Deux attentats à un jour d'intervalle au Liban et en France – un pays développé et un pays en mal de développement à tous les niveaux. Une semaine s'est écoulée après ces jeudi (libanais) et vendredi (français) noirs. Les esprits sont toujours endeuillés, mais le temps aidant, un peu plus apaisés. Donc plus à même de mieux relire les couvertures médiatiques, libanaise d'une part et française de l'autre, d'un même scénario catastrophe.
L'attentat de Bourj el-Brajneh a mis en exergue les failles profondes dont souffre notre corps médiatique dans sa façon de couvrir un incident d'une telle envergure. Les reporters des chaînes de télévision libanaises ne se sont pas contentés de retransmettre l'ambiance insoutenable qui régnait dans le quartier visé par le double attentat, mais se sont autoproclamés enquêteurs, policiers, soldats et médecins, voire urgentistes pour certains... En face, la couverture beaucoup plus sobre par les journalistes français des horreurs vues et vécues à Paris a montré à quel point les deux manières de travailler restent démesurément opposées.
Il est impératif d'apprendre, d'écouter et d'évoluer dans la façon de présenter l'information, plutôt que de continuer, année après année, attentat après attentat, à s'acharner sur le premier passant afin de lui soustraire une phrase, un commentaire ou un témoignage, dont l'exactitude et la pertinence, neuf fois sur dix, n'ont pas été vérifiées à l'avance...
Il n'est pas admis qu'un journaliste libanais demande à un enfant alité aux urgences où sont ses parents, tout en sachant pertinemment que ceux-ci font partie des victimes de l'attentat. Le journaliste en question ne pensait qu'à l'empathie des téléspectateurs, certes, mais en occultant totalement le désarroi et la peur du petit garçon littéralement traumatisé, il n'a pensé qu'à profiter de son innocence et de sa spontanéité.
Ces baskets...
Qu'en est-il des caméras qui circulaient librement dans les couloirs des hôpitaux de la banlieue sud, encombrant le travail du personnel et diffusant des photos des blessés et des tués dans un irrespect total de l'éthique journalistique ou humaine ? La sobriété des journalistes français, pas exempts de défauts, loin de là, et leur refus de transmettre des images des victimes à leur insu méritent toutefois le respect. Il doit y avoir impérativement une échelle de priorités dans les informations transmises, quels que soient l'endroit ou les circonstances. Ce sont les intérêts des victimes et ceux de leur famille qui doivent primer. C'est leur dignité, leur intimité, notamment dans des moments épouvantables durant lesquels ils sont vulnérables, qui doivent être préservées. Il n'appartient pas aux journalistes de publier ou demander le nom des victimes juste pour multiplier les scoops. Ce sont les familles qui doivent être informées en premier, pas les étrangers devant leur petit écran.
Des restes de corps humain ne sont pas ce qu'il y a de meilleur à partager lors des reportages-chocs. La photo qui montrait une paire de baskets appartenant à l'une des victimes des attentats de Paris était de loin plus explicite que les morceaux de chair humaine et les flaques de sang captés par nos caméras locales sur les pavés de Bourj el-Brajneh.
Il est inutile de crier ou de gesticuler dans tous les sens pour que le téléspectateur prenne conscience de la gravité du moment. Une maîtrise de soi est plutôt recommandée dans ce genre de situation où l'information objective doit rester la priorité et non pas la personne du journaliste. Une préenquête est requise avant de faire passer devant la caméra un personnage dont l'intervention pourrait s'avérer être complètement inutile ou erronée, comme l'a fait une journaliste lorsqu'elle a découvert en direct que son fameux témoin n'était même pas sur les lieux lors de l'attentat de Bourj el-Brajneh. Une retransmission en direct reste bien sûr la bienvenue, sans pour autant la meubler par des questions oiseuses du genre: «Qu'avez-vous ressenti après votre blessure, ça vous a fait mal?» Ou bien, à un responsable qui vient inspecter les lieux de l'attentat : «Que faites-vous ici?»
Le péché capital a été le relais des accusations et des insultes haineuses. Si jamais les impératifs du direct ne permettent pas d'éviter ces incidents, il est du devoir du journaliste de s'excuser auprès des téléspectateurs ou d'essayer, dans la mesure du possible, de rectifier le tir.
Nous, Libanais, sommes à notre énième attentat. Inexplicablement, malheureusement, il nous reste encore beaucoup à apprendre quand il s'agit, entre autres, d'éthique et de dignité.
commentaires (7)
la decision de ne rien montrer des attentats comme le font les francais n est pas bonne...en espagne qui a subi les attentats de l ETA pendant trente ans,on montre l horreur...sang,corps dechiquetes ,chaos....c est important de voir la realite d un attentat ....non aux infos aseptisees a la francaise....
HABIBI FRANCAIS
01 h 02, le 24 novembre 2015