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Liban - Conférence

Entre virtualité et réalité

Quel impact les réseaux sociaux exercent-ils sur la société arabe, notamment libanaise? Une conférence organisée dimanche au Biel à l'initiative de la Fondation Gebran Tuéni, dans le cadre du Salon du livre francophone de Beyrouth, s'est penchée sur cette question d'actualité.

De gauche à droite, Loubna Maaliki, Carole Alsharabati, Lynn Tehini, Bassam Abou Zeid, Eddy Bitar.

À une allure vertigineuse, les médias sociaux s'emparent d'un espace sans cesse croissant de la vie politique et sociale et s'imposent comme les outils maîtres de la communication, de l'information et du partage. Initiée par la Fondation Gebran Tuéni, une table ronde ayant pour thème « L'influence des réseaux sociaux sur la société. Le cas du Liban et du monde arabe » a regroupé Carole Alsharabati, directrice de l'Institut des sciences politiques de l'Université Saint-Joseph (USJ) et cofondatrice de l'ONG Sakker el-Dekkene, Bassam Abou Zeid, journaliste à la LBC, Édouard Bitar, cofondateur de l'ONG Live Love Beirut, et Loubna Maaliki, directrice de l'Académie médiatique et digitale de l'Université américaine de Beyrouth (AUB). Devant une assistance nombreuse, ils ont partagé leurs réflexions sur les relations entre le monde numérique et le monde réel.

80 % de la population au Liban surfe sur Internet
D'abord les chiffres. La modératrice, Lynn Tehini Kassatly, a d'emblée mis en relief l'envergure de l'activité digitale tant au Moyen-Orient qu'au Liban. « Les derniers rapports font état de plus de 81 000 000 d'utilisateurs de Facebook, et de 8 445 515 utilisateurs de Linkedin », indique Mme Kassatly, précisant qu'« au Liban, 3 300 000 personnes, soit 80 % de la population, surfent sur Internet ». Et d'ouvrir le débat en posant à Carole Alsharabati la question de savoir « dans quelle mesure cette intense connectivité au monde virtuel exerce-t-elle une force de changement sur la vie réelle ? ».
Pour la directrice de l'ISP, le rôle des réseaux sociaux est très important dans la mobilisation politique. Elle explique cette incursion de la virtualité dans la réalité par l'existence de plusieurs facteurs favorables, notamment l'anonymat. « Grâce au caractère anonyme de l'espace digital, toute personne peut, sans s'inquiéter de contraintes sociales ou politiques, entreprendre des actions qui peuvent aboutir à des résultats palpables », assure-t-elle. Le transfert de la subversion en ligne vers la subversion sur le terrain est facilité également par la disponibilité, sur la Toile, d'une multitude d'informations, de commentaires et de débats. « Des études scientifiques ont montré que les réseaux sociaux propagent de manière virale les émotions », indique-t-elle sur ce point, soulignant que « l'effet contagieux des émotions en ligne » peut amener les responsables à prendre des mesures qu'ils n'auraient pas prises en l'absence d'Internet. L'image du bébé syrien mort noyé et rejeté sur une plage a ainsi bouleversé les États européens et modifié leur attitude vis-à-vis des réfugiés. De même au Liban, le hashtag « Justice for George Rif », l'automobiliste tué pour une priorité de passage, a fait le tour de la Toile et accéléré le procès de son meurtrier.

« Clicktivisme » et activisme
Évoquant le militantisme sur Internet, Mme Alsharabati indique que souvent, « le clicktivisme déborde pour verser dans un activisme intense sur le terrain ». Elle rappelle, à ce titre, comment en Tunisie, lorsque Mohammad Bouazizi
s'était immolé par le feu, la contestation et la colère se sont propagées sur Facebook et Twitter, jusqu'à aboutir à la révolution et à la destitution du président tunisien, Ben Ali. « Même au Liban, relève-t-elle, la campagne « "Sawet ta sawetlak" est parvenue à faire voter un projet de loi sur la violence domestique ». Mme Alsharabati indique toutefois que « les Libanais ne réagissent pas assez, se contentant souvent de "clicker" sur le clavier plutôt que de descendre dans les rues pour distribuer des brochures, collecter des fonds ou manifester ». Elle attribue leur tiédeur au fait qu'« ils ne sont pas encore conscients de leur propre aptitude à pouvoir changer les choses, ayant pris le pli d'attendre indéfiniment que leurs problèmes soient réglés par leurs gouvernants ».
Pourtant, selon la responsable de l'ISP, le contexte libanais est mobilisateur, c'est-à-dire qu'« il renferme toutes les données pour un bouillonnement et une flambée subversifs ». « Le pays souffre d'une situation déplorable au niveau de la santé, de l'éducation, des salaires non payés, de l'infrastructure des routes, des problèmes liés aux réfugiés, explicite-t-elle, tandis que ses habitants sont encore incapables d'exploiter les réseaux sociaux pour réaliser un véritable basculement. » Et de conclure : « Quoique très mobilisés sur la Toile, les Libanais maintiennent une sorte de retenue en attendant de prendre un jour leur envol, loin des contraintes structurelles de leur société. »

Réseaux sociaux et actions sociales
Eddy Bitar, dont le site Instagram Live Love Beirut attire depuis 2012 plus d'un demi-million de suiveurs, affirme que la mise en ligne de photos montrant du Liban la beauté plutôt qu'une image dégradante a généré un impact positif dans la vie réelle. Pour lui, les réseaux sociaux sont des outils efficaces qui remplissent un rôle de coordinateurs.« L'envoi par 150 000 personnes de plus de 300 000 photos porteuses d'un message positif d'espoir et de volonté de changement a suscité en trois ans un mouvement participatif et citoyen, à travers lequel les Libanais commencent à entreprendre concrètement des actions sociales sur le terrain », indique l'activiste.
Bassam Abou Zeid retrace pour sa part le contexte du métier de journaliste dans les années 80 et la difficulté de faire parvenir l'information en l'absence d'Internet. Il relève ensuite les progrès rapides du journalisme depuis la naissance des médias sociaux, affirmant que les informations mises en ligne sur Twitter ont un impact considérable sur les gens. Toutefois l'information numérique représente, selon M. Abou Zeid, une arme à double tranchant. « Si chaque individu peut désormais se muer en reporter et photographe de presse, le risque est néanmoins grand de propager des informations dépourvues de crédibilité », observe-t-il.
À ce sujet, Loubna Maaliki a mis l'accent sur la nécessité de pousser les étudiants universitaires à trier « à la source » les informations numériques et à les analyser avec un sens critique avant de les transmettre à leurs destinataires. Elle a également invité les responsables scolaires et parents à cultiver une « éducation digitale » chez les enfants dès leur plus jeune âge, en vue de parvenir à un système d'information efficace.

 

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