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Économie - Portrait

Oussama Ammar, itinéraire d’un « barbare » précoce

De passage au Liban pour participer à une conférence organisée par le « Commerce du Levant », Oussama Ammar constitue l'une des nouvelles figures de proue de la réussite des geeks libanais à l'exportation. Retour sur un succès forgé à grande vitesse entre Paris, Hong Kong et la Silicon Valley.

Photo DR

La précocité de sa réussite entrepreneuriale évoque celle d'autres expatriés, comme Rand Hindi, le père trentenaire de Snips : la start-up française spécialisée dans le big data, ou Mark Haïdar, le cofondateur de la start-up californienne Vinli, qui veux rendre les voitures intelligentes. Mais si ces derniers se sont surtout distingués à travers leurs innovations, c'est plutôt sa capacité à donner les moyens à d'autres d'en réaliser qui a valu à Oussama Ammar de briller sur la scène technologique française.
Ce Franco-Libanais de 29 ans est l'heureux cofondateur – avec les Français Alice Zagury et Nicolas Colin – de The Family, l'un des plus gros accélérateurs de start-up de l'Hexagone, avec un portefeuille d'environ deux cents start-up, dont le quart a déjà levé 120 millions d'euros. Un accélérateur un peu atypique qui, par exemple, n'héberge aucune de ses pépites. « The Family est plutôt une société d'investissement qui, plutôt que de financer des boîtes à fort potentiel de croissance pour les soutenir ensuite avec des services, adopte la démarche inverse », corrige-t-il. En échange de 3 % du capital de ses poulains, la structure propose un programme intensif d'évènements et de services. « Une start-up, c'est 30 % de problèmes spécifiques et 70 % de défis communs. Et on répond à ces derniers à travers trois piliers : l'éducation de l'écosystème, la fourniture d'Unfair Advantages et l'aide à la levée de fonds », résume le jeune homme qui n'a de cesse de bousculer les codes d'un entrepreneuriat français pas toujours en phase avec les disruptions numériques. Une démarche au cœur de ses programmes de formation dont les appellations sont à l'image de son franc-parler. Comme Les Barbares attaquent – visant à éclairer les poids lourds des secteurs traditionnels sur la manière dont les jeunes pousses vont s'attaquer à leur empire – ou les Koudétat, que The Family dispense à ses protégés pour les aguerrir, « et, au passage, filtrer les meilleurs ». En dépit de son âge, Oussama Ammar peut pour cela s'appuyer sur une expérience forgée le long d'un parcours aux faux airs d'épopée.

 

« Consultant Out of the Box »
Une épopée qui débute en 1986 lorsque, à l'âge de deux ans il quitte son village de Maïs el-Jabal, dans le Sud-Liban, pour suivre sa mère au Zaïre, avant qu'ils n'en soient expulsés trois ans plus tard. Obtenant un permis de séjour en France, sa mère nourrit alors pour son rejeton les espoirs d'une réussite sociale patiemment forgée au rythme de sa scolarisation. « Mais tout tourne mal à 12 ans, lorsque j'ai gagné lors d'un concours un ordinateur livré sans Windows, que ma mère ne pouvait m'offrir avec son salaire de femme de ménage. J'ai dû apprendre à le bidouiller pour pouvoir y installer des jeux », narre-t-il. Ainsi débute une passion qui, au hasard d'une rencontre, va très vite s'avérer aussi démesurée que lucrative. Passant ses mercredis chez l'un des clients de sa mère, il lui propose un jour de régler un problème sur son site Internet. « Il m'a payé le triple du salaire mensuel de ma mère pour un truc que j'adorais faire. Ça a été une révélation ! » Il continue donc à apprendre la programmation en autodidacte tout en fondant Sekalok, sa première société en Uruguay – « le seul pays où un mineur peut enregistrer une boîte ».
Pour faire tourner cette plateforme de développement de site web, il démarche clients et sous-traitants aux quatre coins du globe à travers un service de messagerie instantanée. « Personne n'imaginait que le PDG avait 13 ans », sourit-il encore. Sous le regard vigilant de sa mère, il garde toutefois les pieds sur terre : « Je ne pouvais pas toucher à mes gains accumulés car, dans l'esprit de ma mère, cela devait financer mes études. » Du reste, après l'explosion de la bulle Internet en 2001, les revenus commencent à se tarir. Pas de quoi décourager le jeune homme qui entame des études de philosophie tout en réalisant, à 19 ans, sa première revente. Un fond d'investissement hongkongais lui rachète un programme de récupération de données et l'embauche dans la foulée. Il y joue très vite le rôle de « consultant Out of the Box. Par exemple, lorsqu'ils ont voulu embaucher un directeur d'usine, je les ai convaincus de caster les ouvriers au meilleur QI. Les résultats ont été fulgurants ».

Rapport « rafraîchissant » à l'argent
Après trois ans, il décide de réaliser son rêve en créant une véritable start-up. Ce sera Hypios, une sorte de « Mc Kinsey 2.0 » visant à résoudre des problèmes technologiques complexes en mettant à contribution des chercheurs du monde entier. Mais l'affaire tourne court et il se fait congédier par ses investisseurs. « J'ai énormément appris car j'ai fait toutes les bêtises du monde ! » Surtout, cette mésaventure fait naître une intuition qui sera confirmée quelques mois plus tard, lorsqu'il part pour la Silicon Valley. « J'ai eu la chance d'y rencontrer les meilleurs entrepreneurs du monde et je me suis rendu compte que je ne serais jamais comme eux. Faire une start-up, c'est passer quinze ans à résoudre le même problème avec les même gens. Je trouvais beaucoup plus rafraîchissant de multiplier les rencontres et les problèmes à résoudre », résume-t-il. En quelques années, il va ainsi financer une vingtaine de boîtes. « Pour l'instant, j'ai plus appris qu'engrangé des gains, mais aujourd'hui, mes participations valent potentiellement plusieurs millions de dollars. » C'est fort de ce palmarès qu'il rencontre Alice Zagury, alors dirigeante de l'incubateur public français Le Camping, qui le convaincra de rentrer au pays pour y créer The Family avec Nicolas Colin. Deux ans et demi plus tard, l'accélérateur entame son expansion internationale : après avoir récemment ouvert un bureau à Londres et un pendant à Barcelone, ils visent l'Italie et le reste de l'Europe dans les dix-huit prochains mois.
Et le Liban ? « J'y reviens souvent pour voir ma mère qui s'y est réinstallée, mais pour l'instant, la priorité c'est la zone euro. » Reste que ses séjours lui ont permis de se faire une idée de l'écosystème local. « J'ai été très impressionné par les entrepreneurs libanais, et en particulier par leur ambition et leur rapport décomplexé à l'argent : venant de France, c'est très rafraîchissant... » En revanche, la stratégie politique visant à faire du pays un pôle numérique régional pour tenter d'y retenir ses talents trouve moins grâce à ses yeux : « Il ne faut pas se tromper d'objectifs : on ne sauve pas un pays grâce à l'entrepreneuriat, et les pouvoirs publics devraient se concentrer sur les problèmes bien plus importants auxquels est confronté le Liban... »

 

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