Il y aurait eux et nous. Eux, les fous de Dieu, les barbares, les drogués. Nous, les laïcs, les défenseurs de la liberté, les civilisés. Eux s'en prennent à nos valeurs. Alors, nous, nous leur faisons la guerre.
Depuis les attentats de Paris, le discours dominant est binaire, simpliste et, à bien des égards, hypocrite. Le monde entier pointe le « monstre » du doigt, mais lève les yeux au ciel au moment d'en assumer la paternité. Tous se comportent comme si l'État islamique (EI) venait d'une autre époque ou d'une autre planète. Comme si son discours, ses méthodes et son succès étaient complètement étrangers à ce monde. Comme s'il possédait le monopole de la violence débridée, de l'idéologie politico-religieuse et de la haine de l'Autre.
Pourtant, le groupe jihadiste n'est pas né ex-nihilo. Il ne vient pas non plus d'un autre temps. Il est une pathologie de ce monde au moins autant qu'il est une pathologie de l'islam.
Le groupe jihadiste n'est pas, non plus, né sous X. Il peut même se targuer d'avoir une multitude de géniteurs.
Il est, avant toute chose, le résultat de la désastreuse « guerre contre le terrorisme » lancée par George W. Bush au lendemain des attentats du 11-Septembre. Les interventions américaines en Afghanistan et en Irak ont alimenté le terrorisme et lui ont permis de se développer dans plusieurs foyers géographiques. Non seulement les États-Unis n'ont pas réussi à éradiquer el-Qaëda, en témoigne l'attentat contre Charlie Hebdo en janvier dernier – revendiqué par la branche d'el-Qaëda dans la péninsule arabique (AQPA) –, mais ils sont responsables du chaos qui a accouché d'el-Qaëda en Irak. L'EI est un enfant de la Qaëda d'Oussama Ben Laden et de l'Irak de Saddam Hussein.
L'EI est ensuite le résultat des politiques répressives et discriminatoires à l'égard des sunnites menées par l'ex-Premier ministre irakien Nouri al-Maliki. Mais si le groupe jihadiste est né et a grandi en Irak, c'est à la faveur du chaos syrien qu'il a pu atteindre l'âge adulte. En Irak, comme en Syrie, l'EI a profité du vide politique créé par la brutalité des régimes en place et alimenté par les puissances extérieures, pour s'autoproclamer défenseur des sunnites. La conquête de ce territoire à cheval entre les deux pays, grand comme la Grande-Bretagne, a fait de l'organisation terroriste un véritable proto-État, avec peuple, structures et ressources.
L'EI est, enfin, le résultat de la guerre froide que se livrent, depuis 35 ans, les deux régimes théocratiques du golfe Arabo-Persique : l'Iran et l'Arabie saoudite. Leurs guerres par procuration, en Syrie, en Irak, au Yémen, au Bahreïn et au Liban, mais aussi leur volonté d'exporter leurs idéologies politico-religieuses dans l'ensemble du monde musulman, ont fortement contribué à favoriser l'émergence du groupe jihadiste. L'EI est la réponse sunnite au modèle iranien de wilayet-el faqih et la version la plus radicale du wahhabisme saoudien.
L'impérialisme américain, l'autoritarisme baassiste et le « théocratisme islamique » forment le triangle infernal au sein duquel l'EI a pu se développer, au point de devenir l'organisation terroriste la plus puissante du monde.
L'EI est une entité protéiforme qui ressemble à la fois à un réseau terroriste, à une multinationale de la violence et à un proto-État. C'est pourquoi il est aussi difficile de l'affaiblir. L'organisation jihadiste a une stratégie, qu'elle met au service de son idéologie eschatologique : déclarer la guerre au monde entier et semer le chaos à l'intérieur des sociétés de ses ennemis. Des sociétés que le groupe connaît parfaitement puisqu'une grande partie de ses membres en sont originaires.
L'EI est un phénomène mondial qui fait peser une menace constante et globale. Mais le monde n'est pas à la hauteur de cette menace. Les grands États sont incapables d'élaborer une stratégie commune et innovante, qui ne soit pas seulement une répétition des erreurs passées. Pire, ils renforcent l'organisation en continuant de jouer avec le feu. Les Russes et le régime syrien bombardent les rebelles syriens. Les Turcs bombardent les Kurdes. Les Saoudiens bombardent les houthis au Yémen... et les Américains n'ont aucune intention de réparer les dommages qu'ils ont causés. Hormis la France, tous les acteurs qui combattent actuellement l'EI ont un intérêt, au moins provisoire, à ce que l'organisation ne disparaisse pas, même si elle constitue une menace pour chacun d'entre eux. L'EI est fort des incohérences et de la faiblesse de ses adversaires. Plus ces derniers lui déclareront la guerre, plus les chevaliers de l'apocalypse se sentiront forts et auront l'impression que le temps de l'ultime bataille est enfin arrivé. L'EI a tendu un piège au monde. Et le monde est en train de tomber dedans...
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commentaires (8)
CORRECTION ! MERCI : ".... les gesticulations d’un falbala Fabius à la française, qui vont...."
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
11 h 45, le 03 décembre 2015