La limite entre le compromis et la soumission est souvent nébuleuse. La realpolitik poussée jusqu'aux derniers retranchements du réalisme cynique peut amener à franchir cette frontière sans sourciller. Le cas se pose aujourd'hui avec le package deal qui s'est cristallisé autour de la candidature de Sleiman Frangié.
Nul ne saurait mettre en doute ni la sensibilité chrétienne ni la représentativité maronite du leader du courant des Marada. Le nom de son mouvement est d'ailleurs suffisamment significatif à cet égard. Le problème ne se situe donc pas à ce niveau mais sur un tout autre plan. Il nécessite pour être clarifié de rappeler, une fois de plus, les racines de la crise libanaise et les enjeux du conflit qui déchire le pays depuis, notamment, la révolution du Cèdre.
Deux projets politiques, aux antipodes l'un de l'autre, s'affrontent sur la scène locale. Le premier brandit l'étendard d'un État fort, garant d'une souveraineté sans partage sur son territoire, détenteur du monopole de la violence légitime, défenseur d'une attitude de neutralité vis-à-vis des axes régionaux. Les tenants de cette thèse souverainiste arguent du fait que le Liban a suffisamment enduré depuis la fin des années 60 des retombées de la « guerre des autres » sur son territoire pour avoir droit, enfin, à une paix civile durable susceptible de lui permettre de rechercher son équilibre interne et de s'occuper de son développement socio-économique. Une logique qui est contestée par les pôles du second projet – Hezbollah en tête – qui prônent l'ancrage du pays à l'axe irano-baassiste et l'attachement ferme aux armes de la « résistance » islamique, quelles qu'en soient les conséquences.
Tout au long des dernières années, le chef des Marada n'a pas caché son alignement sur la deuxième option. Comment pourrait-il, d'ailleurs, en être autrement alors que parmi tous les leaders libanais, il est celui qui entretient les liens les plus étroits, les plus profonds, les plus inconditionnels avec Bachar el-Assad ? Des liens qui puisent leurs sources dans les relations familiales privilégiées entre les Assad et les Frangié, remontant à la fin des années 50.
À l'ombre d'un tel contexte, toute la question est de savoir si Sleiman Frangié a la volonté, ou les moyens, d'agir de manière que son éventuelle accession à la présidence de la République ne soit pas un cadeau inespéré offert sur un plateau en or à Bachar el-Assad, lequel n'hésiterait certainement pas, auquel cas, à relancer avec un esprit revanchard son opération d'Anschluss sur le Liban, avec toutes les conséquences terroristes que cela entraînerait.
Les dirigeants du Hezbollah ont souligné à maintes reprises que le Liban ne saurait être gouverné que sur base du consensus. Effectivement... si Sleiman Frangié accède à la magistrature suprême, aurait-il alors la volonté, ou les moyens, de se comporter en président consensuel – bien qu'issu des rangs du 8 Mars –, de façon à ne pas faire prévaloir le projet politique de l'axe irano-baassiste, au détriment de l'option souverainiste portée à bout de bras par le 14 Mars ?
Il est question dans ce cadre d'un package deal global, incluant des garanties portant sur la loi électorale et la composition du gouvernement. Sleiman Frangié est, certes, un homme d'honneur qui respecte sa parole. Mais est-il en mesure de contraindre le Hezbollah à respecter ses engagements alors que les expériences passées sur ce plan ne sont guère encourageantes ? Le parti chiite, et dans son sillage les autres composantes du 8 Mars, a en effet balayé sans scrupules les accords qui avaient été convenus en 2008 lors du sommet de Doha, avec une couverture arabe et internationale, concernant la pérennité du gouvernement de Saad Hariri ; il a effacé en outre d'un trait de plume les résultats des élections de 2009 en ayant recours au chantage, aux menaces et à l'intimidation milicienne pour contraindre Walid Joumblatt à se retirer de la majorité parlementaire issue du scrutin de 2009 ; et enfin, plus récemment, le Hezbollah a vite fait de renier sa propre signature qu'il avait apposée sur la déclaration de Baabda.
Le Liban a, certes, besoin urgemment d'un président. Sleiman Frangié a suffisamment de légitimité chrétienne sur ce plan. Mais aurait-il l'opportunité d'être réellement un président consensuel et, surtout, d'amener ses actuels alliés – locaux et régionaux – à cesser de transformer le Liban en société guerrière permanente, sans horizon et sans véritable perspective d'avenir ?
Nul ne saurait mettre en doute ni la sensibilité chrétienne ni la...
commentaires (13)
Accepter Sleiman Frangié comme Président, les libanais se font hara kiri en masse Le triomphe du clan Assad et du Hezbollah L'armée syrienne, épaulée par Poutine, viendra s'installer au Liban Nord et Beyrouth et le Hezbollah au Sud. Le pays ne pourra plus s'appeler "LIBAN", mais province iranienne Ce sera le la prison à vie des chrétiens maronites
FAKHOURI
19 h 03, le 01 décembre 2015