Rechercher
Rechercher

Liban - Coopération

Pour Blue Peace, on peut (et doit) parler d’eau, même dans une région qui brûle

Le réseau Blue Peace a tenu une réunion récemment à Genève, où il a été question du défi de la coopération autour de l'eau en période de guerre. Et de la possibilité de transformer une crise en occasion.

Le bâtiment tout neuf de l’Université de Genève, dans lequel a eu lieu la réunion.

Une fois de plus, la coopération autour de l'eau était au centre des débats de Blue Peace, qui ont eu lieu récemment à Genève. Ce n'était pas la première fois non plus qu'on y parlait de la guerre et des obstacles qu'elle met devant les efforts de coopération autour des cours transfrontaliers : normal, depuis que l'initiative a été lancée en 2009-2010, la région s'est carrément embrasée. Toutefois, au cours de la session d'inauguration de la réunion de haut niveau, organisée à l'Université de Genève, les allocutions prononcées ont insisté sur la survie de l'idée phare de Blue Peace malgré toutes les difficultés : celle de croire que le partage des cours transfrontaliers peut être un facteur de paix, non de conflit.
La réunion était organisée par le « Strategic Foresight Group » (basé en Inde) et l'Université de Genève, en collaboration avec l'Agence suisse de développement et le département fédéral suisse des Affaires étrangères. De nombreux politiques, chercheurs et journalistes étaient présents, venus du Liban, d'Irak, de Jordanie, de Turquie, d'Inde, de Suisse et d'ailleurs.


Au cours de ce débat, il a été question à plusieurs reprises du cas des négociations informelles, sous l'égide de Blue Peace, entre l'Irak et la Turquie. Malgré des différends qui persistent et qui pointent dans certaines interventions, une nette volonté de coopération se dégage. Mais suivant quels mécanismes ? On a évoqué l'idée d'une institution régionale dont les contours restent flous, mais qui réglementerait le partage de l'eau. Un plaidoyer aussi pour que l'eau ne soit pas traitée en tant que simple denrée, mais comme un enjeu stratégique. Un appel, enfin, pour que les accords sur l'eau cimentent un rapprochement entre les pays, peut-être en une sorte de fédération future, comme celle qui a finalement abouti à la création de l'Union européenne, elle aussi née après la tragédie d'une guerre mondiale. Transformer la crise en occasion est donc bien une réalité, selon plusieurs intervenants.

 

« Une plateforme informelle de dialogue »
Cinq ans après le lancement de Blue Peace, après tant de changements régionaux, l'heure est au bilan. « En 2009-2010, quand on a lancé le projet de Blue Peace avec l'idée que l'eau peut être un facteur de paix et non de conflits, très peu de gens avaient une attitude positive à ce sujet, déclare Sundeep Waskelar, président du Strategic Foresight Group, à L'Orient-Le Jour. Aujourd'hui, nous avons réussi à former une communauté Blue Peace de plus de 200 parlementaires, journalistes, officiels, scientifiques... Nous avons créé une plateforme informelle de dialogue pour le changement. Celui-ci ne se fera probablement pas dans l'immédiat car l'environnement politique ne le permettrait pas. Toutefois, à mesure que cette plateforme se développe, l'accès aux décideurs devient plus facile et donne des résultats plus concrets ». Il met l'accent sur « le rôle des médias dans cette initiative, qui a été très important ». « Avec les articles de presse, les reportages télé et les messages publiés, nous estimons avoir atteint près de 25 à 30 millions de personnes, poursuit-il. Ces lecteurs et téléspectateurs commencent à intégrer l'idée du partage de l'eau comme un facteur de paix. »
Et d'ajouter : « Plus concrètement, il y a eu des avancées sur le terrain entre l'Irak et la Turquie. Nous avons conclu un accord avec les deux gouvernements, de manière informelle, pour une sorte de gestion conjointe des données sur le fleuve du Tigre. Nous n'avons pu le faire pour l'Euphrate, qui passe, en majeure partie, par la Syrie. Les deux gouvernements ont décidé d'installer des stations de mesure des deux côtés de la frontière, avec possibilité d'utiliser conjointement les données. Cela aidera à dissiper tout malentendu éventuel. »
Actuellement, poursuit Sundeep Waskelar, l'initiative Blue Peace s'engage dans les discussions entre Israéliens et Palestiniens afin « de permettre la construction de projets hydrauliques palestiniens, avec le moins d'autorisations sécuritaires possible », dit-il. « Nous avons réussi à convaincre des académiciens et scientifiques israéliens très influents du bien-fondé de cette démarche, poursuit-il. Dans une seconde étape, nous nous adresserons au gouvernement israélien. »

 

« D'un outil d'intégration à un défi humanitaire »
Quelles perspectives pour l'avenir ? « En 2009-2010, le Liban, la Syrie, la Jordanie et la Turquie avaient décidé de créer entre eux une plateforme d'échanges commerciaux sur différents secteurs économiques tel celui de l'énergie, se souvient-il. Nous avions alors eu l'idée d'y ajouter l'Irak ainsi que d'y imposer le sujet des cours transfrontaliers en construisant sur la coopération déjà décidée entre les quatre pays. À ce moment-là, l'eau nous paraissait comme un facteur important dans l'intégration économique régionale. Actuellement, avec la crise en Syrie, cet accord quadripartite est devenu caduc. » Une crise qui en a entraîné bien d'autres.
« Nous constatons une multiplication des tensions : la montée des extrémismes et la violence, le problème des réfugiés, une dégradation dans la condition des femmes et de l'accès aux ressources hydrauliques, insiste-t-il. D'un outil d'intégration économique et de développement, l'eau se trouve dorénavant au cœur du défi humanitaire et stratégique. Que faire donc ? Intégrer la coopération au niveau de l'eau dans des questions de coopération, comme les réfugiés, l'extrémisme ou le respect des lois du genre. »
Il ajoute : « Dans un contexte de violence en Syrie, les quatre voisins que sont le Liban, la Jordanie, l'Irak et la Turquie peuvent décider ensemble d'un mécanisme visant à faire face à cette situation sur les quatre sujets cités plus haut. On pourra ainsi transformer cette crise en occasion de coopération, faute de quoi tout peut s'effondrer. C'est ce que nous aimerions explorer. »


