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Culture - Home Works 7

Quand l’ivoire se fait chair, sueur et sécrétions...

Un spectacle à la fois monument d'extravagance et fascinant agitateur d'émotions, « De marfirm e carne » (D'ivoire et de chair) est une création de la chorégraphe capverdienne Marlene Monteiro Freitas.

Au bal de statues fantomatiques qui s’animent au son des percussions métalliques.

Une lumière blafarde jaillissant de sous la scène du théâtre Tournesol enveloppe les visages grimés des quatre danseurs(seuses), aux torses corsetés de bleu, d'une aura de statuaire d'ivoire. Tandis que les jambes nues peintes en noir jusqu'à mi-cuisse des trois musiciens, vêtus de peignoirs noirs satinés, qui les accompagnent à grands coups de cymbales, donnent à ces derniers des allures de lutteurs. Antiques, asiatiques, contemporains ? Difficile de trancher.

Sur une musique forte aux sonorités stridentes et frénétiques évoquant celles des comédies musicales bollywoodiennes, métissées de chants arabes aux accents nord-africains, la compagnie entame une danse aux mouvements robotiques, saccadés, évoquant par moments la gestuelle de l'art martial, jouant également les cordes de l'expression bestiale ou encore reproduisant avec une agilité incroyable les danses des divinités indiennes aux mille bras... Le ton est donné pour De marfirm e carne (D'ivoire et de chair), création de la chorégraphe capverdienne Marlene Monteiro Freitas, qui a clôturé la 7e édition des Home Works d'Ashkal Alwan. Dans ce spectacle singulier, mélange prolifique de danse, de performance, d'art brut et de pantomime, tout est hybride, bâtard, métissé : images, gestes et musiques... Et c'est cet état d'entre-deux qui mène la danse. Ou plutôt le bal. Car il s'agit d'un bal de statues fantomatiques qui s'animent au son des percussions métalliques pour dévoiler, sous des aspects de pantins mécaniques, une animalité sauvage mais toujours totalement dénuée d'esprit...

Dans cette œuvre scénique inspirée partiellement du film d'Alain Resnais et Chris Marker sur le thème de l'art nègre, Les Statues meurent aussi, Marlene Monteiro Freitas explore « l'enchevêtrement des notions de visibilité, de mobilité, d'animation, de résurrection, d'image et de son double, l'icône », signale la note d'intention. Mais il ne faut pas vraiment y chercher un sens. Ce sont plutôt les affects du spectateur qui sont sollicités ici, ses émotions... Voire carrément ses sentiments contradictoires de fascination (pour l'extraordinaire maîtrise des danseurs de chaque parcelle de leurs corps) et de répulsion (pour des séquences dégoulinantes de sueur, de salive et de bave rougeâtre et sanguinolente). Mais aussi de trouble (devant certaines métamorphoses physiques des danseurs) et de détente (quand, à l'issue de la représentation, les artistes revisitent, à leur manière toujours caricaturale et décalée, l'interplanétaire Feelings).

On est très loin de l'esthétiquement correct dans cette furieuse bacchanale (qui offre même dans une séquence une sorte de parodie du Lac des cygnes). Il n'en reste pas moins que sous la transgression et parfois les répétitions, cette création contemporaine réserve des moments d'une extraordinaire intensité. À l'instar de cette danseuse aux déformations faciales qui la transforment progressivement en homme, puis en primate fixant le public d'un regard d'une vertigineuse vacuité, qui rend, en retour, sa contemplation à la limite du supportable!
De marfirm e carne (D'ivoire et de chair), ou l'expérience d'une chorégraphie contemporaine provocatrice d'émotions... contrastées.

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Ouverture, impureté, intensité

Née en 1979 au Cap Vert où elle a cofondé la troupe de danse Compass, Marlene Monteiro Freitas a suivi des études de danse à l'École supérieure de danse de Bruxelles puis à la Fondation Gulbenkian de Lisbonne. Elle est aujourd'hui basée à Lisbonne, où elle travaille avec Emmanuelle Huynh, Loïc Touzé ou Tânia Carvalho, entre autres. Elle est aussi l'auteure de créations comme Paraíso colecção privada (2012-2013), (M)imosa (2011) ou A Seriedade do Animal (2009-2010) qui ont toutes pour dénominateur commun l'ouverture, l'impureté et l'intensité. Adepte des déformations et des créatures hybrides, son travail s'oriente autour des questions de l'étrangeté et de l'animalité.

 

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