Chaque année, près de 2,6 millions d'oiseaux sont chassés illégalement au Liban. Tel est le constat établi par une équipe de scientifiques de l'association internationale de défense des oiseaux « BirdLife » dans une étude publiée le 21 août dernier. Le rapport « BirdLife » estime le nombre d'oiseaux abattus illégalement à 248 au kilomètre carré. Bien que la chasse soit interdite depuis 1995 dans le pays, cette activité est toujours pratiquée par plus d'un demi-million de chasseurs, dont une majorité peut être qualifiée de « tireurs ». Un carnage écologique qui ne cesse de croître en raison de l'inexistence d'un encadrement de la part du gouvernement. Cette année aussi, le ministère de l'Environnement n'a pas ouvert officiellement la saison de chasse, alors que la loi sur la chasse reste inappliquée.
Cette loi avait été débattue une première fois en 2004. Il a fallu près de huit ans pour que les décrets d'application soient annoncés en 2012. De ce fait, nombre de chasseurs demeurent des tireurs amateurs ne possédant pas les compétences des chasseurs expérimentés et ils pratiquent cette activité illégalement à travers le pays. Les scientifiques de l'ONG « BirdLife » estiment également que « 400 personnes sont tuées accidentellement chaque année dans des sorties de chasse, en raison de leur manque d'expertise ».
« Ils tuent par pure jouissance »
« Le tir et le piégeage illégal sont devenus un hobby très populaire au Liban », s'inquiètent des chasseurs expérimentés. D'atroces méthodes sont utilisées en masse pour tuer des oiseaux, tels que les dispositifs de lecture musique (qui imitent le son des oiseaux), la colle et les lumières, la nuit, pour attirer les oiseaux dans des pièges.
« Ils tuent des rapaces, dont des aigles, et toutes sortes d'oiseaux non comestibles et supposés être protégés, seulement pour le plaisir. Ils diffusent ensuite des photos pour mettre leurs "exploits" en valeur sur les réseaux sociaux. Ils n'ont pas conscience de l'impact de leurs actes sur la nature », déplore Michel Sawan, un chasseur expérimenté.
La chasse est avant tout un métier, une passion, à des fins commerciales ou personnelles. Être chasseur, c'est respecter une réglementation très précise. « La chasse est normalement autorisée seulement durant l'automne, en raison des migrations, souligne M. Sawan. De plus, les vrais chasseurs doivent être autorisés à chasser un nombre précis d'oiseaux par espèce et par jour : à titre d'exemple, cinq canards colverts par jour et un maximum de vingt cailles quotidiennement. Le chasseur doit pour cela avoir une réelle conscience de ces restrictions afin de réduire au maximum les effets néfastes de la chasse non réglementée au Liban », poursuit-il. Il ajoute que les grives et les merles sont parmi les oiseaux les plus chassés actuellement au Liban.
(Lire aussi : La chasse sauvage décime 15 millions d'oiseaux chaque année au Liban)
« C'est une véritable honte pour le Liban »
La Société pour la protection de la nature au Liban (SPNL, représentante de BirdLife au Liban) et ses partenaires ont été chargés par le gouvernement d'aider à la mise en œuvre de la nouvelle loi sur la chasse, qui est toujours pas appliquée. « Notre association se bat contre les braconniers afin de conserver nos espèces et ainsi protéger l'environnement. Nous avons développé une application mobile (Responsible Hunting) en vue de transmettre des informations sur la loi de la chasse, les différentes espèces de gibier, la saison de la chasse et tout le matériel nécessaire pour un chasseur », nous explique Bassima Chafic Khatib, assistante générale de l'association SPNL.
Le rapport de BirdLife est la première étude réalisée dans la région méditerranéenne, souligne-t-elle. L'étude a été effectuée dans 24 pays, dont le Liban, la Syrie et l'Égypte. Le Liban a été classé à la 4e place en terme d'abattage illégal des oiseaux. « Notre emplacement géographique est très important du point de vue écologique, car nous sommes sur la route de migration entre l'Europe, l'Asie et l'Afrique. Il est crucial de lutter contre cette chasse illégale des oiseaux, car nous avons la responsabilité de protéger ces espèces. »
Après avoir indiqué que « le rapport BirdLife avait été établi au Royaume-Uni », Bassima Khatib indique qu'il a été soumis aux autorités qui l'ont accueilli dans l'indifférence. « Toute cette situation dramatique a été présentée sans impact auprès de notre gouvernement. C'est une véritable honte pour le Liban », ajoute-t-elle.
Quelle serait la solution pour minimiser la chasse illégale ? « Nous souffrons d'un manque d'organisation au niveau des autorités. La solution doit être radicale, comme arrêter plus souvent des chasseurs pris en flagrant délit de pratiques illégales afin de dissuader les autres », affirme Michel Sawan.
La loi promulguée en 2004, réglementant la chasse au Liban, est un exemple flagrant de la non-application des lois environnementales. Malgré tous les décrets portant sur les dangers de la pratique de la chasse, le conseil supérieur de la chasse recommande toujours l'ouverture de la saison pour l'année 2015-2016. Il préconise une réglementation adéquate dans ce domaine, tout en déplorant le fait que le dossier de la chasse n'est pas une priorité pour le ministère de l'Environnement.
« Des intérêts financiers »
Qui bénéficie alors de cette absence de réglementation au Liban ? Fouad Nassif, responsable des relations extérieures au conseil national de la chasse et membre du comité qui a rédigé la nouvelle loi sur la chasse en 2004, expose à L'OLJ son point de vue sur la question : « Le problème auquel nous sommes confrontés au Liban réside dans le fait que les écologistes, et surtout la SPNL, ont des projets financés par des organisations internationales. Tout ce qui les intéresse, c'est de sauver les oiseaux migrateurs, parce que ce sont ces espèces-là qui les intéressent puisqu'elles émigrent de et vers ces pays. Ils ne se préoccupent pas des espèces autochtones. De plus, ils ne cessent de traiter les chasseurs de barbares et de militer pour l'interdiction de la chasse. C'est une hérésie de vouloir empêcher les chasseurs de chasser. »
Lui-même chasseur, Fouad Nassif s'occupe d'une réserve de chasse, où des animaux ont été importés des quatre coins du monde, afin d'essayer de repeupler le Liban avec des espèces disparues. Il estime ainsi qu'il faut « donner de la matière aux chasseurs, afin qu'ils arrêtent de s'en prendre à des espèces qu'il leur est interdit de chasser ».
« Quand on promet aux chasseurs de lâcher 500 000 perdrix, des lapins, etc., on leur donne les moyens de pratiquer leur sport favori tout en les persuadant de ne pas chasser les espèces protégées, poursuit-il. C'est une approche différente, mais les chasseurs l'acceptent, car c'est un langage de chasseur à chasseur. C'est en fait aux chasseurs de réglementer la chasse, parce qu'ils ont la possibilité de convaincre les autres chasseurs de la nécessité d'appliquer la loi de 2004. Les associations devraient nous laisser faire, mais elles ont trop d'intérêts financiers à ne pas appliquer la loi, parce que la situation chaotique actuelle leur apporte une matière à propagande. »
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Mesdames et messieurs, le genre humain.
LS
21 h 18, le 02 décembre 2015