Interrogé sur le danger que représente le groupe État islamique (EI) pour les ressources hydrauliques, Sundeep Waskelar rappelle que le groupe extrémiste a tantôt pris les infrastructures pour cibles, tantôt les a utilisées comme outil de pression pour priver les populations d'eau. « Il y a eu, selon nos statistiques, 20 à 25 attaques d'infrastructures hydrauliques par l'EI ou d'autres groupes en moins de trois ans, ce qui est considérable, souligne-t-il. Nous avons besoin de nouvelles façons de faire face à ce problème. Après tout, il n'est pas possible de transporter de grandes quantités d'eau à des fins humanitaires, comme pour d'autres denrées. Il faudrait une sorte de résolution des Nations unies et des moyens de mettre cette résolution en application afin de lutter contre des organisations comme l'EI et les empêcher de causer des dégâts aux infrastructures hydrauliques. Pour cela, il est crucial d'assurer une meilleure protection de ces ouvrages. »

 

 

Harmoniser les données hydrauliques entre le Liban et la Jordanie

Le Liban a profité de sa participation à Blue Peace, surtout dans le cadre d'un projet bien particulier. Salim Catafago, président du conseil d'administration de l'Office du Litani, rencontré à Genève, connaît bien ce projet. « Il s'agit d'un projet d'harmonisation de la collecte des données sur les fleuves, réalisé entre le Liban et la Jordanie, dans le cadre duquel le gouvernement suisse a proposé des aides en termes de formation et de fourniture d'équipements à installer sur le terrain, explique-t-il. Une réunion très importante a été tenue en novembre 2013 pour choisir les emplacements où sera calculé le débit. Jusque-là, les équipements n'ont pas été livrés, mais plusieurs sessions de formation ont été organisées à l'intention d'équipes libanaises et jordaniennes en vue d'améliorer les connaissances en termes de calcul du débit des fleuves. Une session est prévue en novembre à Genève pour les mesures de l'enneigement. Cela est nouveau dans la région. Pour nous, de telles compétences sont vitales car la neige qui tombe sur les hautes cimes alimente de nombreuses sources. »
Selon l'expert, les formations ne se limitent pas aux calculs du débit ou du niveau d'enneigement, mais à l'étude des calculs climatiques relatifs aux précipitations et au type de précipitations à différentes altitudes. « On nous offre des stations dotées d'instruments de mesure climatiques, qui non seulement nous permettront de calculer le débit de l'eau, mais également de faire le lien avec d'autres paramètres telles les variations climatiques et les précipitations », souligne-t-il.
Pourquoi le Liban et la Jordanie? Selon lui, les deux pays ont été inclus par Blue Peace dans un même cercle concentrique, qui comporte également la Turquie, l'Irak et la Syrie. Le programme tente ainsi de concentrer les projets entre pays voisins. « Or, traiter avec la Syrie est devenu très difficile depuis que les événements y ont éclaté, d'où ce projet entre la Jordanie et le Liban », dit-il. Pourquoi cette harmonisation entre deux pays non frontaliers? « Une partie de l'eau du fleuve du Jourdain provient du Hasbani et du Wazzani, souligne-t-il. Si, à l'avenir, il y aura des négociations entre les différents pays autour de ce fleuve, cette harmonisation des données sera utile. »
Sur les bénéfices que le Liban pourrait encore tirer de Blue Peace, le président de l'Office du Litani estime que les circonstances ne permettront pas de progresser bien davantage au niveau des négociations dans lesquelles le Liban est engagé, étant donné l'état de guerre avec Israël et le gel des accords avec la Syrie, en raison du conflit qui fait rage dans ce pays. Pour lui, le processus de Blue Peace se concentre bien davantage désormais sur la résolution de conflits autour des bassins entre la Turquie et l'Irak. Il se demande cependant pourquoi d'autres pays concernés ne sont pas conviés, notamment l'Iran, d'où provient une des sources qui alimentent le Tigre, et l'Arabie saoudite, qui partage les mêmes nappes d'eau souterraines.
Interrogé sur cette question, Sundeep Waskelar, président du Strategic Foresight Group, estime que l'action s'était limitée à la Turquie et à l'Irak parce que les deux pays frontaliers sont directement liés par le fleuve du Tigre et que des problèmes existaient entre eux.

 

Pour mémoire

Du terrorisme aux conflits entre voisins, l'eau du Moyen-Orient otage des tensions

L'eau douce en mer : providentielle pour les uns, incertaine pour les autres

Une fois de plus, la coopération autour de l'eau était au centre des débats de Blue Peace, qui ont eu lieu récemment à Genève. Ce n'était pas la première fois non plus qu'on y parlait de la guerre et des obstacles qu'elle met devant les efforts de coopération autour des cours transfrontaliers : normal, depuis que l'initiative a été lancée en 2009-2010, la région s'est carrément...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut