Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Crise

Moscou ne punira pas militairement Ankara, mais économiquement

Erdogan déplore le fait que Poutine ne réponde pas à ses appels ; Moscou dément en avoir reçu.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan, hier à Ankara. Adem Altan / AFP

Deux jours après la perte d'un bombardier russe abattu par l'aviation turque à la frontière syrienne, la Russie a annoncé hier préparer des mesures de rétorsion économique contre Ankara, dont elle a mis en doute la sincérité de l'engagement contre l'organisation État islamique (EI).

Des files de camions remplis de pétrole visibles « jusqu'à l'horizon », se dirigeant « jour et nuit vers la Turquie »: le président russe Vladimir Poutine a ainsi accusé hier soir la Turquie de ne rien faire pour arrêter la contrebande à sa frontière avec l'EI. « Je peux croire que le gouvernement turc n'est pas au courant. Mais ça ne veut pas dire qu'ils ne doivent pas arrêter » ce trafic, a poursuivi le président russe, assurant que ces camions ne transportaient « pas seulement du pétrole mais du sang », car « les terroristes achètent des armes avec cet argent ».

Après avoir joué l'apaisement, le président turc Recep Tayyip Erdogan a à son tour haussé le ton en rejetant les excuses demandées par Vladimir Poutine. « Ceux qui ont violé notre espace aérien sont ceux qui doivent s'excuser », a déclaré M. Erdogan, tempêtant contre les Russes « calomniateurs » et déplorant que M. Poutine n'ait pas répondu à ses appels téléphoniques. Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a pourtant assuré hier soir qu'« il n'y a pas eu » de coup de téléphone de M. Erdogan à son homologue russe.

« Nous avons l'impression que les dirigeants turcs conduisent sciemment les relations russo-turques dans l'impasse », avait plus tôt fustigé Vladimir Poutine, qui a, lors de sa conférence de presse avec François Hollande, jugé « absurdes » les affirmations d'Ankara assurant ne pas avoir su que le Su-24 abattu était russe. La Russie a d'ailleurs assuré avoir informé les États-Unis de la mission de leur bombardier abattu par l'aviation turque, qui ne pouvait pas ignorer sa nationalité. « Les États-Unis, qui dirigent une coalition dont fait partie la Turquie, connaissaient le lieu et le moment du passage de nos avions, et c'est précisément à cet endroit et à ce moment que nous avons été frappés », a déclaré M. Poutine lors d'une conférence de presse.

Depuis le crash de l'avion russe, Ankara et Moscou assurent vouloir éviter une escalade militaire. Mais les autorités russes ont bien l'intention de recourir à l'arme économique. Le Premier ministre Dmitri Medvedev a ainsi demandé au gouvernement de préparer dans les deux jours une série de mesures de rétorsion. Il a laissé entendre que des projets conjoints pourraient être suspendus, les droits de douanes augmentés, les liaisons aériennes restreintes. L'utilisation de la main-d'œuvre turque en Russie pourrait aussi être affectée. Ces mesures risquent de remettre en cause la construction en cours de la première centrale nucléaire turque à Akkuyu (Sud) et d'enterrer le projet de gazoduc TurkStream déjà mal en point, dont Moscou voulait faire la porte d'entrée du gaz russe vers l'Europe du Sud.

 

(Lire aussi : La reprise économique turque tributaire de la politique d'Erdogan)

 

Milliards de dollars en jeu
Le ministère russe de l'Agriculture a de son côté annoncé un renforcement des contrôles sur les produits agricoles et alimentaires importés de Turquie pour cause de « violations répétées des normes » sanitaires, motif souvent invoqué par la Russie en fonction de ses nécessités géopolitiques. Selon la presse russe, les douanes inspectent déjà toutes les marchandises arrivant de Turquie sans se limiter à la nourriture, entraînant retards et blocages. Et les Russes se trouvant en Turquie ont été appelés à rentrer en Russie par le ministère des Affaires étrangères, qui a invoqué « l'actuelle menace terroriste en Turquie ». Cette annonce pourrait priver la Turquie de plus de trois millions de touristes par an.

Les manifestations de colère se sont aussi multipliées : jets de pierre contre l'ambassade de Turquie à Moscou et d'œufs contre le consulat turc à Saint-Pétersbourg, projet de loi pour pénaliser la négation du génocide arménien et, selon des médias turcs, visiteurs turcs refoulés à l'aéroport de Moscou. Ankara a convoqué dans la soirée l'ambassadeur russe pour dénoncer les violences qui ont visé son ambassade et s'inquiéter des « attaques physiques » dont seraient victimes ses représentations et ses entreprises en Russie.

 

Lire aussi
Sukhoï russe abattu : Qu'en pensent les Turcs?

Moscou et Ankara conscients de leurs limites, malgré leurs obsessions respectives

Avion russe abattu : comment, pourquoi et quelles conséquences?

Entre Moscou et Ankara, une tension à l'extrême mais des risques de dérapage plutôt réduits

Deux jours après la perte d'un bombardier russe abattu par l'aviation turque à la frontière syrienne, la Russie a annoncé hier préparer des mesures de rétorsion économique contre Ankara, dont elle a mis en doute la sincérité de l'engagement contre l'organisation État islamique (EI).Des files de camions remplis de pétrole visibles « jusqu'à l'horizon », se dirigeant « jour et...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut