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Nos Lecteurs ont la Parole - Ibrahim TABET

Pour une renaissance francophone

Bien que l'ouverture du Salon francophone de Beyrouth illustre la vitalité de la francophonie au Liban, les motifs de préoccupation concernant son avenir ne manquent malheureusement pas. Le dernier en date est le choix, dénoncé par Sibylle Rizk, d'exclure le français de la signalétique du musée Sursock qui est exclusivement en arabe et en anglais. La volonté, délibérée ou non, de la municipalité de Beyrouth et de Solidere d'occulter le patrimoine et la mémoire culturelle de la ville s'est aussi illustrée quand la baie du Saint-Georges a été rebaptisée de l'affreux nom de « Zaitouna bay ». Quant à la domination par l'anglais du monde économique et des affaires, elle est presque totale. Qu'il s'agisse de la communication interne ou de la correspondance des entreprises. Des enseignes de magasins et des marques commerciales. Des banques, dont plusieurs ont anglicisé leur nom à l'instar de la banque de la Méditerranée devenue Bank Med. Ou enfin des campagnes de publicité où l'anglais supplante le français même dans la presse locale d'expression française. Je n'ai rien contre la pratique de l'anglais devenu la langue de communication internationale. Mais ce n'est pour moi qu'une langue outil contrairement au français, que je considère comme une langue de culture à portée identitaire et comme une composante intégrante de la spécificité du Liban par rapport à son environnement régional.
Il y a quelques jours Jacques Séguéla en visite au Liban a exprimé sa confiance dans l'avenir de la francophonie lié d'après lui à deux facteurs. La vitalité démographique de la France dont la population dépassera celle de l'Allemagne d'ici à vingt ans. Et la croissance extrêmement rapide de la population de l'Afrique qui compte déjà le plus grand nombre de francophones dans le monde. Son charisme et son enthousiasme communicatif m'ont rappelé mes débuts dans la publicité au sein d'une agence appartenant à son groupe, quand il pourfendait l'hégémonie de la culture de masse américaine qualifiée pas lui de « cocacolonisation ». Le virus qu'il m'a inoculé m'a conduit à militer au sein de l'Association des publicitaires francophones puis du Forum francophone des affaires. Et j'ai été nommé récemment à la tête de la délégation de la Renaissance française au Liban. Fondée en 1915 par Raymond Poincaré, président de la République à l'époque, cette organisation dont la devise est « Culture, Solidarité, Francophonie » a pour mission de participer, dans un esprit de partage et de dialogue, au rayonnement de la langue française, de la culture française et francophone, et des valeurs de la francophonie dans le monde.
Une table ronde sur la littérature francophone organisée à Paris par cette association m'a donné l'occasion d'exprimer ma confiance à propos de la résilience de la francophonie libanaise. Rappelant que l'histoire du Liban a toujours été placée sous le signe du multilinguisme et du multiculturalisme, j'ai souligné que son cas au sein de la communauté des pays francophones est unique. L'introduction du français qui date du XIXe siècle n'y est pas liée à la domination coloniale mais s'est faite à travers les missions catholiques accueillies à bras ouverts par les chrétiens d'Orient en particulier les maronites. Mais si, à l'époque, c'est surtout eux qui en bénéficiaient, aujourd'hui la pratique du français est moins liée à des facteurs confessionnels que socio-économiques. Si les chrétiens sont majoritairement francophones, alors que les musulmans sont plutôt anglophones, cette différence tend à s'estomper. Et bien que l'anglais domine la sphère des affaires, des médias audiovisuels, de la toile de la publicité, le français conserve ses bastions traditionnels, à savoir l'enseignement, et le livre ainsi que la culture dite classique. La presse locale d'expression française jouit d'une diffusion et d'une part du marché publicitaire très largement supérieures à celles des titres anglophones. Et, avec L'Orient Littéraire, elle compte même un supplément mensuel de L'Orient-Le Jour. L'édition locale de livres en français est en progression. Et la liste des auteurs libanais ou d'origine libanaise francophones s'enrichit chaque année de nouveaux noms, même si tous ne sont pas aussi connus par le public français que des auteurs comme Amin Maalouf, prix Goncourt et membre de l'Académie française. Cette vitalité témoigne non seulement de l'enracinement profond mais d'une certaine renaissance de la francophonie au Liban. Et le succès de l'Esa montre qu'il y a une place pour un enseignement supérieur d'excellence du management en français. Il n'y a donc aucun risque que le français ne connaisse un jour le même sort qu'en Égypte qui comptait, il y a une génération à peine, un nombre important de francophones.

