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Économie - Liban - Agriculture

Pourquoi les apiculteurs libanais tiennent à leur pesticide

Pour aider les apiculteurs à préserver leurs ruches d'une redoutable mite tueuse, le ministère de l'Agriculture leur distribue un pesticide qui suscite des inquiétudes. Retour sur une polémique.

La mite Varroa se nourrit du sang des abeilles, entraîne des malformations fatales et développe une maladie très contagieuse pour les ruches. Archives AFP

Après une année 2014 plutôt faste, les apiculteurs libanais appréhendent une année 2015 bien moins florissante. « Nous avons subi une baisse de notre production de miel de 25 % en 2015 par rapport à l'année 2014, du fait du mauvais climat », déplore Hussein Kadamani, directeur de la coopérative de Jabal el-Cheikh, la plus importante coopérative de miel au Liban. « Nous avons connu une baisse de 75 % des récoltes de notre miel des forêts du fait des basses températures en mai », confirme Nahida Salha, directrice de la coopérative du Haut-Metn. Des chutes qui ne se retrouvent pourtant pas dans les chiffres communiqués par le ministère de l'Agriculture qui font état d'une production de 1 920 tonnes sur les sept premiers mois de l'année, tandis que selon le Centre de recherches et d'études agricoles libanais, cette production s'élevait à 1 800 tonnes en 2014...

 

Un tueur nommé Varroa
En attendant que les statistiques annuelles livrent leur verdict sur l'ampleur de cette contrainte climatique, les apiculteurs doivent composer avec une autre menace, bien plus nuisible : le Varroa destructor. Cet acarien parasite des abeilles se nourrit de leur sang et provoque des malformations, à terme fatales. Il est d'autant plus dangereux qu'il se transmet rapidement entre ruches et serait donc l'un des principaux suspects dans le mystère de l'effondrement des colonies d'abeilles constaté dans le monde depuis le milieu des années 1990. « Le Varroa est présent dans toutes les colonies d'abeilles de l'Union européenne et dans le monde, à quelques rares exceptions. (...) Sur les 17 pays étudiés, la mortalité hivernale des colonies va jusqu'à 33 % pour la Belgique, 28,7 % pour la Suède et 14 % pour la France », note une étude de la Commission européenne publiée en août 2014.
« Ce virus est également présent au Liban et nous avons un mois pour traiter les ruches contaminées. Sinon, c'est toute la colonie qui est perdue », explique Nahida Salha. Or il n'existe à ce jour qu'une seule molécule acaricide disponible sur le marché – l'amitraze – qui semble réellement efficace contre le Varroa. Face à l'ampleur de la menace, le ministère de l'Agriculture a lancé en 2014 un appel d'offres pour le traitement subventionné des ruches, finalement remporté il y a quelques mois par le médicament vétérinaire Apivar (dont la substance active est l'amitraze), produit par le laboratoire pharmaceutique français Veto-Pharma. Or, l'Apivar avait été interdit d'utilisation en 2011 par l'ancien ministre de l'Agriculture, Hussein Hajj Hassan, sur recommandation de la Cour des comptes. Contacté par L'Orient-Le Jour, le ministère de l'Agriculture n'était pas joignable pour justifier ce choix. Mais plusieurs sources proches du dossier soulignent que ce pesticide avait été expressément réclamé par les apiculteurs libanais. L'Apivar leur sera d'ailleurs distribué gratuitement dans les prochaines semaines. « Cela représente une aide financière importante car l'année dernière, par exemple, nous avions dû acheter 180 unités d'Apivar à 20 dollars chacun... », explique Jean-Claude Karam, directeur général de la coopérative B.Baladi.

 

Un traitement dangereux ?
Reste que ce choix est contesté. « Je ne pense pas qu'imposer un seul produit aux apiculteurs soit positif. Il aurait été préférable de donner une aide financière à chaque apiculteur avec un cahier des charges suivant les normes européennes », avance une source anonyme au sein de l'Association de protection des consommateurs (APC). « Ce pesticide peut être dangereux pour le consommateur car il laisse des résidus dans le miel », ajoute son président Zouhair Berro. Dans deux articles publiés les 2 et 7 octobre dernier, le quotidien al-Akhbar va même plus loin, suggérant que les résidus d'amitraze provoqueraient des cancers et que la molécule est interdite dans l'Union européenne (UE), pénalisant les perspectives d'exportations.
Autant de craintes balayées d'un revers de main par les professionnels interrogés. « Si la législation européenne interdit bien l'utilisation de l'amitraze dans certains usages – phytosanitaires notamment – il s'agit ici d'un traitement vétérinaire qui n'est pas proscrit par ces textes. L'UE limite simplement la quantité de résidus d'amitraze dans le miel à 0,2 mg par kg, contre 1 mg/kg aux États-Unis », explique Nadine Chemali chargée du projet du miel au sein du programme LIVCD lancé en 2013 par l'Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid). « Notre miel est testé en laboratoire et nous n'avons aucun résidu d'amitraze, qui doit de toutes façons répondre aux standards européens avant d'être exporté », se défend Hussein Kadamani. « Tout le miel exporté est testé en amont. Sur 30 échantillons récemment testés, tous respectaient les normes européennes et la majorité étaient même en dessous du seuil de détection », renchérit Nadine Chemali. Selon les chiffres des douanes libanaises, les exportations de miel sont d'ailleurs loin d'avoir souffert : elles ont ainsi connu une hausse de 54 % en valeur, à 519 000 dollars, et de 33 % en volume, à 38 tonnes, entre les premiers semestres 2014 et 2015.
Si les dangers de l'utilisation de l'Apivar pour le consommateur ou les exportations apicoles ne semblent donc pas avérés à ce stade, cette controverse pourrait ouvrir un autre débat sur l'effet des pesticides utilisés par les agriculteurs sur des champs par ailleurs butinés par les abeilles. Une polémique qui fait rage depuis longtemps en Europe et pourrait se reproduire sous ces cieux.

 

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Dans un pays où l'on abat les oiseaux du matin au soir ...7/7 jours... 365 jours par an, il est évident , que les insectes pullulent de plus en plus et donc , l'usage de produits chimiques nocifs pour la santé et la chaîne alimentaire s'intensifie....

M.V.

10 h 36, le 21 octobre 2015

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Commentaires (1)

  • Dans un pays où l'on abat les oiseaux du matin au soir ...7/7 jours... 365 jours par an, il est évident , que les insectes pullulent de plus en plus et donc , l'usage de produits chimiques nocifs pour la santé et la chaîne alimentaire s'intensifie....

    M.V.

    10 h 36, le 21 octobre 2015

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