseurs : cela après seize mois de captivité, passés sous la menace permanente d'une exécution sommaire.
Techniquement parlant, leurs ravisseurs, des islamistes...