Bien que l'ouverture du Salon francophone de Beyrouth illustre la vitalité de la francophonie au Liban, les motifs de préoccupation concernant son avenir ne manquent malheureusement pas. Le dernier en date est le choix, dénoncé par Sibylle Rizk, d'exclure le français de la signalétique du musée Sursock qui est exclusivement en arabe et en anglais. La volonté, délibérée ou non, de la...

commentaires (4)

Excellente mise au point de M. Ibrahim Tabet. Étant donné que l’introduction du français au Liban remonte au XIX ème siècle (peut-être avant), donc aux temps précoloniaux, étant donné qu’il n’est pas le produit d’un « soft power » colonisateur à l’anglaise, qu’il fait donc partie intégrante du tissu culturel originel, ou de l’identité culturelle libanaise, il serait recommandé, à mon avis, de préserver cette langue de l’assimilation sauvage, à caractère mercantile, et de militer pour le maintien (et même la restauration) du français dans l’espace public et touristique libanais, par la promulgation d’une loi sur l’affichage, selon le modèle québécois, voire même par l’institution d’un bilinguisme officiel légitime arabe-français au Liban, comme le préconisait le Père Selim Abou. J’aurais aimé aussi une analyse comparative qui explique pourquoi des pays du Maghreb, comme la Tunisie, le Maroc et l’Algérie ont su préserver leur héritage culturel francophone alors que le Liban l’a dilapidé (ou presque), pourquoi le Tunisien, le Marocain, l’Algérien lambda parle couramment le français, alors que le Libanais lambda ne sait même plus le baragouiner. C’est dans ces pays que je constate la véritable résilience culturelle. Le Libanais a toujours été un colonisé mercantile, qui suit le courant. Le jour où il n’aura plus d’intérêt avec l’anglais il se rabattra sur le français...ou toute autre langue, comme une prostituée.

Ronald Barakat

21 h 23, le 30 octobre 2015

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Commentaires (4)

  • Excellente mise au point de M. Ibrahim Tabet. Étant donné que l’introduction du français au Liban remonte au XIX ème siècle (peut-être avant), donc aux temps précoloniaux, étant donné qu’il n’est pas le produit d’un « soft power » colonisateur à l’anglaise, qu’il fait donc partie intégrante du tissu culturel originel, ou de l’identité culturelle libanaise, il serait recommandé, à mon avis, de préserver cette langue de l’assimilation sauvage, à caractère mercantile, et de militer pour le maintien (et même la restauration) du français dans l’espace public et touristique libanais, par la promulgation d’une loi sur l’affichage, selon le modèle québécois, voire même par l’institution d’un bilinguisme officiel légitime arabe-français au Liban, comme le préconisait le Père Selim Abou. J’aurais aimé aussi une analyse comparative qui explique pourquoi des pays du Maghreb, comme la Tunisie, le Maroc et l’Algérie ont su préserver leur héritage culturel francophone alors que le Liban l’a dilapidé (ou presque), pourquoi le Tunisien, le Marocain, l’Algérien lambda parle couramment le français, alors que le Libanais lambda ne sait même plus le baragouiner. C’est dans ces pays que je constate la véritable résilience culturelle. Le Libanais a toujours été un colonisé mercantile, qui suit le courant. Le jour où il n’aura plus d’intérêt avec l’anglais il se rabattra sur le français...ou toute autre langue, comme une prostituée.

    Ronald Barakat

    21 h 23, le 30 octobre 2015

  • Je partage 100% ce que vous avancez dans votre excellente chronique. Le Liban sans la langue française perd sa singularité essentielle à son indépendance nationale et à sa fierté, il serait un pays comme les autres de l'hinterland. Ce que personne ne souhaite. Je me permets d'ajouter qu'au cours de mes déplacements dans des pays européens, mon accent typique franco-libanais a été un signe de soleil et de vacances pour la plupart de mes interlocuteurs.

    Un Libanais

    16 h 10, le 30 octobre 2015

  • LA FRANCOPHONIE EST DANS LE SANG DES LIBANAIS... MÊME S'ILS PARLENT AUSSI D'AUTRES LANGUES !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 46, le 30 octobre 2015

  • Cher Ibrahim, Merci pour ce beau témoignage, après celui de Sibylle. La dé-francophonisation du Liban est un crime contre les Libanais, car c'était notre langue de culture et donc de pensée. En perdant le français, nous avons aussi perdu une grande partie de notre capacité à penser. Et donc, nous ne pouvons plus trouver plus trouver la solution aux problèmes, pourtant basiques, des déchets, eau, électricité, présidentielle, urbanisme, et autres.

    Aractingi Farid

    07 h 34, le 30 octobre 2015

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