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Liban - Médias

En matière de communication politique, les réseaux sociaux talonnent la télé

La « reconfiguration des médias » et son impact ont été abordés hier lors d'une conférence-débat organisée à l'USJ.

Jacques Gerstlé, à gauche, et Stéphane Bazan sur la tribune.

Le paysage médiatique s'est beaucoup modifié depuis le début des années 2000 : même si la télévision reste en tête dès qu'il s'agit de communication politique, les médias sociaux lui emboîtent le pas, suivant des statistiques récentes présentées par Jacques Gerstlé de l'Université Paris I, lors d'une conférence-débat hier à l'Institut des sciences politiques (ISP) de l'Université Saint-Joseph.
Une montée fulgurante qui invite à se poser de nombreuses questions concernant l'impact de ces nouveaux médias sur la scène médiatique et l'accès à l'information, dans les démocraties occidentales comme au Liban et dans les pays arabes, dans un contexte de « reconfiguration des médias », comme l'appelle l'expert.

Le second intervenant, Stéphane Bazan, professeur à l'USJ, s'est penché plus particulièrement sur le cas du Liban et de la région.
La télévision, même en perte de vitesse d'un point de vue du nombre de spectateurs, reste la grande référence en matière de communication politique, talonnée par des médias sociaux qui bénéficient d'une audience jeune, ce qui présage d'un avenir certain. Selon Jacques Gerstlé, les médias sociaux interviennent désormais activement dans la création et la transmission du contenu de la communication politique, ils ouvrent la voie à une participation et une interaction pour les citoyens, ainsi qu'une accessibilité aux différents sites et une visibilité. Parmi les principales transformations du paysage médiatique constatées suite à ces changements, une extension considérable de l'offre d'informations, une fragmentation de l'audience des télévisions après la multiplication du nombre de chaînes – locales, information en continu... –, une augmentation des cas d'« exposition sélective », autrement dit le choix presque exclusif de chaînes qui correspondent aux idées politiques du téléspectateur.

Dans le cadre du débat, l'expert français s'est demandé jusqu'à quel point cette « reconfiguration » des médias s'applique au cas du Liban et des pays arabes, si la domination de la télévision persiste et si l'émergence des réseaux sociaux est comparable à l'Occident, si la prolifération des médias mène, là aussi, à une fragmentation de l'audience, et dans quelle mesure cette potentielle fragmentation conduit à une exposition sélective. Le public libanais étant déjà fragmenté politiquement, que donnerait une polarisation d'origine médiatique (par les médias sociaux), qui viendrait se greffer sur la première ? s'est-il demandé. Il a transposé sur le cas libanais un débat bien plus global, celui de savoir si Internet revitalise la démocratie, ou s'il n'est qu'un prolongement des médias traditionnels et ne change par conséquent pas grand-chose. Il en a dégagé deux scénarios possibles dans le cas du Liban : soit les jeunes réussissent à capter le rejet actuel des hommes politiques et faire émerger de nouveaux leaders, soit les structures sociopolitiques traditionnelles conservent leur contrôle et bloquent tout changement par leur mainmise confessionnelle.

Rebondissant sur ces réflexions, Stéphane Bazan a constaté que les médias sociaux fournissent des outils qui sont les mêmes pour tous, mais qui peuvent avoir des utilisations radicalement différentes suivant les contextes. Citant des études primées, effectuées par son équipe, il a évoqué un cas de figure très significatif observé actuellement au Moyen-Orient, celui des guerres de l'information sur le web. Des guerres de communication politique devenues plus violentes du fait de leur impact et de leur efficacité accrus, utilisées dorénavant non seulement par des activistes ou des organisations, mais aussi par des États. En témoigne un exemple terrible : l'assassinat d'un cadre du Hamas par les services secrets israéliens en 2010, entièrement filmé pour être diffusé sur Internet. Ce qui pose évidemment des questions d'éthique de ces plateformes, a-t-il soulevé.

L'utilisation, par le groupe État islamique, de vidéos diffusées sur Internet, de tweets sur les combats ou encore de véritables films à la façon de Hollywood est un autre exemple devenu illustre. Le chercheur a dit avoir dégagé des tendances qui montrent qu'il s'agit là d'une stratégie de communication politique en bonne et due forme, allant en trois directions : la construction d'audiences (par des histoires, des personnages...), l'encadrement de l'action militaire et politique, et la promotion du califat. Une façon aussi de se démarquer d'el-Qaëda.

Sur un plan plus général, la propagande, si présente dans le discours politique, a complètement décrédibilisé celui-ci dans la région, selon Stéphane Bazan. Cela a rendu pratiquement impossible à toute personne hors de ce contexte de propagande de s'imposer, même via les réseaux sociaux, moins « contrôlés » que les médias conventionnels, étant donné les doutes qui viennent inévitablement à l'esprit du public. Il a estimé qu'au Liban, les partis politiques récupèrent les bénéfices de cette situation, et les voix indépendantes sont noyées dans la masse. Les militants font face par ailleurs à d'autres problèmes de par leur utilisation d'Internet : la peur des arrestations en raison de lois pas toujours claires, les soupçons liés à toute recherche de financement, pourtant essentielle pour leurs activités, ainsi que le manque d'esprit critique dont font preuve de nombreux groupes de militants.

 

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