« Ils faisaient preuve d'un sang-froid effroyable. Ils étaient calmes, nullement nerveux, sûrs d'eux-mêmes dans l'exécution de leur (sinistre) besogne. » Les témoignages poignants apportés à l'unisson par les rescapés de cette soirée démentielle du vendredi 13 novembre à Paris résument en peu de mots la toile de fond qui caractérise le comportement meurtrier des kamikazes qui ont semé la terreur dans plusieurs quartiers de la Ville Lumière. Un comportement fondé sur le culte du martyre.
Dans la logique jihadiste, mourir en martyr constitue un honneur suprême, l'apogée de l'accomplissement personnel, un objectif sacré auquel on aspire ardemment pour mériter le paradis. Le secrétaire général adjoint du Hezbollah, Naïm Kassem, expose très clairement, dans son ouvrage sur le Hezbollah, la dimension et la portée de cette notion de martyre. Il souligne ainsi que « le martyre est fondé sur la conception religieuse de l'existence d'une autre vie au cours de laquelle l'homme vit heureux et tous ses rêves se réalisent ». Et d'ajouter : « Nombreux sont ceux qui désirent le martyre et qui souhaitent être désignés pour mener une action-suicide afin de réaliser le vœu de Dieu. »
À ce culte du sacrifice s'ajoute une profonde motivation idéologique. Les kamikazes sont mus en effet par une volonté de combattre les valeurs et d'ébranler le mode de vie des sociétés modernes de type occidental. Cela nécessite de se livrer à des actions spectaculaires susceptibles de provoquer un sentiment de peur, de créer un climat de psychose parmi la population civile. S'attaquer à des centres balnéaires (comme en Tunisie), à des hôtels de luxe (comme à Bombay), à des restaurants, des cafés trottoirs, des salles de spectacles, des stades sportifs reflète un rejet de la société de consommation et de l'attachement aux biens matériels.
Motivation idéologique aveugle et culte religieux du martyre : deux facteurs qui incitent à provoquer la mort d'autrui avec sang-froid et sérénité tout en sacrifiant, pour ce faire, sa propre vie, en toute quiétude. Mais ces deux paramètres peuvent ouvrir la voie à une conséquence d'une tout autre nature : la manipulation machiavélique de la part d'une partie tierce – un État ou un service de renseignements – pour atteindre des objectifs occultes que les exécutants des actions terroristes pourraient totalement ignorer. Le monde du terrorisme et des renseignements a une logique propre à lui qui n'est en aucune mesure comparable à celle du monde normal et cartésien.
Les jihadistes représentent ainsi en quelque sorte un vivier de terroristes auquel peuvent avoir recours des États ou des services de renseignements, avec la complicité de chefs jihadistes locaux, pour mener des opérations dont le réel but politique diffère de celui des exécutants. Le cas du kamikaze qui a exécuté le plan de l'assassinat de Rafic Hariri et le précédent de Fateh el-Islam, à l'origine de la bataille de Nahr el-Bared (à l'instigation du régime syrien), constituent sans doute à cet égard les exemples les plus probants.
La manipulation peut se faire aussi de manière indirecte, par ricochet, de façon pernicieuse : en libérant quelques semaines après le déclenchement de la révolution syrienne, en mars 2011, des centaines de jihadistes qui croupissaient dans ses geôles, Bachar el-Assad savait que ces fondamentalistes radicaux mettraient sur pied des organisations terroristes, ce qui lui permettrait un jour (aujourd'hui, précisément), même au prix de la vie de ses propres hommes (mais, pour lui, peu importe) de placer l'Occident et certains pays arabes devant l'équation suivante : « Pour leur faire face, vous avez besoin de moi comme rempart. » Le clan Assad est passé maître dans ce jeu de pyromane-pompier en exploitant la dynamique jihadiste et le culte du martyre.
Le plus désolant dans un tel contexte est que quelques heures seulement après les attaques du 13 novembre, des voix se sont élevées en France pour pousser le président François Hollande à accepter le fait accompli de Bachar el-Assad. Attitude amorale ; ignorance totale; ou inqualifiable cécité politique ? Quelle que soit la réponse, la réalité reste la même : céder au chantage du terrorisme et des dictateurs les plus abjects n'aura pour conséquence plus ou moins lointaine que d'accélérer, pour certains, la descente aux enfers.
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19 h 57, le 18 novembre 2015