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Liban - Salon du livre 2015

Lire Amal Makarem, et lire en elle

C’est notamment sur ces rouleaux thermiques qu’Amal Makarem a consigné une partie de ses notes...

Lire l'ouvrage d'Amal Makarem, Paradis infernal, c'est un peu lire en elle. C'est aussi décrypter toute la palette de passions qui a animé le parcours de l'activiste, de l'humaniste et de la femme anticonformiste baignant jusqu'à la moelle dans cet amour infini pour un Liban qu'elle n'a pas cessé de rêver.
Ceux qui connaissent Amal Makarem de près ont exprimé cette facette dans les termes les plus éloquents mardi dernier, au Salon du livre francophone, lors d'une table ronde qui a réuni des personnalités qui l'ont accompagnée dans quelques-unes de ces « bribes de vie » qu'elle raconte dans son ouvrage.
Publié aux éditions L'Orient des livres, Paradis infernal est une sorte d'exutoire, un voyage initiatique à travers la mémoire, même fragmentaire, qu'elle a fini par apprivoiser à titre personnel, après avoir perdu l'espoir de le faire collectivement. Ayant milité des années durant pour propager la culture d'une « mémoire pour l'avenir », une mémoire guérisseuse après la guerre civile, elle y renoncera, momentanément (?). Dans l'intervalle, elle avait été choquée par la destruction, trois semaines après son édification, d'une structure sur laquelle devaient être gravés les noms des victimes de la guerre. Le projet était signé par la fondation Mémoire pour l'avenir qu'elle présidait.
« La mémoire sert à penser. Penser pour préserver l'humanité qu'il y a en chacun de nous », écrit déjà Amal Makarem dans son discours inaugural lors d'un colloque qu'elle avait organisé sur le même thème, à la Maison des Nations unies, en 2001.
C'est finalement à partir de ses notes éparses, consignées en partie sur des rouleaux thermiques, qu'elle décide de ressusciter dans Paradis infernal une partie de ce passé qu'elle avait enfoui puis retrouvé « dans une boîte à chaussures ».
« Le passé, écrit-elle dans sa préface, est dans ce journal comme il est dans ma tête, et peut-être dans celle de bien de gens, semblable à une étoffe rongée par les mites. »

Parallélisme désespérant
« C'est un journal perdu, retrouvé, fragmentaire, portant essentiellement sur les années 1975-1976, ou le début de la guerre du Liban, souligne le critique et essayiste Farès Sassine, en présentant l'ouvrage. En elle, j'ai revu après bien des années (...) cette indomptable et quasi irrésistible désir de tout dire. De raconter le malheur pour faire le deuil, de crier le désarroi pour maîtriser sa colère. De pardonner sans oublier. »
« Elle écrit le passé, un certain passé, pour l'avenir », enchaîne l'ancien ministre Ziyad Baroud. L'histoire répétitive accablante d'un Liban qui peine à cicatriser ses blessures lui donnera raison. « En lisant son journal du 26 avril 1975, on lit l'actualité d'aujourd'hui même. Comme si rien n'a changé », dit-il en citant le passage relaté par l'auteure sur cette période : « L'impasse politique est telle que le gouvernement ne peut ni démissionner ni se réunir. » Parallélisme cinglant, presque désespérant.
Amal Makarem se demande encore et toujours : « Quel avenir construire, alors que le déni entretient un projet latent de violence, consacrant d'une part l'arrogance des chefs de guerre et leur impunité, et d'autre part le désarroi des victimes et leur exclusion ? »
C'est à la nouvelle génération que l'auteure semble également vouloir s'adresser, espérant lui transmettre le virus de cette mémoire salvatrice susceptible de l'extirper de l'oubli létal. Le témoignage de Toufic Safie, qui avait cinq ans lorsque la guerre s'est terminée, n'en est que plus expressif. « Le témoignage d'Amal, dit-il, est indispensable surtout pour les générations de l'après-guerre, à commencer par la mienne, qui, à défaut d'une connaissance de la guerre, n'entretiennent que les versions de leurs propres communautés façonnées toujours en victimes ou héros. Versions qui, au fil des générations, et par ces dernières, se transforment en mythes, qui, tout en se radicalisant (et se ridiculisant), nous endiguent toujours un peu plus dans nos communautés respectives. »
Il ajoute : « C'est comme si les mots d'Amal venaient remplir les pièces manquantes d'un puzzle que j'ai toujours cherché en vain à compléter. »

« Électron libre »
Publié « contre des résistances internes familiales et communautaires », l'ouvrage n'en révèle pas moins les multiples facettes d'une personnalité rebelle qui ne s'est jamais départie de son élégance princière.
« Amal, c'est à la fois l'intégrité, la pureté, ce qu'elle appelle " la constante obsession du politique ", et j'ajouterai de la justice, de la mémoire de la vérité, souligne Farès Sassine. C'est aussi une légèreté qui la rend toujours glissante, fantomatique, insaisissable. »
L'ancien ministre et député Marwan Hamadé, qui l'a connue dès sa plus jeune enfance, enchaîne : « Amal, c'est un électron libre. On pouvait l'imaginer avec le mandil druze, mais seulement aux enterrements. Sans renier ses origines, elle ne s'était jamais laissée encombrer par elles. »
Les conventions, elle en faisait fi, même en politique, où elle a toujours forgé ses choix dans sa compassion pour l'autre, pour l'homme, pour une citoyenneté éclairée, mais jamais dans le dogme. « Elle ne s'était jamais laissée ligoter par les traditions et n'a jamais accepté l'autorité patriarcale, familiale et même politique », dit encore Marwan Hamadé qui se souvenait d'elle, il y a 25 ans déjà, comme étant « le prototype de ce que serait la femme libanaise des lendemains ».
« En désaccord avec tout et tous, notamment avec la communauté druze dont elle est issue, et au camp politique (la gauche) auquel elle adhère, complice aussi avec eux », assure Farès Sassine.
Les articles d'Amal Makarem, du temps où elle enfilait sa casquette de journaliste engagée, sont « toujours d'actualité, aussi bien dans le domaine constitutionnel que dans le domaine de l'environnement », commente l'écrivain Alexandre Najjar, en référence aux écrits de l'auteure de Paradis infernal il y a quelques années, dans le supplément du quotidien an-Nahar consacré aux droits des citoyens.
« Ce qui impressionne dans Paradis infernal (...), c'est cette capacité à atteindre l'universel en partant des confessions les plus intimes, note M. Najjar. Il nous dévoile la guerre dans toute sa crudité, dans toute sa cruauté, et nous ouvre les yeux sur l'absurdité d'un conflit de 15 ans, qui perdure dans une forme larvée et dont nos dirigeants n'ont tiré malheureusement aucune leçon. »
Et Marwan Hamadé de rendre hommage à l'auteure pour « avoir écrit un livre que nous n'avons pas écrit, d'avoir tenu un journal que nous n'avons pas tenu, et, en définitive, d'avoir transmis avec beaucoup de sincérité des sentiments que nous n'avons toujours pas su ni dompter, ni réguler, ni contenir ».
« Merci d'avoir osé le pari », conclut Ziyad Baroud.

 

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